Par GILBERT KOUESSI
«Si tu n’es pas content de l’histoire que les autres ont écrite pour toi, écris ta propre histoire » : Chinua ACHEBE, Le monde s’effondre (1966)
« D’où nous viendra la renaissance ? Du passé, si nous l’aimons » Simone Weil, La pesanteur et la Grâce
INTRODUCTION
Quelques années après la victoire sur BEHANZIN, le colonialisme français mettait fin à tous les royaumes du sud-BENIN. Les rois ont été transformés pour la plupart en chefs de Canton pour ceux qui n’étaient pas dans le collimateur du colonisateur, tan disque les résistants à la colonisation ont été déportés avec, nommés à leur place des chefs fantoches ou « yovofio » comme disent les AJA. Dans ce lot de rois déportés, nous pouvons citer BEHANZIN, AGOLI-AGBO Le chef IDEOU d’AGONLIN, et bien sûr KPOYIZOUN dont il est question aujourd’hui. Cette situation qui constitue la troisième phase des relations entre les puissances occidentales et les royaumes de chez nous, vient clore près de trois siècles de relations entre nos peuples et les puissances occidentales depuis les premiers contacts au 16ème siècle. Ces relations diplomatiques ont en effet évolué en trois temps. Le premier temps peut être considéré comme une période où nos royaumes avaient des relations d’égal à égal avec leurs visiteurs et étaient maitres chez eux. On peut situer dans ce cadre, la mission envoyée au roi d’ALLADA en 1658 par le roi d’Espagne, mission dont l’objectif était de christianiser le roi et ses sujets et qui fut chassée sans ménagement au bout d’un an ; attaché à ses valeurs culturelles, le roi a préféré garder la religion de ses ancêtres. (Le royaume d’Arda et son évangélisation au XVIIème siècle. Henri LABOURET et Paul RIVET, Paris Institut d’Ethnologie, 1929) On peut évoquer aussi, la visite d’état de l’Ambassadeur du roi d’Allada en décembre 1670 en France où selon les chroniques de l’époque qu’on peut trouver dans les archives françaises, venu en France avec trois femmes et trois enfants, il fut reçu en grande pompe par le roi Louis IV le 19 décembre, la reine le 20 décembre, et par les grands dignitaires du royaume les jours suivants, avec toute la population de Paris qui était dans les rues pour voir passer les carrosses de cette délégation venue de chez les noirs. (La traite des noirs et ces acteurs africains ; Tidiane DIAKITE Ed : BERG INTERNATIONAL Paris 2008). On n’oublie pas bien sûr, l’envoi à Versailles au roi Louis XIV par le roi d’Abomey, du nain surnommé NABO qui défraya la chronique à la cour pour ses relations trop intimes avec la reine. (La légende du sexe surdimensionné des noirs ; Serge BILE Editions Le Serpent à Plumes, Monaco 2005). Ces relations où nos royaumes pouvaient traiter d’égal à égal avec les pays européens vont s’arrêter vers le milieu du 19ème siècle. En effet, la révolution industrielle exigeait que l’Europe se mît en quête de matières premières et de nouveaux débouchés pour ses produits. Le capitalisme va entrer dans sa phase impérialiste. On aboutira à l’accord de Berlin en 1885. C’est alors qu’intervient la deuxième phase des relations diplomatiques entre nos royaumes et les pays occidentaux. Alors que jusque-là, les pays européens n’ont pas cherché à placer les pays africains sous leur souveraineté, le traité de BERLIN consacra le dépeçage virtuel du continent. On assista alors à un terrible quiproquo diplomatique. Alors que nos rois, ne sachant rien des changements économiques et politiques en Europe, continuaient de tendre les deux mains de l’amitié, les européens se présentaient cette fois-ci avec une main hypocrite de l’amitié mise en avant et l’autre cachée derrière le dos avec un poignard prêt à les assassiner. C’est justement à ce moment-là que vont s’établir les premiers contacts entre le royaume de TADO et les puissances occidentales.
