Marcus Rediker par laviedesidees
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La Vie des Idées : Comment avez-vous eu l’idée de travailler sur le navire négrier ? Marcus Rediker : J’ai eu l’idée de ce livre alors que je rendais visite à un condamné à mort. Je milite depuis longtemps contre la peine de mort, car je pense qu’un gouvernement ne devrait pas avoir le droit de tuer ses citoyens. En tant que citoyen américain, je savais également qu’aux États-Unis la peine de mort et le système carcéral sont très fortement racialisés : les gens issus des minorités y sont surreprésentés, à la fois dans la population carcérale et parmi les condamnés à mort. C’est donc en parlant avec Mumia Abu-Jamal (qui est d’ailleurs très connu en France et dont je m’occupe depuis de nombreuses années) que j’ai eu l’idée de ce livre : il m’a raconté le moment où il a reçu son premier ordre d’exécution, c’est-à-dire quand où on lui a donné un morceau de papier indiquant la date et l’heure de sa mort. Cela faisait le lien entre race et terreur. Il avait été membre des Black Panthers et il a longtemps été persécuté par la police de Philadelphie. Ils voulaient vraiment le tuer pour des motifs politiques. À ce moment, j’ai compris que je pouvais étudier l’origine de ce lien, autrement dit les rapports entre race et terreur – qui ont vraiment commencé sur le négrier. Cela m’a pris du temps, car c’était un vrai défi. L’intérêt de nombreux prisonniers pour ce livre a beaucoup compté. J’ai échangé avec beaucoup d’entre eux ; j’ai reçu de nombreuses lettres de détenus des prisons de Pennsylvanie me demandant de donner des exemplaires du Négrier aux bibliothèques des prisons, ce que j’ai toujours fait avec plaisir. En tant que chercheur invité à l’université de Cornell, j’ai participé au programme d’éducation carcérale à Auburn [prison de l’État de New York construite au début du XIXe siècle]. J’étais allé parler devant un petit groupe de prisonniers sur un autre sujet, la piraterie, mais, vers la fin de la réunion, un des plus anciens prisonniers (et l’un des plus respectés) m’a demandé de revenir pour parler du Négrier devant un groupe plus important. J’ai dit oui, bien sûr, sans vraiment croire que cela arriverait un jour. Au moment où je partais, un prisonnier est venu me voir et m’a dit : « Vous savez, pour nous, cet endroit, c’est le négrier moderne ». Je le savais, mais cela reflétait directement les continuités de l’histoire. Lorsqu’enfin j’ai pu donner cette conférence, malgré des mesures de confinement imposées en parallèle (certains prisonniers pensaient que c’était à cause de la conférence, à cause de leur désir d’y assister), j’ai parlé devant un public d’environ 80 personnes. Après la conférence, un prisonnier s’est levé et m’a posé l’une des meilleures questions que l’on m’ait jamais posées. Il m’a dit – c’était d’ailleurs un prisonnier blanc : « OK. Donc, nous savons que l’incarcération violente est un élément central de l’histoire américaine, depuis ses débuts, sur les négriers, jusqu’à maintenant, ici, là où nous sommes, dans la prison d’Auburn. Comment comprendre cela ? Quelle signification pour l’histoire américaine ? » Nous en avons parlé pendant le temps qui restait. Cela a été l’une des meilleures discussions que j’ai eu le privilège d’avoir à propos du livre. La Vie des Idées : Comme vous le rappelez, 14 millions de personnes ont été réduites en esclavage entre la fin du XVe siècle et le début du XIXe siècle. Environ 5 millions sont mortes pendant leur transport en Afrique, pendant le passage du Milieu (la traversée de l’Atlantique à bord du négrier) ou au cours de la première année dans les Amériques. C’est une tragédie monstrueuse. Malheureusement, comme vous le dites au début de votre livre, les statistiques tendent à effacer la violence des razzias, de la mise en l’esclavage, de la torture et de la mort précoce. D’où l’ethnographie du négrier ; d’où l’« histoire humaine » que vous avez écrite. Souhaitiez-vous ramener de l’humanité dans une histoire déshumanisée par les tableaux de chiffres ? La violence que vous racontez est-elle un antidote à une autre