Puis quatre jours s’écoulèrent après la mort des deux panthères. Le drame de leur carnage était encore dans toutes les mémoires. Les média s’emparèrent de l’événement. Comme pour exorciser la peur ambiante, on célébrait la bravoure du Président tueur de Panthère. Cette célébration faisait suite à celles des nombreuses messes et prières de soutien au chef de l’Etat, depuis les affaires d’empoisonnement ou de coup d’Etat qui empoisonnaient la vie politique du pays et salissaient son image à l’extérieur. Le chef de l’état était consacré grand héros national. Les images du Président, fusil au point terrassant les bêtes qui hantaient la population s’étalaient dans tous les journaux sous contrat, et même les quelques rares qui, comme La NT ne l’étaient pas, ne se gênaient pas de tirer profit commercial et éditorial de l’exploit ; la scène de l’expédition sécuritaire passait en boucle sur les chaines de télévision de l’ORTB, de Golfe Télévision, de Canal 3 dont le Président, Monsieur Salley, venait de passer dans la mouvance présidentielle moyennant un effacement d’une ardoise fiscale de 8 milliards. A en croire l’image donnée par les média stipendiés et l’ORTB, tout le pays était fier du Président Yayi Boni. Les commentateurs les plus avertis, remontant le plus loin dans l’histoire du pays, ne trouvaient pas son pareil, en dehors de Béhanzin, Bio Guerra et peut-être de Kaba. L’homme était venu au pouvoir de façon inattendue, comme un don de Dieu au Peuple pour l’aider à sortir de sa misère chronique. Ce salut qui était placé sous le signe du changement exigeait de lourds sacrifices. Il fallait revoir nos façons de travailler, et remettre au centre le principe de la responsabilité individuelle et collective en politique. La corruption qui avait jusque là gangrené l’économie devait être éradiquée. Si la politique était l’art de distribuer les honneurs et les profits, il fallait faire en sorte que désormais cet art ne soit pas le but de lui-même mais concourt d’abord et avant tout au bien-être du peuple, au progrès du pays. Ce qu’on appelait émergence dans tout le pays. Et le peuple attendait cela, espérait cela avec confiance. Mais malheureusement, il n’en a rien été. Tout ce rêve n’était que miroir aux alouettes. Entre tyrannie, scandales et corruption à la chaine, la confiance fut très vite trahie. Voici comment un opuscule publié par un collectif de la diaspora du nom d’Emile Zolaciaji décrivait la situation du Bénin : « Comment un homme qui n'a jamais fait la politique, peut-il du jour au lendemain devenir président de la République ? Cette question de bon sens n'avait pas effleuré l'esprit des intellectuels ou des acteurs politiques alliés, engoncés dans l'éthique de l'oiseau rare ; sans parler même du peuple qui était obnubilé par le souci du mieux vivre et pour qui l'équation : " PDG de la BOAD = Richesse Pour Tous Assurée " était prise à la lettre et au premier degré. Yayi Boni apparut d'entrée comme un président hyperactif, présent sur tous les fronts et allant jusqu'à court-circuiter le fonctionnement rationnel de l’action gouvernementale. Un président volontariste qui lançait des initiatives sans lendemain et multipliait des promesses irréalisables. Au début, ce défaut, loin d'être vu comme une tare, a été mis au compte de son pragmatisme ou de son inexpérience. Mais avec le temps, le caractère s'affirma. Le travers s'aggrava. Peu à peu, ce qui paraissait virtuel dans ce nouveau président, son style, sa méthode, sa conception du monde et son tempérament, s'actualisa. L'absurde le disputait au cauchemar. De leurs yeux, Les Béninois se rendaient compte enfin que par rapport à Kérékou, ils avaient été victimes d'un marché de dupes, induits à troquer le mal contre le pire. Et, comme si cela ne suffisait pas, vers la fin du premier mandat de YAYI Boni, alors que la constitution lui donnait l'occasion de rectifier son erreur, le peuple a subi une violence symbolique inouïe : le holdup électoral qui, en maintenant YAYI Boni au pouvoir comme si de rien n'était, sanctionna la rupture du lien conditionnel entre réélection et bilan présidentiel. Or, six ans après son arrivée «providentielle » à la tête du Bénin, ce bilan n'a rien de reluisant. Au contraire il est navrant pour le peuple, abandonné à son sort et dans une misère croissante ; il est révoltant pour la dégradation morale de la société, la mise en danger de la cohésion nationale, l'amplification