L'Exil Intérieur du Roi AGOLIAGBO
AGOLIAGBO alias HOLO DJEVIVI
D’abord, rappelons qu’avant d’être le Gaou Goutchili, Général de son frère, le Roi Béhanzin, AGOLIAGBO s’appelait HOLO DJEVIVI de son vrai nom. Dans sa vie, en rapport avec ses attributions, il a dû changer plusieurs fois de nom. En fait ce n’est pas exactement à son retour d’exil que l’ancien « dernier roi du Danhomey » a dû reprendre son identité civile de simple indigène de la colonie du Dahomey sous le nom de HOLO DJEVIVI.
Le le 22 Juin 1910 a été publié à Dakar l’arrêté autorisant AGO-LI-AGBO à retourner en son pays. Signé par le Gouverneur-Général William Ponty, l’arrêté contient deux articles dont le plus utile est le premier :
ARTICLE PREMIER.- AGO-LI-AGBO, ancien roi d’Abomey, déporté en Afrique Equatoriale française, par mesure politique, au mois d’Avril 1900, est autorisé à regagner son pays d’origine, avec son fils CODO et les femmes qui l'ont suivi au Gabon.
Aussitôt, à Porto-Novo, Monsieur Henry MALAN, Lieutenant-Gouverneur du Dahomey, écrit à l’Administrateur du cercle d’Abomey :
Le Lieutenant-Gouverneur du Dahomey
à Monsieur 1’Administrateur du cercle d’ABOMEY
Vous avez pu lire au Journal Officiel de l'A.O.F, N°293 du samedi 30 Juillet un Arrêté de M. le Gouverneur Général autorisant le retour d'AGO-LI-AGBO. Le rapport que je présentai à cette occasion au Conseil de Gouvernement et dont je vous adresse ci-joint copie pourrait vous éclairer sur les motifs qui m'ont déterminé à demander cette mesure de clémence et sur les conditions dans lesquelles je me propose de l'appliquer.
L'arrêté de M. le Gouverneur Général me laisse complètement maître de l'heure et des moyens, mais avant de prendre aucune disposition je tiendrais à savoir si la décision de Monsieur le Gouverneur Général est venue à la connaissance des indigènes d'Abomey, l’impression qu'elle a produite et les espoirs qu'elle a pu faire naître. Vous voudrez bien renseigner à ce sujet en vous abstenant toutefois, dans l'enquête que vous aurez à faire, d'éclairer les Indigènes sur les faits qu'ils pourraient ignorer. Vous pourriez par exception, dans le cas ou le retour d'AGO-LI-AGBO serait connu, affirmer que le cercle d'Abomey lui sera toujours interdit.
Je vous serai également obligé d'inviter le nommé PELOU, 2ème fils de AGO-LI-AGBO, habitant actuellement à OUASSOUGON à venir à Porto-Novo.
Signé Malan
Dans cette lettre, on voit bien que les autorités coloniales, si elles autorisent AGOLIAGBO à revenir au Dahomey, elles n’ont pas l’intention de le laisser s'installer à Abomey.
Pour comprendre les raisons qui motivent cette intention, il faut lire le rapport de Monsieur Malan qui a été à la fois l’avocat de la fin de l’exil de l’ex-roi, mais aussi l’instigateur des contraintes dont cette libération était assortie.
Porto-Novo, le 20 Juin 1910
RAPPORT EN CONSEIL DE GOUVERNEMENT
A maintes reprises vous m'avez saisi de requêtes que vous avait fait parvenir, par l'intermédiaire du Gouverneur du Gabon, AGO-LI-ABO, ex roi du Dahomey, déporté au Congo depuis le mois d’Avril 1900, qui sollicitait la remise de la peine d'exil prononcée contre lui.