violence, la « violence de l’abstraction » [1] ? Marcus Rediker : La mise en esclavage de 14 millions de personnes en Afrique a causé immédiatement 5 millions de morts. Entre 9 et 10 millions d’esclaves ont donc été livrés vivants aux Amériques. C’est un événement d’une brutalité et d’une violence extraordinaires, qui joue un rôle central dans l’histoire moderne. D’où la question : l’approche statistique de ce grand sujet, la traite transatlantique, participe-t-elle d’une certaine manière à cette violence, en masquant la tragédie humaine, en édulcorant la réalité ? La réponse que je donne à cette question est oui. C’est le cas et ça l’a été. Il est intéressant de noter que les méthodes statistiques modernes trouvent leur origine chez les marchands, qui calculaient le tonnage des navires et leurs propres statistiques pour s’abstraire de l’atrocité humaine qu’ils étaient en train de créer. Je crois donc qu’il est nécessaire, pour nous, d’avoir une histoire humaine, afin de pouvoir nous atteler aux conséquences humaines de la traite des esclaves, qui sont encore présentes aujourd’hui. Je suis convaincu que nous vivons avec ces conséquences chaque jour, dans chaque pays occidental impliqué dans la traite des esclaves et, en tout cas, en Afrique. La Vie des Idées : Tout le monde sait que l’esclavage crée un monde de violence, d’humiliation et de terreur. Mais vous montrez que cette violence est aussi présente à bord du négrier. Elle est incarnée par le fouet, le « chat à neuf queues », par les poucettes, les menottes et même les requins qui entourent le navire. Pourtant, il arrive que les esclaves se révoltent. D’un côté, une violence terrible ; de l’autre, une capacité de résistance (agency). Ce couple est-il une des découvertes du livre ? Marcus Rediker : Il faut comprendre que le système de l’esclavage était fondé sur la violence et la terreur du début à la fin, depuis l’asservissement en Afrique de l’Ouest jusqu’à la plantation, en passant par le voyage à bord du négrier. Les capitaines et les équipages ont usé d’une violence extrême pour contrôler ces millions d’Africains en transit vers le Nouveau Monde. Les formes de violence comprenaient le fouet, les poucettes de torture et autres instruments : menottes, fers, colliers, ce que j’appelle la « quincaillerie de l’asservissement ». Toutes ces choses avaient un rôle très important à jouer dans le fonctionnement du négrier. Mais l’une des découvertes les plus importantes de mon livre, c’est que, malgré cet effort calculé pour les terroriser, les Africains du pont inférieur se sont battus, dans les circonstances les plus extrêmes. C’est d’ailleurs la seule qualité rédemptrice de cette histoire tragique : le fait que rien, ni la terreur, ni l’utilisation des requins autour du bateau, à qui l’on jetait tous les jours des cadavres, rien n’a vaincu l’esprit de combat et le désir de ces Africains d’être libres. Même dans des situations où ils n’avaient aucune chance de l’emporter – s’ils prenaient le contrôle du bateau, ils ne savaient pas comment le piloter –, ils continuaient à se battre. Parfois, ils se suicidaient en masse, pour que leur esprit puisse rentrer chez eux, en Afrique. Il y a donc l’expression puissante d’un pouvoir d’action d’en bas, littéralement des ponts inférieurs du négrier, contre cette logique de violence et de terreur extrêmes, qui était censée écraser tous ces gens captifs. La Vie des Idées : Benito Cereno, la nouvelle de Melville publiée en 1855, se passe en 1799 et raconte comment des esclaves africains se révoltent et tuent une partie de l’équipage blanc. Y a-t-il un parallèle entre votre récit et les comptes rendus littéraires ? En écrivant À Bord du Négrier, j’avais beaucoup en tête la littérature maritime : des gens comme Herman Melville, qui s’était penché de très près sur la vie en mer, qui avait lui-même été marin pendant de nombreuses années et avait écrit sa nouvelle, Benito Cereno, inspiré par une révolte d’esclaves qui avait eu lieu à la même époque. Nous voyons que le négrier hante les écrivains de l’époque, tout comme il hante des sociétés entières, hier comme aujourd’hui. Il