I) Le royaume de TADO dans la tourmente coloniale
Comme Tombouctou, TADO a été longtemps considéré par les européens comme un royaume mystérieux, de telle sorte que dans leurs textes, ils en parlent comme un royaume fétiche ou un village fétiche. C’est que dans toutes les conversations avec les rois et les populations de la Côte du Bénin, TADO revient toujours comme lieu d’origine et de pèlerinage. Le premier vrai contact entre TADO et l’Europe c’est en 1889 avec la rencontre entre KPOYIZOUN et A. d’ALBECA le représentant de la France à Grand-POPO. Au cours de cette rencontre, un accord a été signé ainsi libellé : « L’an mil huit cent quatre-vingt neuf et le 22 juillet, à 9 heures du matin, le pavillon tricolore a été arboré à Toune « TOHOUN »APN (Etat de Tado), En présence de :
Monsieur A-L.d’Albeca, administrateur colonial de Grand-Pop et Agoué (golfe de Bénin), en mission politique chez les Ouatchis et dans la rivière du Mono :Pohenzon, roi fétiche du Tado, contrée sacrée où les rois du Dahomey et les chefs Ouatchis viennent recevoir l’investiture… En arborant le pavillon tricolore, le roi Pohenzon a déclaré : être satisfait de la présence à Toune de l’envoyé français ; qu’un blanc foulait pour la première fois le terrain fétiche de Tado ; que son plus ardent désir était de contracter amitié et alliance avec la France. Pour confirmer et appuyer ses paroles, le roi Pohenzon a envoyé à Grand-Popo, à la suite de l’administrateur colonial, les nommés Niakodjo, porteur de son bâton royal, Moussa, Abourou, moces (garçons) de la cour. Ces envoyés sont arrivés le 27 juillet à Grand-Popo et ont prêté devant les témoins soussignés serment que le roi Pohenzon avait arboré le pavillon tricolore en présence de l’administrateur et que le roi du Tado désirait être en rapport constant avec le représentant de la France à Grand-Popo, que Sa Majesté désirait contracter alliance et amitié avec la République Française. Les envoyés ont déclaré ne savoir signer. Fait à Grand-Popo le 28 juillet 1889.» in L(Les traités et Accords de Coopération entre le Bénin et la France 1851-1993) Philippe NOUDJENOUME et Denis SINDETE (Edition Imprimerie Nationale du Bénin) 1996 page 39.
Comme on le voit très clairement, dans l’entendement du roi KPOYIZOUN, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un traité d’amitié entre deux pays souverains. Les colonialistes français feront croire qu’on avait affaire avec un traité de protectorat ; ce qui est faux. TADO n’étant en guerre ni menacé par personne, on ne voit pas très bien pourquoi il irait signer un traité de protectorat avec la France. En réalité la signature de ce traité avait deux objectifs pour les colonialistes français. Premièrement, comme le souligne le Professeur Gayibor : « Couper l’herbe sous les pieds des allemands déjà installés à Notse à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest » ; et deuxièmement tenter d’isoler BEHANZIN dont le territoire est limitrophe de TADO et contre qui une terrible guerre de conquête se préparait. Tout cela était vain puisque, lorsqu’éclata la guerre contre Le royaume du DANHOME, KPOYIZOUN, contrairement à certaines affirmations, apporta son aide à BEHANZIN dont les renforts en hommes et en matériels fournis par les allemands ne pouvaient transiter que par le royaume de TADO. Après la victoire sur BEHANZIN qui était un os dans la gorge des colonialistes, une course contre la montre a été entamée pour mettre tous les royaumes et chefferies de l’actuel Bénin sous la tutelle de la France ; c’est ainsi qu’on a assisté à la signature d’une flopée d’accord de protectorat en 1894. C’est dans ce cadre qu’il faut situer le deuxième accord entre TADO et la France. Ces accords qui ont été signés avec le pistolet de la France sur la tempe de nos rois n’ont d’ailleurs aucune valeur juridique puisqu’ils n’ont jamais été ratifiés par le parlement français. Dans la réalité, ces accords copier-coller signés à la hâte n’ont rien modifié dans l’attachement de nos peuples à leurs souverains et à leurs traditions culturelles ; Dans beaucoup de royaumes, la résistance à la colonisation a commencé à s’organiser avec des rois qui n’entendaient pas se voir dessaisir de leurs prérogatives; c’est dans ce cadre que le colonialisme décida d’abolir les royaumes, emprisonna les chefs récalcitrants et envoya en exil les rois les plus prestigieux et les plus dangereux. « C’est ainsi que KPOYIZOUN fut déporté au Gabon par arrêté ministériel du 17 Décembre 1900 et mis en résidence dans le village de N’djolé. Il était accompagné d’une personne de sa suite; ses dépenses étaient couvertes par une pension de 50 francs par mois, payée par la colonie du DAHOMEY ».In KPOYIZU OU LA FIN D’UNE EPOQUE par Nicoué Lodjou GAYIBOR, (Annales de l’Université du BENIN TOME XI 1983-1991 SERIE LETTRE LES PRESSES DE L’UNIVERSITE DU BENIN LOME- 1990)
2) L’Exil de KPOYIZOUN et sa fin tragique.