L’Administration locale, sans opposer à ces demandes une fin de non recevoir absolue en a toujours ajourné l'examen. Je reviens de ma tournée à travers la colonie, persuadée que la situation politique du pays permet de faire bénéficier ce monarque d'une mesure de clémence que sa bonne conduite paraît, d’autre part, lui mériter. Depuis dix ans 1'organisation sociale du cercle d’Abomey notamment, s’est, profondément modifiée
Bien que les populations du Dahomey n'aient complètement oublié ni BEHANZIN ni AGO-LI-AGBO, il n'est pas à craindre que le retour de ce dernier puisse être l'occasion de troubles quelconque. Une partie de la population, celle qui vivait de la faveur royale regrette sans doute le régime disparu, l'on peut même dire que 1a majorité des indigènes d'Abomey se remémore avec complaisance un passé ou sa vanité trouve satisfaction. Mais ce sont là des regrets tout platoniques que les indigènes n’expriment si volontiers que parce qu’ils estiment impossible le rétablissement de la royauté. Il n'en est peut-être pas un seul en effet qui consentirait de bon gré à se plier aux obligations que lui imposerait la monarchie, à faire le sacrifice de situations qui se sont élevées sur les ruines même de ce régime.
AGO-LI-AGBO n'était pas un chef rebelle et les motifs qui ont rendu nécessaire sa déportation se fondent moins sur des faits précis que sur son attitude générale qu’expliquent, sans toutefois l'excuser, les conditions toutes spéciales dans lesquelles il était appelé à gouverner.
Frère de BEHANZIN, il était le premier écarté de celui-ci dans les jours d'infortune. Si le Général DODDS songea à le faire roi d'Abomey ce ne fut en considération ni de son caractère, ni de son intelligence ni de sa notoriété, mais il semble bien à cause de sa médiocrité même.
Il était sage, en effet, de ne pas rompre brusquement avec le passé. Si le maintien de la royauté était transitoirement nécessaire, il convenait du moins que le successeur que nous donnions à BEHANZIN ne pût jamais devenir pour nous un danger. AGO-LI-AGBO n'était pas susceptible de jamais acquérir une influence propre lui permettant de nous faire échec. Notre appui lui était indispensable et l'on ne saurait affirmer qu'il ne l'ait pas compris. Quoi qu'il en soit, dès son avènement, AGO-LI- AGBO se trouva en présence de difficultés dont il semble que le Résident de l'époque n'ait pas eu le sentiment suffisamment exact. La désinvolture avec laquelle il avait renié BEHANZIN lui avait aliéné la majeure partie de la population qui, pour avoir souffert du régime que nous avions brisé, n’en conservait pas moins un respect atavique pour ses rois. Les princes ses frères, les descendants des anciens rois qui avaient été ses compétiteurs au trône, le jalousaient et loin de l'aider de leurs conseils ne cherchaient qu'à amener l’ouverture d'une succession dont chacun d'eux en particulier espérait être l'heureux bénéficiaire. Les chefs de canton auxquels nous avions laissé leur commandement cherchaient à ériger leur circonscription en royaume indépendant et il est regrettable que 1’Administrateur ait pu considérer les protestations de dévouement que ces chefs lui adressaient comme une compensation suffisante au manque de déférence qu'ils montraient l'égard des ordres du roi.
Enfin AGO-LI-AGBO se trouvait en face d'une situation matérielle des plus difficiles. L'état précaire des finances locales nous avait contraints à lui enlever le droit de percevoir pour son compte le "koussou" que nous lui avions d’abord consenti. Ses revenus se trouvaient de ce fait ramené de 150.000 à 10000 francs, somme tout à fait insuffisante pour lui permettre d'entretenir le train royal que lui imposait la coutume et dont il ne lui était pas possible de se défaire brusquement. En effet tous les princes, bien que ses ennemis déclarés, entendaient rester à sa charge. Ils estimaient et expriment encore cette opinion que leur naissance leur donnait le droit de vivre dans l'oisiveté et aux dépens des indigènes. Cela ne les empêchaient pas de dénoncer avec indignation au Résident les exactions de AGO-LI-AGBO dont ils étaient les premiers à bénéficier.
Il ne semble pas d'ailleurs que la rente de 10.000 francs promise au roi d’Abomey lui ait jamais été payée, nos libéralités à son égard semblent s'être bornées au payement d'une somme de 1.600 Frs environ au titre de remises sur l'impôt.
