Par Harold E. Acemah*
Dans son ouvrage fondateur, Africa Must Unite, Kwame Nkrumah avait prédit à la veille de la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) en mai 1963, la catastrophe à laquelle ferait face l'Afrique si elle n’était pas politiquement unie. Il a averti que si les pays africains ne faisaient pas face aux menaces évidentes et graves posées par le néo-colonialisme avec un front uni et sur la base d'une politique économique et de défense commune, ils seraient pris un à un dans le piège destructeur du néocolonialisme. Trois ans plus tard à peine, cette prédiction se concrétisa en Janvier et Février 1966, au Nigeria et au Ghana, respectivement. L'argument de Nkrumah ne fait pas l’impasse sur la contribution des facteurs nationaux à la catastrophe politique et économique qui sévit en Afrique sur une période importante de l'ère postcoloniale, mais toujours est-il que le néo-colonialisme, directement et indirectement a eu un impact très négatif sur l'Afrique, et les masses africaines ont payé un prix élevé pour le manque d'unité politique et de vision au niveau national comme au niveau continental.
Dans ce contexte, la tragédie du Nigeria dans le cadre du panafricanisme est que ce pays qui est le plus peuplé d'Afrique et l'un des plus riches, n'a pas encore réussi à assurer un leadeurship efficace et comparable à l'action conduite au Ghana dans la lutte pour l'indépendance politique durant les années 1950 et 1960. A l’Indépendance du Ghana le 6 Mars 1957, Kwame Nkrumah a précisé que « l'indépendance du Ghana n'aurait aucun sens si elle n’était liée à la libération totale de l'Afrique du joug du colonialisme». Et il n'a ménagé aucun effort dans la réalisation de ce noble objectif. Par exemple, en Avril 1958, le Ghana a accueilli la première conférence des rares Etats africains indépendants, pour discuter de la coopération entre eux. Puis en Décembre 1958, Nkrumah a convoqué une Conférence panafricaine des peuples à laquelle ont assisté 62 mouvements de libération nationale de toute l'Afrique. En Novembre 1959, les délégués des syndicats de toute l'Afrique se sont réunis à Accra en vue de fonder une union syndicale panafricaine ; et enfin en Juillet 1960, une conférence des femmes africaines a été accueillie par le Ghana pour discuter des problèmes communs tels que la liberté, l'unité et la besoin de progrès socio-économique en Afrique. A l'ONU, le Ghana a joué un rôle essentiel dans l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1960 de la "Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux» qui a accéléré le rythme des indépendances en Afrique et ailleurs dans le tiers monde. Si le Nigeria avait eu de grands leaders et visionnaires de la trempe de Nkrumah, quelle différence majeure ce serait pour la deuxième phase de la lutte de la libération de l'Afrique, à savoir la lutte pour l'émancipation économique et l'autosuffisance ! Au lieu de dépendre constamment de la charité de l’aide et de dons, l'Afrique aurait pu faire un meilleur usage de ses immenses ressources humaines et naturelles pour parvenir rapidement et de façon significative au développement économique et social pour tous les Africains. Hélas, aujourd'hui, alors que le reste du monde avance, la plupart des pays africains stagnent sinon régressent ! Contrairement au Ghana durant la première phase de la lutte pour la libération de l'Afrique, le palmarès du Nigeria au cours de la deuxième phase de la lutte de l'Afrique laisse beaucoup à désirer. Comme la plupart des pays africains, le Nigeria a été miné par la mauvaise gouvernance avec une série de coups d'Etat militaires, une guerre civile tragique (1967 - 1970) qui a presque déchiré le pays en morceaux et la corruption endémique sur une échelle gigantesque, symbolisée par le cas de l'ancien ministre Umaru Dikko qui est accusé d'avoir détourné 1 milliard de dollars au Trésor du Nigeria! Comme l’a fait remarquer l’ancien Président Obasanjo «l'avenir de l'Afrique réside dans une coopération économique accrue et, finalement, dans l'intégration. » Traduire ces idées dans la réalité exige un bon leadeurship de la volonté politique, l'engagement, l'intégrité et la vision ; toutes choses qui me font penser à une question pertinente du grand écrivain Chinua Achebe, qui vient de nous quitter, question posée aux nombreux hommes et femmes de conscience réfléchis et talentueux du Nigeria. «Pourquoi est-ce que tous ces patriotes ont si peu d'impact sur la vie de leur pays? » Les raisons sont nombreuses et variées, mais à vrai dire, la plupart des problèmes économiques, politiques et sociaux de la période postcoloniale du Nigeria et de nombreux pays d'Afrique ont été causés par la petite élite instruite de l'Afrique qui opposent le déni de leur responsabilité. Préférant plutôt chercher des boucs émissaires commodes comme le colonialisme, les régimes passés, le tribalisme, l'opposition, les saboteurs, les terroristes et même des marchands de rumeurs! La triste vérité est que les classes dirigeantes de l'Afrique sont la principale cause de la tragédie humaine honteuse de l'Afrique. A suivre.
Traduit et Adapté par Binason Avèkes
* M. Acemah est politologue, consultant et diplomate de carrière à la retraite. [email protected]
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