Monsieur Sanusi Lamido, l’actuel Gouverneur de la Banque Centrale du Nigeria n’a pas sa langue dans sa poche. Loin de la réserve des Banquiers centraux plus occupés à frapper monnaie que l’opinion par leur discours, il parle haut et fort. Et n’hésite pas à mettre son grain de sel dans la sauce politique du Nigeria, au goût frelaté et à la cuisson si controversée. Entre partis pris flagrants et vérité à double sens, Monsieur Sanusi Lamido ne parle pas en l’air. Car au fil du temps ses paroles tissent le nid d’une ambition politique qui crève les yeux. Naguère, il a annoncé à grand cri sa décision de ne plus renouveler son mandat à la tête de la Banque Centrale, lorsque celui-ci viendrait à expiration en 2014. Décision salubre peut-on dire de la part de celui dont la durée à la tête de l’institution bancaire du Nigeria commençait à prendre les allures d’une personnification indécente. Mais c’est que Monsieur Sanusi Lamido est assez intelligent pour connaître les limites de la décence. Et son effacement annoncé colle à sa volonté à peine cachée de revenir par la grande porte politique. Ses interventions dans le débat politique, et le caractère souvent polémique de ses propos en font foi. Il y a quelque temps, autour de la problématique du terrorisme dans le Nord du pays dont il est issu, et sur la question de ses causes, Monsieur Lamido à l’instar d’autres congénères du Nord, n’a pas hésité à emboucher la trompète sur le thème de la frustration économique du Nord comparé au sud. La fameuse redistribution de la rente pétrolière est pointée du doigt par le Banquier, qui estime comme plus d’un Nordique, que la clé de distribution défavorise le Nord. Argument douteux et facile, et ce au moins pour deux raisons.. D’une part, dans la mesure où le Centre et le Nord du Nigéria étaient pendant la période coloniale et un peu après des bassins de production agricole et industrielle dynamiques et prometteurs, qui ont peu à peu perdu leur vocation ; d’autre part sur le plan politique, en cinquante ans d’indépendance, le pays a été dirigé près de 40 ans durant par des hommes politiques du Nord. Dans un pays où la culture régionaliste laisse penser qu’il suffit que les hauts dirigeants du pays soient d’une région donnée pour que celle-ci puisse tirer son épingle du jeu, grand est l’étonnement de voir que les populations du Nord du Nigeria dans leur écrasante majorité n’ont en rien profité des promesses de ce discours fallacieux et démagogique. Pendant ce temps, les hommes politiques du Nord, comme des autres régions, se sont enrichis au-delà de toute décence et de toute imagination. Pointer du doigt l’injustice de la clé de redistribution de la manne pétrolière et d’une manière générale l’insuffisance de l’Etat dans le développement du Nord n’est qu’une manière de cacher l’irresponsabilité de ceux qui ont promis représenter les intérêts d’une région, et qui en fin de compte n’ont au mieux représenté que ceux de leurs clans et de leurs familles. Par ailleurs de la part d’un économiste de haut niveau quelle incongruité que d’abdiquer l’exigence d’une économie à potentialité diversifiée pour jeter son dévolu sur la manne unique et exclusive du pétrole ! Le dysfonctionnement du principe républicain, ce que Chinua Achebe a appelé à juste titre le déficit de leadeurship sont plus à critiquer qu’autre chose. La tonalité politique du discours de Sanusi Lamido n’est pas naïve ; dans sa continuité soutenue, elle pave le chemin d’une ambition politique à première vue légitime. Mais à analyser de près ce discours, la légitimité cède le pas à la perplexité, voire à l’inquiétude. En raison du parti pris régionaliste et borné du discours, mais aussi en raison de son triple caractère tendancieux, frauduleux, et paradoxal. Ainsi dans une interview au Financial Times du 11 mars 2013, Monsieur Sanusi Lamido déclare tout de go et ès qualité qu'il est temps pour les Africains de « se réveiller sur les réalités de leur romance avec la Chine ». Estimant que « La Chine prend nos ressources naturelles et nous vend des biens manufacturés. C'était également l'essence du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde pour s'assurer des matières premières et des marchés. L'Afrique s'ouvre maintenant de son plein gré à une nouvelle forme d'impérialisme ».Voilà une affirmation qui apparemment semble soulever une question dont on pourrait penser qu’elle mérite débat. Mais à y voir de près, par son procédé de comparaison il s’agit d’un faux débat. Déjà parce qu'il tente sournoisement d'orienter l'attention sur une