AGO-LI-AGBO d'autre part se voyait abandonné par ses tamtamiers, ses récadères, ses suivants. Ses femmes mêmes n’échappaient pas aux entreprises de simples indigènes ses sujets. Le Résident d’Abomey, loin d’accorder à ses doléances l’attention qu’elles méritaient semble avoir par des palabres inconsidérées, encouragé ses déclarations. C'est au point qu’AGO-LI-AGBO non seulement ne possédait même plus de hamacaires mais encore qu’il s’en voyait refuser par les chefs de quartier d’Abomey ses subordonnés. Ce fait est grave si l'on considère qu'à l’époque le hamac était une prérogative royale à laquelle il n'était possible de renoncer.
A maintes reprises AGO-LI-AGBO expose, et son argumentation n'est pas absolument sans valeur, qu’en le faisant roi la France lui a accordé certaines prérogatives et délégué le droit de commander sous le contrôle de nos fonctionnaires. Le Résident d'Abomey, au lieu d'écouter ses doléances et de rechercher dans quelle mesure elles pourraient être justifiées, le traite immédiatement en ennemi, en concurrent. Je ne saurais trop insister sur ce dernier terme car il me parait y avoir eu, dans toute cette affaire, surtout une question d'amour propre. Quoi qu'il en soit les choses en étaient arrivées au point que 1’Administration locale ne pouvait plus désavouer son représentant. La destitution d’AGO-LI-AGBO s'imposait.
Le Résident d'Abomey, était jaloux de son autorité, loin d'avoir suivi, en cette circonstance, une politique personnelle, me parait plutôt avoir été l'instrument inconscient d'une coterie constituée par les princes et les chefs de canton, et s'être montré beaucoup trop sensible à la flatterie.
Constamment d’ailleurs, il confond 1a population avec les princes et lorsqu'il veut connaître le sentiment des indigènes de son cercle, c’est à un vote des princes qu'il a recours. Le système d’administration directe qu'il a inauguré à Abomey, contrairement aux instructions de Monsieur le Gouverneur Ballot basées sur une connaissance approfondie de l’état social de l’indigène, a très certainement contribué à amener la scission entre AGBO-LI-AGBO et nous. Sur le rapport des princes, on a accusé AGO-LI-AGBO de multiples empoisonnements dont 1a preuve n’a jamais été faite ni même recherchée. On l’a accusé également – et ce reproche pourrait être fondé – de percevoir le « koussou ». 0n a prétendu qu'il était fourbe, cruel, intriguant, dangereux enfin. Je préfère me rallier à 1'appréciation du Gouverneur BALLOT qui définissait AGBO-LI-AGBO « un grand niais vaniteux ».
Il importe peu d'ailleurs aujourd’hui de rechercher aujourd’hui les fautes qu’a pu commettre AGO-LI-AGBO, l'expiation a été suffisante et puisque les circonstances politiques actuelles nous le permettent, mieux vaut prendre à son égard une mesure de bienveillance à laquelle nous devrons nous résoudre tôt ou tard. J’ai en effet puisé dans la lecture des pièces du dossier la conviction que l'Administration de l’époque n’avait point entendu prononcer une peine perpétuelle et je suis persuadé que l'exil d’AGO-LI-AGBO aurait pris fin depuis longtemps déjà si la direction de la Colonie n'avait subi d’aussi fréquents changements.
Il ne saurait être question de faire revenir AGO-LI-AGBO dans le Cercle d’Abomey, qui constituait son royaume ; encore moins de le réintégrer dans ses anciennes fonctions. Ce retour vers le passé, alors même que nous le voudrions serait impossible. Ce que regrettent les indigènes d’Abomey de l’ancien régime c'est uniquement son faste ; il manque à leur fête le personnage prestigieux qui en rehausserait l’éclat, ils voudraient avoir l'occasion de se prosterner, de chanter des louanges et célébrer par de bruyants tam-tams une gloire même conventionnelle. Ce n'est pas un maître que veut la population mais un directeur de jeux et l'on ne peut douter que si, nous trompant sur les motifs de ces demandes, nous entendions restituer à AGO-LI-AGBO son ancienne autorité, elle ne solliciterait bientôt sa déchéance.
Les chefs de canton qui, depuis dix ans, jouissent d’une complète indépendance, ne se résigneraient certainement pas au rôle d’agents subalternes auquel ils devraient être ramenés.
Quant aux populations, elles se sont habituées à recueillir le fruit de leur travail, à disposer de leur gré de leurs biens et de leurs personnes, et un roi ne saurait plus attendre d’elles qu’une déférence inopérante.