exponentielle de la corruption et de l'impunité dont les signaux les plus affligeants viennent du sommet même de l'État ; enfin, ce bilan est inquiétant pour la démocratie et l'avenir du Bénin. A l’instar du caractère ubuesque de l'actualité, le bilan de Yayi Boni est catastrophique dans tous les secteurs de la vie sociopolitique. Sur le plan économique, rien qu'en Afrique de l'Ouest, le Bénin fait figure de lanterne rouge des économies de l’UMOA. Le taux de croissance promis à deux chiffres dans l'euphorie de 2006 reste désespérément cloué à moins de 3% dans ses estimations les plus optimistes. La gestion du coton et du Port autonome de Cotonou qui sont les deux mamelles du budget national semble frappée d'une fatalité de contre-performance et de désordre irrémédiables. Sur le plan démocratique, le recul du Bénin est alarmant : la presse est malmenée ou mise au pas. Les libertés publiques sont piétinées; l'incarcération est devenue une méthode d'épuration politique ; fantaisistes et souvent espiègles, les procès politiques sont légions et touchent aussi bien les journalistes, les syndicalistes que les hommes politiques rebelles au pouvoir. La justice est aux mains du pouvoir et ses procédures, soumises au bon vouloir du président qui condamne, détermine les peines et gracie à convenance. À l'instar de la justice, et d'une manière systématique, toutes les institutions de la République sont instrumentalisées en raison de l'antidémocratisme viscéral de M. YAYI Boni et de sa conception parodique de la vie sociopolitique. Sur le plan éthique et de la moralité de la vie publique, la corruption et l'impunité ne se sont jamais aussi bien portées. » Le Collectif Emile Zolaciaji a tout dit. C’est dans ce climat des plus déprimants que l’occasion s’offrit à Monsieur Yayi de reprendre l’initiative, et d’attacher son nom à un acte héroïque susceptible d’insuffler au peuple une espoir qu’il avait perdu. L’occasion était trop bonne pour ne pas être saisie. Avec cette occasion, à l’image du Président médiocre, tyrannique et corrupteur, allait se substituer celle du Président tueur de Panthère. C’est-à-dire en somme l’image d’un Président protecteur de son peuple. L’affaire avait vite pris une tournure internationale. Les pays frontaliers du Bénin craignaient que cette histoire de panthère ne déborde sur leur territoire. Le Nigéria, notre grand voisin de l’est avait pour cela avancé les frontières de 1500 mètres à hauteur de Pobè pour s’assurer à nos dépens d’un périmètre de sécurité. Mais le mal semblait circonscrit ; comme l’événement avait un caractère occulte, les pays voisins se sentaient plus ou moins à l’abri d’un fait qu’ils tenaient pour typiquement propre au pays du vodou. La fébrilité des médias avait fini par donner à l’affaire une dimension mondiale. Ainsi, en dehors des pays africains, l’événement attira l’attention des Occidentaux, Europe, Amérique, et Japon. Dans ces pays, les médias relayèrent la mort des panthères. L’opinion occidentale était partagée entre exotisme et consternation. En Europe, les associations de défense des animaux, au mépris des impératifs de sécurité des Africains, s’insurgeaient contre ce que certains qualifiaient de mise à mort rituelle à des fins politiques. Mais les Béninois, médias, milieux politiques et opinion, méprisaient cette vision facile des choses qu’ils jugeaient passablement bourgeoise pour ne pas dire raciste ; bien au chaud dans leur bulle, en dépit de leur déception depuis 2006 où il s’introduisit dans leur vie politique, ils vivaient l’exploit de leur Président comme le signe emblématique d’une possible lueur d’espoir dans le changement qui de guerre lasse s’appelait maintenant Refondation Nous en étions là lorsque quatre jours après le geste héroïque du Président, à Porto-Novo, on signala la présence de quatre panthères identiques en tout point aux deux tuées, à ceci près qu’elles étaient deux fois plus robustes que les précédentes et dépassaient en taille même de grands ours. Pour des panthères, c’était du jamais vu. Certains biologistes et mathématiciens émirent l’hypothèse savante de ce qu’ils appelaient un « clonage homothétique » ; mais à ces mots obscurs on aurait pu ajouter aussi ceux de « panthère à réaction » car une chose était sûre, cette nouvelle apparition de panthères était bel et bien une réaction à la mort des premières. Et du reste, les désignations scientifiques, aussi ingénieuses soient-elles, ne