Un jour, dans un paisible village de la Côte des Mosoï[1], un homme fourbe tua son ami de façon cruelle. Il lui avait arraché les yeux en plein sommeil avant de le poignarder de plusieurs coups de couteau dans le coeur. La victime était très aimé du village, et les villageois voulaient venger sa mort. Pour se protéger, l'assassin grimpa sur un cocotier d'où il jetait des noix sur ses poursuivants. Il avait aussi un charme dont il usa et le cocotier poussa haut vers le ciel. Le cocotier était devenu si haut, qu’il dominait tous les villages alentour. De plus, l’arbre magique donnait des fruits à profusion. L'assassin se nourrissait des noix et en faisait même commerce. Un de ses rares amis d’un village voisin, qui était chasseur d’éléphant l’y aidait. Grâce à cet ami, les noix de coco miraculeux étaient vendus aux braconniers contre des défenses d’éléphant. Les défenses d’éléphant à leur tour étaient échangés contre des diamants, dans des pays en guerre. Ainsi, l’homme perché s’était fait en peu de temps une belle fortune. Grâce à cet argent, il a réussi à acheter quelques personnes dans le village afin d'échapper à la colère de ses habitants. Mais la colère du plus grand nombre était tenace ; elle ne faiblissait pas au fil des ans. Aussi, malgré sa fortune, l'homme n'osait pas descendre du cocotier de peur d'être tué pour son crime immonde. Une nuit pourtant, 27 ans après le crime, au moment où le village s'y attendait le moins, un violent orage éclata, suivi d’une tempête. La tempête traversa tout le pays et la foudre s'abattit sur le cocotier. Le grand arbre se brisa en son milieu et sa frondaison atterrit dans un énorme vacarme. L’assassin, qui n’avait pas été touché par la foudre, tomba à terre en même temps. Le bruit de sa chute alerta les villageois. Dans la nuit noire, par dessus le bruit de la bourrasque, l’assassin entendit la clameur des villageois et, bien qu’éreinté par sa chute, il n’attendit pas son reste. Avant même que la foule n’arrivât près du cocotier en feu, l’assassin avait pris la poudre d’escampette. Il courut en direction de la mer. Une fois au bord de la mer, il sauta à pieds joints dans une pirogue de fortune. Rapide comme l’éclair, il maniait la pagaie comme un forçat. C’était curieux de voir comment un homme qui en avait tué un autre pouvait à ce point tenir à sa propre tête. Et quand tout le village alerté se rua sur la plage, l’ennemi public était déjà en haute mer. Il se dirigeait vers le village de son ami chasseur d’éléphant. Les villageois étaient fort marris de ne lui avoir pas mis la main au collet, après toutes ces années où l’assassin les avait nargués de son mépris, vivant haut perché sur leur malheur et s’enrichissant sur leur dos. Cette nuit-là, les villageois, hommes et femmes, vieux et jeunes maudirent en chœur l’assassin. Ils lui souhaitèrent le pire et remercièrent le dieu de la foudre de les avoir aidés à déloger l’assassin de son fructueux perchoir. Maintenant que le village entier savait que l'assassin vivait sur la terre ferme, les hommes les plus vaillants juraient d’avoir sa peau, même s’il leur fallait faire une guerre contre le village du chasseur d’éléphant où il avait trouvé refuge.
Nul doute qu'ils gagneront cette ultime bataille. Ces hommes intègres ont eu la patience d'attendre vingt sept ans, rien ne peut plus les décourager. Et, plus grande est leur patience, plus belle sera leur vengeance !
Ahandessi Berlioz
[1] Peuple imaginaire de l’Afrique de l’Ouest
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