AGO-LI-AGBO ne pourrait compter que sur ses ressources personnelles. Il est bien certain dans ces conditions, que les princes eux-mêmes, partisans d’une restauration qui, dans leur esprit, devrait leur permettre de vivre en grands seigneurs oisifs et redoutés, ne tarderait pas à s’éloigner d’un roi besogneux.
Mon intention n’est pas de renvoyer AGO-LI-AGBO à Abomey, car je ne veux pas lui imposer l’humiliation que lui imposerait la comparaison journalière de la situation qu’il occupait autrefois avec celle sur laquelle il peut aujourd’hui compter.
II me paraît improbable, je dirai même impossible, que l’état social du Cercle d’Abomey se modifie de telle sorte qu’il puisse jamais autoriser les espérances d’un prétendant au trône, je dois me garder cependant d’engager un avenir dont d’autres pourront avoir la responsabilité. Mon intention est donc d’installer AGO-LI-AGBO dans la ferme d’Asdy à Savè qui n’est d’aucune utilité pour le service local, auquel elle occasionne bien au contraire et sans compensation d’aucune sorte, des dépenses importantes. AGO-LI-AGBO serait là à la tête de ligne du chemin de fer, assez loin d’Abomey pour être à l’abri des sollicitations pécuniaires des princes, de leurs conseils subversifs et de leurs insinuations calomnieuses, trop près cependant pour avoir la sensation d’un nouvel exil. Les membres de sa famille que j’ai vus à son passage à Abomey m’ont demandé à l’accompagner. Ils m’ont exposé qu’ayant pris de l’âge, ils se sentaient l’autorité nécessaire pour écarter de leur père les influences malsaines qu'en outre, exerçant chacun un métier différent, ils seraient toujours en état de se suffire en quelque endroit qu'on veuille bien leur permettre se fixer. Ces gens m'ont paru intelligents, énergiques, pondérés en même temps que doués d'un esprit d'initiative peu commune. Ils sont comme tous les Dahoméens d'excellents cultivateurs et je ne doute pas que la ferme d’Asdy ne devienne entre leurs mains ce que nous aurions dû en faire, une ferme modèle. Ils m'ont promis de tenter des essais de labour à la charrue et de défibrage de sisal. Je considère que le transfert de la famille AGO-LI-AGBO dans cette région fertile, bien arrosée, mais que les razzias dahoméennes au sud, celles de Bariba au nord ont dépeuplée, constituerait une entreprise de colonisation agricole dès plus intéressantes. Les Nago de Savè en sont encore, au point de vue de la culture du sol, à la pratique de procédés rudimentaires et ils trouveraient dans le village ainsi constitué un exemple et un enseignement des plus utiles.
Le retour d'AGO-LI-AGBO est une nécessité à laquelle il faudra bien nous soumettre tôt ou tard, en l'autorisant dans les conditions que j’indique nous accomplirons un acte de générosité dont la colonie retirera en même temps qu'un bénéfice moral des avantages économiques appréciables.
J'ai donc 1'honneur, Monsieur le Gouverneur-Général, de vous demander en Conseil de bien vouloir solliciter du Département l'autorisation de faire rapatrier AGO-LI-AGBO, son fils CODO et les deux femmes qui l'ont accompagné dans son exil.
Signé : MALAN
Ainsi, dans l’esprit du rapport Malan, AGOLI-AGBO sera installé à Savè, dans une région symbolique des limites politiques de son ancien royaume. Cette installation a fait l’objet de pourparlers difficiles avec l’intéressé, qui officiellement garde toujours son nom de roi.
CABINET
affaires politiques
N° 2150
A.S. d’AGO-LI-AGBO
Porto-Novo, le 1er Décembre 1910
Le Lieutenant-Gouverneur du Dahomey
et Dépendances, à Monsieur 1'Administrateur du Cercle de SAVE
Avant de diriger sur Savè AGO-LI-AGBO, ex-roi d'Abomey déporté au Gabon depuis Avril 1900 et dont j'ai obtenu la grâce, j'ai tenté de faire comprendre à cet indigène les conditions dans lesquelles son retour a été autorisé. Je me suis heurté, comme je m'y attendais, à une incompréhension absolue. AGO-LI-AGBO qui a quitté le Dahomey il y a plus de 10 ans, le réintègre avec une mentalité qui n'a subi aucune modification. Seul de son royaume il n'a pas évolué. Ses raisonnements qui témoignent d'un esprit sain, d'une entière bonne foi et d'une logique rigoureuse constituent un véritable anachronisme car ils se réfèrent à un état social aboli et dont AGO-LI-AGBO est le dernier représentant. Par contre, il se trouve dans l'impossibilité de comprendre aucun raisonnement basé sur l'organisation actuelle de son pays qu'il ne peut même soupçonner.