y a un roman sur la traite des esclaves, de Barry Unsworth, intitulé Sacred Hunger [2], qui a remporté le Booker Prize en 1992. C’est un livre magnifique sur l’histoire d’un négrier. D’ailleurs, je ne me suis pas autorisé à le lire pendant que j’écrivais le mien, de peur d’être démoralisé par le talent avec lequel il a saisi la réalité des marins et des esclaves, ainsi que l’horreur du navire. Cette histoire de l’esclavage a eu une influence profonde, à travers la littérature, les romans, la poésie. C’était vrai aussi des écrivains romantiques de la fin du XVIIIe siècle : ils étaient tous très influencés par cela. Coleridge et Wordsworth étaient tous deux de bons amis de Thomas Clarkson [un grand abolitionniste britannique]. Nous voyons que la magnitude de la traite crée des grondements, crée des échos, crée toutes sortes d’effets dans tous les types d’art : en peinture, en poésie, en musique et dans le roman. La Vie des Idées : Les abolitionnistes ont commencé leur action dans les années 1770. Vous racontez le destin du Brooks de Liverpool, à travers le célèbre dessin représentant le navire, avec les esclaves disposés symétriquement, comme des sardines. Quelle a été la stratégie des abolitionnistes ? Marcus Rediker : La façon dont les abolitionnistes ont décidé de combattre la traite est un élément très important de cette histoire. D’abord dans les années 1770, puis plus formellement dans les années 1780, ils ont fondé une organisation pour mettre fin à la traite des esclaves. Très vite, en Grande-Bretagne, ils ont réussi à obtenir un consensus national sur le fait qu’il fallait abolir la traite. Mais ils avaient un dilemme. Ce dilemme, c’était que de nombreuses personnes en Grande-Bretagne étaient liées à la traite ; mais très peu de gens en comprenaient le fonctionnement. Les abolitionnistes pensaient donc qu’il fallait la rendre concrète pour les gens. Comment rendre réelle la traite des esclaves ? Ils ont trouvé une solution géniale : ils ont envoyé l’un des leurs à Liverpool, afin de prendre les mesures d’un négrier qui s’appelait le Brooks, puis ils ont dessiné un schéma, dans lequel les corps des Africains asservis étaient disposés symétriquement, pour communiquer ce que pouvait être l’horreur de tous ces gens comprimés dans un espace aussi petit. Source : culturalfront William Wilberforce a dit : « Le monde n’a jamais connu autant de misères dans un espace aussi petit ». En faisant circuler cette image d’une personne à une autre, les abolitionnistes ont réussi à éveiller un sentiment d’opposition, un sentiment d’indignation, le sentiment que c’était moralement injuste, que c’était une tragédie humaine. Cette image est devenue un élément très important de leur campagne victorieuse. N’oublions pas, non plus, que la plupart des abolitionnistes était des gens de la classe moyenne ou supérieure. Même eux ne savaient pas exactement comment fonctionnait la traite. Thomas Clarkson, qui joue un rôle très important dans mon livre, est allé à Bristol et à Liverpool. Il a parcouru les quais pour récolter des informations auprès de marins ayant travaillé dans la traite des esclaves. Ce sont ces marins qui l’ont éduqué, qui lui ont permis de comprendre ces horreurs d’une façon vraiment concrète et personnelle, et cela lui a ensuite permis d’éduquer un public plus large sur la traite des esclaves. Il n’y a donc pas eu seulement une abolition en soi, mais une abolition venue d’en bas, de ces marins dissidents qui ont raconté leur histoire à des gens comme Clarkson. La Vie des Idées : Vous soulignez les lacunes de la documentation, le manque de sources, de récits ou d’autobiographies relatives à l’expérience des esclaves (il y a des exceptions, comme le livre d’Equiano). Pourtant, vous réussissez à décrire les épreuves et les souffrances des esclaves. Marcus Rediker : Le plus gros défi, en écrivant À bord du négrier, a été de trouver des sources adéquates – des sources d’un type spécifique, il faut le préciser. Le côté commercial de la traite a engendré une quantité de documents énorme, mais ce sont en général des documents secs, statistiques, inhumains, que je voulais