C'est dans ce schéma que se place le pouvoir actuel du Nigéria, en dépit des promesses d’une élection juste et transparente. Le test de la fraude en a été fait avec les élections dans l'État d’EKITI, qui ont mis en selle un repris de justice sous les couleurs du parti au pouvoir. C'est la révélation du scandale par la presse, à trois semaines des élections initialement prévues pour le 14 février, qui a conduit le pouvoir à décider de leur report. Ce qui est connu dans l'opinion sous le nom d’EKITIGATE et auquel les institutions spécialisées du pays n'ont même pas daigné tenter de donner un semblant de réponse appropriée digne d'un État de droit, était censé être le modèle local d'un système de fraude que le pouvoir PDP entendait étendre à l'échelle nationale. La découverte du pot aux roses et sa divulgation par la presse ont fait changer au pouvoir son fusil d'épaule, le temps de revoir un système plus sophistiqué pour tromper la vigilance de l'opposition et de la société civile. L'idée directrice de cet acharnement frauduleux qui est partout le même en Afrique, c'est que, une élection n'est pas la traduction réelle de ce que veut le peuple à un moment donné de son histoire politique mais la mise en scène de la volonté des puissants qui se drapent dans les apparences démocratiques, en faisant semblant de donner la parole au peuple. La fraude électorale est le moyen exact de la mise en œuvre de cette volonté des puissants d'imposer leur volonté au peuple. Le jeu coercitif des institutions de l'État et de la république assurant le suivi de cette subversion. La chose tient de l'illusionnisme. Il s'agit pour le pouvoir africain, tel un magicien, au moment opportun, de sortir un lapin du chapeau. Peu importe la manière dont le lapin a été introduit dans le chapeau, le public doit applaudir le numéro et confirmer ce faisant qu’un lapin a bel et bien été tiré d'un chapeau. Cette violence frauduleuse est le pendant de l’ignorance des masses et l'irrationalisme dans lequel baigne la culture et les mentalités et dont la culture politique n'est qu'un aspect. La démocratie, même et parce que proclamée du bout des lèvres, n’est jamais vue comme le respect absolu de la volonté du peuple, mais la violence faite à cette volonté en tant qu'elle est malléable, aliénable, et en fin de compte vidée de sa substance. Le pouvoir dans sa volonté de domination, considère la volonté du peuple comme quantité négligeable, mineure, et donc passible d’une procuration frauduleuse mise en scène sous les apparences truquées du formalisme démocratique. On fait les élections pour qu'il soit dit et vu qu'on a fait des élections, mais en réalité à cause de la fraude et du parti pris frauduleux des puissants, le peuple est effectivement mis hors jeu, souvent hélas avec sa propre complicité. Toute cette violence de la fraude nécessite outre l'instrumentalisation des institutions de la république et de l'État, la mise en jeu de fortes sommes d'argent ; les élections ainsi conçues deviennent une guerre d'argent et de ressources pécuniaires. Les pouvoirs africains, dans la mesure où ils s'arrogent sans discussion les ressources de l'État, sont encore les mieux armés pour mener cette guerre de l'argent. La rivalité pécuniaire entre le pouvoir et l'opposition est de part en part à l'avantage du pouvoir, le cas du Nigéria est à la fois paradigmatique et caricatural à souhait. Nous avons là l'un des pays les plus corrompus du monde où la culture de la corruption vient du sommet de la société. L'impunité y est la règle et la gestion patrimoniale du bien public une seconde nature. Ajoutez à cela, nous avons affaire à la première économie de l'Afrique non pas tant en termes de performances ou de créativité économiques mais surtout en termes de revenus du pétrole dont il est le premier producteur africain. La gestion des revenus du pétrole au Nigéria est marquée par un désordre savamment orchestré, une anarchie et une corruption monumentale, à côté desquels le vandalisme qui touche les installations pétrolières—réactions désespérées des laissés-pour-compte—n’est qu'une goutte d'eau dans un océan de gabegie, de vol et de détournements massifs au plus haut sommet de l’Etat, et au sein d’une minorité d’intermédiaires. Les pouvoirs politiques ont toujours eu la haute main sur cette hémorragie financière illicite qui est une seconde nature du fonctionnement socioéconomique du pays. Même Monsieur Obasanjo, qui s’acharne aujourd’hui à donner des leçons de gouvernance ou de morale à son ex-protégé, en tant