L'un et l'autre nous parlions donc chacun une langue différente et j’ai dû renoncer à lui faire comprendre au cours d'une conversation les modifications profondes qui se sont produites dans son pays et qui plus sûrement encore que notre volonté déterminent la place qu'il doit occuper. J'ai pensé qu'il était préférable de le laisser s'instruire aux leçons de choses que ne manquerait pas de lui donner la réalité de chaque jour. il vous appartient, toutefois de hâter son éducation de manière à lui épargner, le plus possible d’erreurs, à lui éviter de trop nombreuses désillusions.
La lecture du rapport en date du 20 Juin 1910, par lequel j'ai demandé à M, le Gouverneur-Général de vouloir bien autoriser le retour d'AGO-LI-AGBO au Dahomey vous renseignera d'une manière suffisante sur les conditions dans lesquelles revient cet indigène. AGO-LI-AGBO m'a présenté à Cotonou le traité passé avec lui en 1894 me déclarant qu'il s'en tiendrait aux clauses de cet acte qu'il a toujours pour sa part respecté et que le Gouvernement français, dans son esprit ne saurait répudier. Il convient que vous lui fassiez comprendre, qu’à l'heure actuelle, nos relations avec lui ne sont réglées par aucun contrat ; le traité de 1804 a été abrogé par l'arrêté prononçant sa déportation; d'ailleurs ce texte aurait-il une valeur légale qu'il nous serait impossible d'en assurer l'exécution car pour respectables que puissent être les prérogatives politiques assurées à un chef, elles ne sauraient valoir contre les droits de l'individu. AGO-LI-AGBO revient donc au Dahomey en qualité de simple particulier, de chef de famille, si la coutume lui accorde ce titre, mais il doit renoncer à l'espoir de jamais redevenir roi d’Abomey. II est possible qu'il n'ait pas démérité et qu'il soit toujours digne de la confiance qui lui avait valu d'être désigné par le Gouvernement français comme successeur de BEHANZIN mais il est non moins certain que les progrès moraux accomplis par ses sujets rendent impossible la restauration d'un régime qui n’est compatible qu'avec un état de barbarie aujourd'hui aboli.
Les droits de souveraineté que pourrait revendiquer AGO-LI-AGBO, comme héritier des anciens rois, sont d'ailleurs aujourd'hui la propriété exclusive du Gouvernement français.L’autorisation de revenir au Dahomey, obtenue sur mes instances n’implique pas que le gouvernement ait eu l’intention de lui rendre son ancienne situation. Si la nécessité nous était apparue de donner un roi à Abomey, il n’eût pas été difficile de trouver parmi les princes, ses frères, des candidats réunissant, au point de vue de la coutume, des titres au moins égaux à ceux d’AGO-LI-AGBO. Telle n'a pas été notre intention et 1’Administration ne saurait se considérer comme liée encore par la faveur qu'elle marqua autrefois à cet indigène. La bienveillance particulière que nous voulons bien lui témoigner ne lui est nullement due, elle est un effet de notre pure bonne volonté. Il importe donc qu’AGO-LI-AGBO oublie ce que nous l'avions fait. Son envoi à Savè nous a été inspiré par le désir de lui éviter l'humiliation que n'aurait pas manqué de lui causer la comparaison journalière de sa situation actuelle avec celle qu'il occupait autrefois ; de ne pas rendre ses sujets témoins de sa déchéance et de na pas l'exposer à subir les manifestations des rancunes qui ont pu s'amasser contre lui. AGO-LI-AGBO est devenu un simple particulier; cependant, la situation qu'il a occupée, l'ignorance totale où il se trouve de la situation actuelle matérielle et morale de son ancien royaume, nous fait un droit et une obligation d'exercer sur ces actes une