justement éviter. La question était donc : quels autres documents y a-t-il ? J’avais un avantage important : avant de commencer ce livre, j’ai travaillé pendant trente ans dans les archives maritimes. C’était un excellent point de départ. J’avais déjà découvert, lu et étudié nombre d’affaires judiciaires liées à des négriers. J’avais lu des récits de voyage. J’avais récolté un grand nombre de documents. D’ailleurs, ce n’est pas le genre de sujet où l’on se dit un jour : « Tiens, je vais étudier le négrier ! » Il fallait cette expérience pour que cela devienne possible. Ceci dit, l’horreur de la traite vient aussi de la destruction systématique des identités africaines. Voici un exemple de ce processus : nous savons qu’un million de personnes, un million d’âmes, comme on disait, sont passés par le port d’Ouidah au Bénin. Sur ce million de personnes, nous avons les témoignages à la première personne de seulement deux individus. La destruction de la culture, des noms, des histoires, des contextes, est donc un élément important de cette histoire. Je dois avouer que j’ai passé plusieurs années à me demander si je pourrais mener à bien ce projet, parce que je n’étais pas sûr de pouvoir rendre justice à tous ces gens emprisonnés sur les ponts inférieurs. Finalement, j’ai décidé qu’il valait mieux tenter et échouer que ne rien tenter du tout. Mais, en faisant ce travail et en m’éduquant moi-même au sujet des sociétés africaines, j’ai vu qu’il était possible de reconstruire la logique culturelle de leur expérience et surtout de leur résistance. Nous avons des conteurs éloquents, comme Olaudah Equiano, qui nous a laissé un témoignage remarquable sur la traite des esclaves, mais j’ai vu qu’il était possible de reconstituer d’autres histoires, de voir comment ces Africains pensaient leur propre expérience. La Vie des Idées : Vous écrivez : « Se focaliser sur le navire négrier multiplie et diversifie les protagonistes du drame et, depuis le prologue jusqu’à l’épilogue, complique le drame lui-même. » Qui est finalement le héros du livre : l’esclave anonyme ou le bateau lui-même ? Marcus Rediker : Le type d’histoire que je pratique et que j’ai écrit pendant toute ma carrière, c’est l’« histoire par le bas ». On l’appelle parfois « histoire populaire ». C’est une histoire sociale qui met l’accent sur le pouvoir qu’ont les exclus d’influencer le cours de l’histoire. D’une certaine manière, ce livre était le test ultime de l’histoire par le bas – littéralement vue depuis le pont inférieur. Est-il possible de reconstituer la pensée, l’action de ces gens dont on a gardé si peu de traces ? Pouvons-nous vraiment comprendre leurs vies, leurs choix limités, ce qu’ils ont fait, comment ils l’ont fait, et quel impact ils ont eu sur l’esclavage en tant que système ? Il était aussi essentiel de savoir que nous avons des centaines d’études sur la plantation, clairement l’une des institutions de l’esclavage moderne, mais seulement trois ou quatre sur ce qui constituait l’autre institution majeure : le négrier. Or il n’y a pas de plantations sans négriers. La raison du petit nombre d’études sur le négrier devenait une question intéressante, et j’ai voulu remplir ce vide avec une ethnographie du navire, pour montrer que des processus historiques ont lieu en mer. La formation de nos cultures, de nos races, de nos classes sociales, se déroule en mer. Nous devons l’étudier et le comprendre, car c’est un élément essentiel de ce que sont les Africains et de ce qu’ils vont devenir. Un des arguments du livre est que, d’un point de vue africain, c’est une sorte de conscience panafricaine qui se développe sur le pont inférieur : des gens de cultures différentes se rencontrent. Mais, vu de la rive ouest de l’Atlantique, c’est là l’origine de la culture afro-américaine. Pour moi, les héros de l’histoire sont ceux qui ont souffert la terreur, se sont battus, ont enduré les épreuves. Je crois vraiment que c’est le message moral le plus important que le livre peut offrir. Je pense aussi qu’il est important que tous les pays impliqués dans la traite des esclaves paient des réparations aux gens qui