qu'individu, est incapable de justifier son immense fortune personnelle par ses seuls émoluments d'hommes politiques ou la prospérité d'affaires ou d'entreprises développées à la sueur de son front. Avec l'élection de Jonathan en 2011, le premier vrai civil qui allait diriger le Nigéria sur une longue période, au vu de son parcours biographique, ses origines enracinées dans le Delta du Niger, de la part d'un homme jeune qui se disait Docteur, les Nigérians s'attendaient à un leadership fondé sur l'aspiration à la rationalité légale, le souci de l'intérêt du peuple et la consolidation de l'unité nationale. Au lieu de quoi, ils eurent droit au gouvernement le plus tribaliste, le plus élitiste, le plus irrationnel, le plus intolérant, et le plus corrompu de toute leur histoire. Avec Jonathan, la corruption a atteint des sommets jamais égalés dans l'histoire du Nigéria. Des sommes astronomiques, on parle de 40 milliards de dollars qui ont disparu de la seule caisse des revenus pétroliers. Quand on considère que ce scandale dont la divulgation par l’ex président de la banque centrale du Nigéria, M. Sanusi Lamido Sanusi, lui a coûté son poste, n’est qu’un cas isolé parmi une noria d'autres qui ne sont pas connus, alors on mesure l'immensité de la masse pécuniaire détournée des caisses de l'État nigérian depuis bientôt six ans du pouvoir de M. Jonathan. Une bonne partie de ces sommes alimente aujourd'hui la guerre de l'argent en quoi consiste, tout au moins du point de vue dévoyé du pouvoir, la joute électorale. Des centaines de millions de dollars sont dépensés par l'équipe de campagne de Jonathan pour acheter les consciences, les personnalités, les groupes religieux, des communautés culturelles et leurs chefs ou soi-disant porte-parole. Hormis les médias publics qui sont une agence de publicité naturelle du pouvoir, la plupart des journaux, des médias audiovisuels privés, même des sites Internet sont arrosés d'argent dans une proportion et selon une libéralité jusque-là inégalées. À titre d'exemple, lors de son passage dans le seul État de Lagos dans le cadre de sa campagne, Jonathan aurait, paraît-il, distribué pas moins de 200 millions de dollars en espèce d’origine pour assurer sa réélection localement. Une seule chaîne de télévision, la chaîne AIT aurait signé un contrat de 30 milliards de franc CFA avec le pouvoir, rien que pour démolir ses opposants. 21 milliards de franc CFA ont été distribués à un pool de pasteurs pour assurer leur bénédiction, et la mainmise sur leurs ouailles. Ces orgies dépensières ébruitées n'étant que la partie émergée de l'iceberg de distribution tous azimuts d'argent par le pouvoir de Jonathan pour s'assurer la victoire électorale totale. La guerre de l'argent que mène Jonathan prend aussi une forme stratégique qui consiste à asphyxier financièrement l'adversaire. Ainsi, outre les déconvenues liées au scandale d’EKITIGATE, l'autre motivation du report des élections était de faire durer le temps de la guerre pécuniaire de façon à tarir les caisses très limitées de l'opposition. Vu ce que coûte chaque campagne et chaque déplacement des candidats de l'opposition, le prolongement de six semaines imposé par le pouvoir sous des prétextes fallacieux a de quoi mettre à rude épreuve la patience financière de l'opposition. L'argent étant le nerf de la guerre, le pouvoir de Jonathan espère pousser l'opposition au bord de la crise de nerfs afin d'en tirer tout bénéfice.
Comme on le voit, l'argent se substitue aux voix du peuple. Et les pouvoirs africains qui imposent ces pratiques considèrent la consécration qu’ils en retinrent comme légitime ; car le fait d’obtenir par la corruption et la fraude ce que le peuple ne leur a pas donné de son plein gré leur paraît normal dans la mesure où ils estiment y a voir mis le juste prix. L’élection prend un caractère censitaire et l’argent devient un mieux-disant électoral. Tout cela prouve qu'au Nigéria, comme dans la plupart des pays africains qui « jouent le jeu » de la démocratie, la volonté du peuple est une vue de l'esprit. La toute-puissance du pouvoir établi, jouant de sa mainmise sur les institutions et l'argent public, a fait de la fraude le déterminant exclusif de la victoire électorale. Assistée par la guerre de l'argent provenant de la corruption, la machinerie de la fraude, tel un rouleau compresseur, prend possession de tout le corps électoral et impose sa loi. De cette guerre gageons que le Nigeria sortira vivant.
Alan Basilegpo
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