surveillance qui durera aussi longtemps qu'il ne nous aura pas donné la preuve d'une compréhension complète de cette situation. Les indigènes d'Abomey sont arrivés à un degré de civilisation assez avancé pour que la royauté ne soit plus chez eux une nécessité politique. D'autre part, les droits et les intérêts qu'ils se sont acquis sont incompatibles avec un semblable régime et l’Administration française, qui a charge de protéger ses indigènes ne saurait admettre qu'ils viennent à être troublés dans leur tranquillité par la prétention d'un candidat au trône. AGO-LI-AGBO ne pourrait compter que sur les gens sans ressources, parce que sans travail, dont il est également inutile qu'il devienne le chef ou la dupe AGO-LI-AGBO, non plus qu’aucune des personnes qui l'ont accompagné dans son exil ne devront quitter Savè sans une autorisation expresse de ma part que je n'accorderai d'ailleurs que dans un avenir très éloigné. En revanche toutes les autres personnes de la famille ont l'autorisation de circuler librement. AGO-LI-AGBO et ceux de ses gens que nous avons installés à la ferme de Savè, doivent se persuader que leur établissement dans cet endroit est définitif. Les terres en plein rapport, les palmiers, les cultures, les installations et les troupeaux que nous leur abandonnons leur sont donnés en compensation des terrains qu'ils occupaient dans le cercle d'Abomey et sur lesquels ils ne pourront désormais élever aucune prétention. Je ne verrai que des avantages à ce que le groupement dahoméen, ainsi constitué, prenne une plus grande extension. AGO-LI-AGBO peut donc faire venir auprès de lui non seulement les membres de sa famille, mais encore ceux de ses anciens sujets s'il s'en trouve encore qui auraient encore conservé pour lui assez d’affection pour l’accompagner dans sa nouvelle résidence. En prévision de cette éventualité, pour éviter des discussions avec les autochtones il sera bon de réserver autour de la ferme de Savè des lots de terre qui seraient distribués au fur à mesure des besoins aux arrivants Dahoméens.
En ce qui concerne la pension qui était faite à AGO-LI-AGBO elle a été supprimée par l'arrêté autorisant son retour; toutefois, comme vous m'avez signalé que les récoltes avaient totalement manqué, que l'émigration de la famille d’AGO-LI-AGBO avait mis cette dernière dans un état d'indigence qui pourra se prolonger, je continuerai à lui allouer sur votre proposition, les secours qui pourraient être nécessaires. Il est bien entendu que cette assistance est purement temporaire et qu'elle ne dispense nullement les membres de cette famille de faire venir d’Abomey les vivres et le matériel qui leur appartiennent.
En résumé, le Gouvernement-français a estimé qu'il devait être apporté une atténuation à la peine dont avait été frappé AGO-LI-AGBO. Il lui est permis de réintégrer son pays, mais cet indigène n'est plus, ainsi que je l'ai dit, qu’un simple particulier de qui les droits se trouvent restreints pour des considérations d'ordre politique dont le Gouvernement ne saurait se désintéresser et dont l'examen n'appartient qu'à lui seul. La ferme d'Asdy lui a été assignée comme résidence obligatoire, afin qu’il puisse y grouper sa famille. Cette faveur comporte conne corollaire la suppression de tous liens avec le cercle d’Abomey, l’obligation de renoncer aux terres et aux droits civils de toute nature qu'il pouvait y posséder.
Vous voudrez bien me rendre compte des dispositions d'esprit AGO-LI-AGBO lorsqu' aura disparu l'état de stupéfaction dans lequel l'avait plongé le chemin de fer et la transformation d'un pays qu'il avait quitté en pleine barbarie. /.