Dans ce chapitre, nous nous contenterons de reprendre intégralement ce qu’en a dit le professeur GAYIBOR dans le texte cité plus haut.
<< Après la déchéance et la déportation de Kpoyizu, les français renforcèrent considérablement les prérogatives de Dossou, le chef politique installé à TOHOUN, au détriment du pouvoir royal. La population ne décela pas la manœuvre de l’administration coloniale qui tendait vers la suppression pure et simple du pouvoir traditionnel. Mais les habitudes ancestrales prirent vite le dessus et l’absence du roi – garant du bon ordre de l’univers – étant incompatible avec le sens profondément religieux du pays, le peuple commença à réclamer son souverain… Pendant ce temps, l’administration française tenta d’oublier Kpoyizu dans son exil malgré le décret du 21 novembre 1904 fixant la durée maximale des peines d’internement à dix ans. Mais les partisans du roi déchu, très nombreux, firent une propagande active auprès des Allemands alors au TOGO. Le territoire aja, à cheval sur les zones française et allemande, était alors l’objet de négociations entre les deux puissances coloniales, les travaux d’abornement des frontières n’étant pas encore achevés. Afin de se concilier les bonnes grâces des aja et surtout d’embarrasser l’administration française, les négociateurs allemands exigèrent que soit clairement stipulée dans les conditions des accords d’abornement, la remise de Kpoyizu aux autorités du Togo allemand… L’affaire fut confiée au Gouverneur Général de Dakar, qui s’inquiéta alors du sort du roi déchu. Renseignement pris, William Ponty, qui avait remplacé Clozel à la tête de l’AOF, s’étonna dans un câblogramme très confidentiel que Kpoyizu n’ait pas été libéré conformément au décret du 21 novembre 1904 fixant à dix ans, la durée maximale des peines d’internement et priait par la même occasion le Lieutenant-gouverneur du Dahomey de l’informer s’il existait d’autres indigènes originaires de sa colonie et dont les peines dépasseraient les délais prévus par ce décret précité. Les mesures nécessaires au rapatriement de Kpoyizu et Dossou Idéou furent prises au début du mois de décembre 1912. Mais les autorités coloniales du Dahomey s’inquiétaient des répercussions politiques de ce retour de Kpoyizu en pays aja. Il fut donc décidé de le garder au secret pendant quelques temps et si possible, pourquoi pas, l’obliger à renoncer à ses prérogatives avant de l’autoriser à rentrer chez lui… Pendant ce temps, un drame en un acte se jouait au Gabon et priva à tout jamais Kpoyizu de revoir la terre de ses aïeux et les Aja, leur roi, déchu pour avoir osé désobéir à la France en voulant demeurer fidèle aux traditions ancestrales. La nouvelle tomba le 11 février 1913 :
« Libreville à Gouverneur Dahomey, Porto-Novo
Honneur vous faire connaître déporté politique Pohizun noyé accidentellement en cours de route. Déporté Dossou Idéou quittera Libreville par courrier 23 février sous escorte garde régionale selon instructions Gouverneur Général.
Signé : Adam »…
La mort de Kpoyizu est-elle vraiment accidentelle ? La question mérite d’être posée car la situation politique prévalant dans la sous-région dans les années 1910 l’exige…Confrontée en effet à divers problèmes épineux, la France aurait logiquement pu choisir de se débarrasser pour de bon de ce personnage indésirable dont le retour d’exil était réclamé par les autorités allemandes et la population locale. Certes l’Allemagne fit savoir par la suite qu’elle renonçait à inclure le retour de Kpoyizu dans le protocole d’accord avec la France. Le simple fait d’avoir réclamé ce retour constitue en soi cependant une ingérence inadmissible pour les autorités coloniales françaises qui, en outre, ne pouvaient que craindre l’agitation- donc les troubles- qu’engendrerait le retour de Kpoyizu au bercail… » Article du professeur GAYIBOR déjà cité, page 35.