disaient rien sur l’origine de ces panthères qui continuaient de faire des ravages dans le pays. En effet, comme il fallait s’y attendre, la découverte s’était signalée par un carnage. Les quatre panthères avaient fait leur apparition aux quatre coins du marché de Djassin vers les environs de dix heures. Et, aux dires des témoins et rescapés du drame, ils s’étaient jetés sur la foule des marchands et acheteurs, pris en tenaille, massacrant des dizaines d’hommes et de femmes, déchiquetant les chairs et faisant valser les têtes de-ci de-là. Et, cerise sur le gâteau, comme lors de la dernière attaque de panthères, elles avaient épargné les bébés et les enfants d’un certain âge pour lesquels elles débordaient d’une tendresse d’autant plus paradoxale, qu’elles venaient de tuer leurs mères et pères avec une bestiale sauvagerie. Les Forces de sécurité ayant été appelées à la rescousse, les quatre félins monstrueux se replièrent du côté d’un petit marigot dont les eaux s’enfonçaient dans les futaies pour rejoindre un affluent de l’ouémé. Là, elles se désaltérèrent abondamment comme si le sang des humains qu’ils venaient de boire n’avait pas étanché leur soif. Un peu avant le marigot, se trouvait une place circulaire qui servait d’annexe au marché et où les vendeuses de poissons venaient attendre les pêcheurs pour acheter les produits frais de leur pêche matinale. Quelques heures après le carnage, la place était prise d’assaut par une foule nombreuse qui débordait jusque dans la brousse. Une partie de ce monde venait de Porto-Novo et une plus grande encore de Cotonou. Les services sanitaires et de sécurité ayant crée un cordon sanitaire autour du marché, la foule avait fait un large détour pour prendre d’assaut la place et les abords qui donnaient sur le marigot. Les médias qui ne tarissaient pas de commentaires sur l’exploit du Président dans la forêt de Kandofi avaient coup sur coup annoncé le drame et l’arrivée du chef de l’Etat à la tête d’une nouvelle expédition encadrée par un détachement de militaire en arme. Cela expliquait toute cette fièvre de la foule qui, avide d’assister à un nouvel exploit du Président, semblait ne plus se soucier du carnage et des restes de corps humains qui exhalaient tout autour un relent fétide. L’arrivée du Chef de l’Etat fut annoncée par des sirènes. Lorsque le Président fit son apparition, les forces de sécurité lui ouvrirent un passage dans la foule et le conduisirent jusque devant le marigot où les panthères avaient disparu. Comme s’il était un personnage monté sur scène et que toute la place eût été un théâtre bondé, le Chef de l’Etat déclencha aussitôt une ovation collective parmi la foule. « Yayi le Magnifique ! Yayi le Courageux !» criait la foule en applaudissant à tout rompre. Le Chef de l’Etat laissa la foule à sa joie un certain temps, puis lorsqu’elle se calma, il salua d’un large geste de la main avant d’entrer en conciliabule avec les forces de sécurité. Comme le Président était lui-même en tenue militaire, on avait du mal à le distinguer des autres généraux qui l’entouraient. Mais lorsque arme au point le Président qui avait chaussé de hautes bottes entra dans le marigot accompagné par une escouade de militaires armés, la foule n’eut aucun doute sur l’identité de celui qui menait l’opération. Alors, elle reprit de plus belle son ovation et ses cris : « Yayi le Magnifique ! Yayi le Courageux !» Le sous-bois qui entourait le marigot était sombre, et le sentier qui conduisait vers l’affluent était étouffé par les herbes. Puis au bout d’une dizaine de mètres, il débouchait sur une étendue plus vaste et éclairée. C’était là que les quatre félins avaient trouvé refuge. Comme le bras de marigot était en courbe et le sous bois obscur, seuls le Chef de l’État et les quatre militaires de sa suite étaient témoins du face à face dramatique avec les félins. Mais le chef de l’Etat et sa suite entendaient les clameurs de la foule et ses encouragements atténuaient leur isolement dramatique. Aussitôt qu’ils virent les hommes, les panthères dont les têtes étaient jusque là à ras disparurent au fond de l’eau. Et, comme l’ombre portée des hautes herbes qui recouvrait la surface de l’eau se mariait au noir de leur robe, elles restèrent invisibles. Le Président et ses hommes attendirent dans une relative incertitude. A suivre Par Nestor Vobogo (sur une idée de Binason Avèkes) |
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