Signé MALAN
Jusque-là, aussi bien sous la plume du Gouverneur Malan que de ses subordonnées de la colonies, sans doute aussi dans les textes, l’ex-roi gardait son nom de roi. Le principe de gestion de cet anachronisme politico-judiciaire est que trois éléments constituent la légitimité d’une royauté : le territoire, le nom et la personne du Roi. De ces trois éléments indissociables AGO-LI-AGBO pouvait se prévaloir de deux : son nom et sa personne. Comme à son arrivée, on ne pouvait pas les lui enlever sans tout aussitôt enlever toute signification à la transaction de sa naturalisation dans les nouvelles conditions politiques en cours, il ne restait plus qu’à le priver de l’élément indispensable du territoire, de son environnement politique naturel. Certes pour AGOLIAGBO rien ne vaut la fin de l’exil et le retour au Dahomey. Aussi, malgré le désir de se retrouver à Abomey, l’ex-roi, qui continuait de jouir de son nom de Roi devra toutefois prendre son mal en patience. Le rêve d’être restauré dans sa dignité royale justifiait la patience et les compromis du moment. Mais le séjour à Savè ne sera pas de courte durée. Le Gouverneur Malan passera le relai à son successeur, Monsieur Gaston Fourn. L’exil intérieur de l’ex-roi, sera encore plus long que le temps passé au Congo. Dans la logique d’expropriation politique que constitue le système colonial, la pédagogie de la résipiscence se mesure en quart de siècle. Au total la mise à l’écart de AGBOLIAGBO hors d’Abomey aura été conforme à cette mesure. C’est alors que Gaston Fourn l’autorise à se rapprocher d’Abomey :
Comme suite à ma lettre N°207° en date du 20 Avril, j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'AGOLI-AGBO, qui résidait à Savè, est rentré dans la région d'Abomey, en simple particulier sous le nom de HOLO DJEVIVI et sous les conditions énumérées dans le document ci-joint.
Ce document précise les conditions de présence de HOLO DJEVIVI dans le cercle d'Abomey, sa situation de famille et celle de ses enfants, ses relations avec ses parents et la population; tant les intéressés directs que les Chefs et les habitants en ont eu connaissance.
J’ai confiance que mes ordres seront respectés de tous, le retour et l'installation d'HOLO DJEVIVI dans l'habitation qui lui avait été préparée par les soins de l'Administration locale à Mougnon, dans le canton de Dona et à proximité d'Abomey, se sont effectués sans incident.
Le retour de cet ancien Chef dans son pays d'origine après 25 ans, met fin à sa situation imprécise et a été apprécié par la population qui y a vu un acte de charité et de clémence; d'ailleurs depuis les événements de 1900, une génération nouvelle s'est levée et sous l'empire d'un nouvel ordre de choses s'est détachée quelque peu des formes anciennes et rigides du passé pour faire face aux nécessités changeantes des temps présents.
Ma connaissance des milieux indigènes me permet d'assurer que la rentrée d'AGOLI-AGBO à Abomey s'est faite avec toutes les précautions nécessaires, tant vis à vis du respect de l'autorité française que des coutumes autochtones. Certes, les questions de politique indigène sont si complexes et délicates qu'il ne m'est pas possible d'assurer qu'aucun heurt ne naîtra de la situation nouvelle au cours des quelques années qu'AGOLI-AGBO a encore à vivre, mais, tout a été prévu pour que la moindre difficulté soulevée par la présence de cet ancien chef puisse être immédiatement réprimée.
G. FOURN
Ce retour à Savè est assorti de conditions très claires auxquelles l’ex-roi doit se soumettre. Le Gouverneur a donné là-dessus des instructions fermes au Commandant du cercle d’Abomey :
Instruction au commandant de Cercle d’Abomey au sujet de HOLO DJEVIVI, ex-Agoli-Agbo et de sa descendance.
HOLO DJEVIVI, ex-Agoli- Agbo, résidant actuellement à Savè, dont la déchéance a été officiellement sanctionnée par l’arrêté du 18 février 1900, est libre de retourner dans sa région d’origine, le Cercle d’Abomey.
1°/ Il y reprendra définitivement son nom de HOLO DJEVIVI, fils de Glèlè.
2°/ Il habitera, à son arrivée dans le Cercle, avec ses femmes et ceux de ses enfants qui désirent le suivre dans l’habitation mise à sa disposition. Il pourra ultérieurement obtenir l’autorisation de construire une maison de famille sur l’emplacement qu’il habitait quand il était prince GOUTCHILI, avant la nomination à la succession de Béhanzin
3°/ HOLO DJEVIVI ne sera ni « Alladaponougan », c’est-à-dire représentant de tous les princes, ni « Houéponto », c’est-à-dire gardien des tombeaux et de l’ancien Palais.