ont subi cette violence et cette terreur extrêmes. La Vie des Idées : Vous recourez souvent à l’empathie pour décrire l’expérience des marins blancs, misérables et exploités, ainsi que celle des esclaves africains, femmes, hommes, enfants. De ce point de vue, matelots et esclaves sont du même côté. En revanche, le capitaine est exclu de cette sympathie. On a l’impression que vous ne vouliez pas vous glisser dans sa peau. C’est parfaitement compréhensible d’un point de vue moral, mais cela pourrait sembler une omission d’un point de vue épistémologique. Marcus Rediker : En abordant l’histoire du négrier, l’un de mes objectifs était de comprendre l’expérience de tous les gens qui s’y sont trouvés : ces millions d’Africains multiethniques, les équipes bigarrées, elles-mêmes composées de nombreuses nationalités différentes, parmi lesquelles des marins africains et des officiers, surtout les capitaines. En étudiant le négrier comme système social, je voulais comprendre l’expérience de tous ces gens. Et je pense avoir réussi. Je pense avoir expliqué comment ils sont arrivés là et pourquoi. L’origine de ma sympathie pour les Africains est évidente : presque aucun d’entre eux n’a choisi d’être là. C’était une migration forcée. J’ai découvert que de nombreux marins avaient aussi été forcés d’aller sur les négriers. On les avait racolés, ou des capitaines les avaient poussés à s’endetter, puis forcés à s’enrôler. Nombre de marins ne voulaient pas aller en Afrique, car ils savaient que beaucoup de marins y mouraient. Une autre découverte du livre, c’est que les marins mouraient au même rythme que les Africains. Peu de gens le savent. La côte ouest de l’Afrique était un danger mortel pour les marins européens. J’avais donc beaucoup de sympathie pour ces gens, à cause de la façon dont ils ont échoué sur le navire. J’ai aussi expliqué pourquoi les capitaines se sont retrouvés là. Mais j’insiste sur le fait qu’ils y étaient par choix. Et ils furent généreusement dédommagés pour avoir fait ce choix. Les marins ne gagnaient presque rien, et les esclaves rien du tout. Les capitaines de négrier pouvaient gagner, en un seul voyage, l’équivalent de 300 ou 400 000 dollars d’aujourd’hui. C’était simplement un choix économique de leur part. Mais je ne pense pas que cela m’ait poussé à évaluer différemment leur rôle sur le navire. J’ai essayé de comprendre ce qu’être capitaine d’un négrier voulait dire. L’un de mes arguments, c’est que la violence du capitaine n’était pas une faute morale individuelle ; c’était une exigence du poste. C’était une « qualité » exigée par la division du travail dans l’économie capitaliste internationale. Même si j’ai plus d’empathie pour certains groupes que pour d’autres, j’espère avoir convenablement montré les motivations de chacun et l’expérience de chacun une fois que tout le monde était à bord. La Vie des Idées : Est-ce que le négrier appartient au passé ? Marcus Rediker : Nous faisons une erreur fondamentale si nous pensons que l’esclavage relève du passé lointain, si nous partons du principe que les négriers ne naviguent plus. Au contraire, ils naviguent toujours. Ils sont encore en nous, comme un spectre dans notre conscience, qui nous hante d’une manière que nous ne comprenons pas complètement. Cette réalité du négrier et de l’esclavage continue à vivre, dans une inégalité structurelle profonde, dans la pauvreté, l’inégalité, la discrimination. Nous oublions que l’institution de l’esclavage n’a été abolie que très récemment. Cela ne fait que quelques générations ! Les historiens commencent à penser la traite et l’esclavage de façon nouvelle. Ce n’est pas une page malencontreuse de notre histoire, ce n’est même pas une simple atrocité. C’est un crime contre l’humanité. Cela signifie que cette histoire a un impact non seulement sur ses propres générations, mais sur les générations successives pendant des siècles. C’est le cas pour la traite des esclaves : nous en vivons encore les conséquences, et nous devons agir pour surmonter cette histoire. par Ivan Jablonka & traduit par Kate McNaughton |
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