3)
NECESSITE DE FAIRE LA LUMIERE SUR LA DISPARITION DE KPOYIZOUN
En réussissant à effacer de la mémoire collective, l’exil et la mort de KPOYIZOUN, le colonialisme français a « frappé le peuple AJA en lui interdisant de verser les larmes », comme le dit un adage bien connu. Maintenant que cette question a été remise au goût du jour grâce au Président du Conseil d’Administration de l’INIREF M. Pascal FANTODJI, nous devons rechercher les tenants et aboutissants de cette disparition mystérieuse. Comme l’a bien rappelé le professeur GAYIBOR la France n’avait aucun intérêt au retour de KPOYIZOUN à TADO. N’oublions pas qu’exilé dans les mêmes conditions, AGOLI-AGBO à son retour au pays, a été assigné à SAVE avec interdiction de mettre pied à Abomey jusqu’à sa mort. Pour nous, la thèse de la noyade est un faux grossier qui cache mal un grand scandale abominable. En supposant qu’elle soit vraie, comme on ne parle pas de la noyade d’un chien mais d’un roi exilé, il a dû avoir un rapport écrit sur les circonstances de cette noyade. Il suffit de le sortir pour démentir notre affirmation. Quelles sont alors les hypothèses qu’on peut émettre concernant la disparition de KPOYIZOUN ?
a) Assez âgé au moment de son exil, le roi de TADO a pu mourir avant 1913 au moment où les populations demandaient son retour ; ne sachant pas la réaction que l’annonce de sa mort susciterait en pays Aja, la France a pu le faire enterrer clandestinement au Gabon. En droit français, cela s’appelle recel de cadavre et est considéré comme un crime.
b) Paniquées à l’idée d’un retour du roi surtout à la veille de la 2ème guerre mondiale où les tensions entre l’Allemagne et la France ne cessaient de monter, les autorités françaises ont pu prendre la décision de ne pas le faire rentrer et de le laisser mourir de sa belle mort au Gabon ; Si c’est le cas, c’est contraire à leurs propres lois et est un acte criminel aussi.
c) La troisième Hypothèse est que face à tout ce qu’on a évoqué plus haut, les colonialistes aient décidé de l’éliminer tout simplement. Sachant tout ce qu’ils ont fait endurer à BEHANZIN lors de son exil ; sachant le sort qu’ils ont réservé à Samory, Lumumba, à Félix Moumié, et beaucoup d’autres patriotes africains, on ne pas peut l’exclure.
Dans tous les cas, la vérité existe et doit être enfouie dans les archives secrètes des colonialistes français. Cette vérité, ils doivent l’exhumer. Le peuple AJA doit savoir ce qu’est devenu son roi. Le peuple AJA et toutes ses dérivées doivent retrouver le corps de leur roi qui mérite une sépulture digne de ce nom et sur sa terre natale.
Conclusion
Une nouvelle ère s’ouvre pour les peuples d’Afrique, celle de l’appropriation de leur propre culture. Notre Renaissance va venir de notre passé, ce passé occulté, piétiné, nié, caché ; ce passé que le colonisateur nous a appris à mépriser. Nous devons nous investir dans la connaissance de nos cultures, de nos langues. Ce travail entrepris au Bénin avec l’INIREF (Institut International pour la Recherche et la Formation) porte déjà ses fruits car c’est grâce à lui que nous pouvons parler aujourd’hui du roi de TADO qui a été remis au devant de la scène de l’histoire. Des pans entiers de notre histoire sont enfouis dans les archives coloniales ; nous devons les exhumer ; nous devons nous convaincre que l’histoire est une arme de combat et que la renaissance viendra nécessairement d’une meilleure maitrise de notre passé.
Qu’avez-vous fait du roi KPOYIZOUN de TADO ? Les colonialistes français nous doivent une réponse.
Par Gilbert Kouessi
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