4°/ HOLO DJEVIVI ne réclamerait aucun des droits qu’il détenait autrefois de ses fonctions, ni n’exigera le retour auprès de lui des personnes qui constituaient son entourage.
5°/ HOLO DJEVIVI vivra en simple particulier sans s’occuper des questions politiques ou autres qui relèvent de l’autorité des chefs de canton, chefs qu’il respectera dans les formes observées par les indigènes notables
6°/ HOLO DJEVIVI percevra la gratification annuelle qui lui est octroyée et de plus l’Administrateur, Commandant de Cercle examinera, s’il en fait la demande, la possibilité de lui faire attribuer des terrains vacants pour cultures vivrières afin que ses enfants puissent travailler et aider ainsi à la vie familiale. HOLO DJEVIVI n’aura aucun droit sur les palmeraies royales, en particulier sur celles de Ouaoué et de Boli, qui resteront à l’usage exclusif de la famille royale dont Ahovo demeure le Chef.
7°/ Dans ses rapports avec ses parents, ses frères ou ses alliés HOLO DJEVIVI aura comme tout autre de nos sujets jouissant de ses garanties personnelles le droit de prendre part aux réunions privées et aux règlements familiaux, mais dans les réunions pratiques et officielles, il n’aura aucun rang de chef et devra, en particulier supprimer les attributs de l’ancien faste royal (Chaussures et sandales portant le nom d’Agoli-Agbo ainsi que le parasol de Chef portant la même inscription).
8°/ Tous les parents de HOLO DJEVIVI hommes, femmes et enfants ainsi que les chefs et populations d’Abomey auront connaissance des présentes instructions qui devront être respectées de tous comme constituant un ordre formel du chef de la Colonie.
9°/ Toute personne de la famille de HOLO DJEVIVI, ou tout habitant du cercle d’Abomey qui, à l’occasion ou en raison de la présence de HOLO DJEVIVI dans le Cercle, susciterait, par ses propos, actes ou manœuvres des intrigues ou des troubles de nature à compromettre la sécurité et l’ordre publics, sera passible des peines prévues par le décret du7 Décembre 1917, notamment en ses articles 19 et 20. Toutefois, si ces propos, actes ou manœuvres revêtaient un caractère nettement délictueux, le délinquant serait justiciable des tribunaux ordinaires.
Les mêmes sanctions seraient applicables le cas échéant à HOLO DJEVIVI.
Signé Fourn.
En résumé, contrairement à ce qu’on croit, dans la trajectoire de son exil, AGOLIAGBO n’a pas fait un aller-retour Abomey. Pour des raisons de politique coloniale, compte tenu de la crainte des autorités de perdre le contrôle politique du Royaume du Dahomey, l’ancien-roi bien que de retour au Dahomey, a été tenu à l’écart à Savè pendant une quinzaine d’années. Dans l’esprit des colons, AGO-LI-AGBO était ainsi, « assez loin d’Abomey pour être à l’abri des sollicitations pécuniaires des princes, de leurs conseils subversifs et de leurs insinuations calomnieuses, trop près cependant pour avoir la sensation d’un nouvel exil. » Mais ces raisons cachent mal la hantise du pouvoir colonial, obsédé par l’effet de cristallisation des intrigues politiques sur la personne de l’ex-roi. En dépit qu’il en aie, il s’agit bien d’un exil intérieur, qui répond au principe du tiers exclu : AGOLIAGBO pouvait au mieux réaliser deux des trois conditions de sa légitimité, mais jamais la troisième. Dans la mesure où, sur ses propres instances, il a enfin obtenu de revenir dans son environnement politique, dans la mesure où il est toujours la même personne, il ne lui restait plus qu’à abandonner son nom. Ce qui fut fait.
Voilà pourquoi AGO-LI-AGBO a repris son ancien nom de HOLO DJEVIVI ; mais dans l’esprit de l’ex-monarque le retour à Abomey, et à son ancien nom, n’était qu’un épisode dans un long combat politique et moral auquel, dans son for intérieur, il était loin d’avoir renoncé.
Binason Avèkes
Traité entre AGOLIAGBO et le Général DODDS
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007, © Bienvenu sur Babilown
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