comparaison entre la Chine actuelle et l'Occident dans le passé alors qu'il n'y a rien de nouveau que la Chine fasse en Afrique et que les Occidentaux ne continuent pas de faire. Et que pour être cohérent avec son discours, Monsieur Lamido devrait refuser d'être le Gouverneur de la Banque centrale d'un pays dont l'essentiel des revenus provient du Pétrole que lui prennent les Etats-Unis et d'autres puissances occidentales contre des produits manufacturés que le Nigeria ne songe pas à fabriquer ! Et puis dans l’histoire de l’humanité quelle grande nation ou quelle nation tout simplement est allée vers d’autres nations ou peuples uniquement pour admirer le fond de leurs yeux ou faire du tourisme ? Tout le monde sait et le banquier le premier dont la science économique est historiquement basée sur les retombées des spoliations et dominations internationales, tout le monde sait, disons-nous que la motivation première des rapports entre nations ce sont les ressources et les biens matériels ou humain. Ceux-ci sont recherchés, et font l’objet d’un marché plus ou moins violents entre nations ou peuples puissants et organisés et ceux qui le sont moins. Le tort de l’Afrique historiquement a été double ; d’une part de n’avoir pas suivi les voies d’une organisation qui lui confère la puissance, et d’autre part d’être une terre riche en ressources minières, pétrolières, forestières et humaines. La comparaison en essence de la situation des rapports de la Chine avec l’Afrique aujourd’hui et celle des Occidentaux d’hier est un consensus frauduleux dans la mesure où la seule motivation de ces rapports ne peut servir de critère sans tenir compte de la méthode, de la nature, de l’idéologie et de l’anthropologie impliqués par les uns et les autres dans ces rapports. Sans parler de l’environnement international comparé dont la différence en l’espace d’un siècle n’autorise pas à une comparaison en essence. Le temps de l’esclavage, qui a duré 4 siècles et celui du colonialisme ne peuvent être comparés au temps actuel.Actuellement en Afrique ont cours simultanément le colonialisme occidental et ses séquelles avec la possibilité pour un pays comme la France d’imposer violemment le dirigeant de son choix sur une nation ou d’en assassiner un autre, et l’ouverture de l’Afrique à tous les courants commerciaux et politiques du monde, dont profite la Chine en tant que puissance émergeante. Comparer la violence symbolique, concrète et inhumaine des temps de l’esclavage et du colonialisme à la motivation commerciale légitime de la Chine c’est faire preuve dans le meilleur des cas d’une myopie affligeante et dans le pire des cas d’une mauvaise foi douteuse. La question de l’attitude euphorique de l’Afrique dans ses rapports avec le monde mérite d’être posée, mais elle ne concerne pas la Chine seule et reste le problème des Africains eux-mêmes, leur devoir de maturité. Dans ce monde en compétition ouverte, il appartient aux Africains en toute circonstance de réfléchir et d’agir dans l’intérêt supérieur du continent. La coopération gagnant-gagnant qui est le leitmotiv politique de la démarche des Chinois doit être prise à la lettre. À nous, d’une manière concertée, d’utiliser cette coopération pour atteindre les objectifs de développement dont notre continent a besoin, et non pas de jeter la suspicion a priori sur la motivation d’une nation qui ne nous a jamais colonisés, ni tenu en esclavage, ni imposé sa langue ou sa religion comme les nations ou civilisations auxquelles on la compare frauduleusement. Cette comparaison tendancieuse est d’autant plus injuste historiquement que si les Chinois nous voulaient autant de mal que les Occidentaux, ils auraient eu tout loisir de le faire vu qu’ils avaient été en rapport avec notre continent bien des siècles avant la traite négrière et le colonialisme occidentaux.Ce qui est affligeant dans le discours à l’emporte-pièce d’un cadre africain de haut niveau comme Sanusi Lamido c’est qu’il n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Politiquement, comme si dans ses visées, le Gouverneur lançait des signaux à l’échelle internationale, ses propos ont fait mouche dans les milieux françafricains, vu que la France se considère comme le gendarme de l’Afrique. Le journal le Monde et d’autres journaux africains de la mouvance françafricaine n’ont pas laissé inaperçue cette déclaration, qui, bien que sortie dans les médias anglophones, a vite été relayée, commentée abondamment et distribuée comme des petits pains dans les médias francophones.Mais comme on peut bien s’en douter, la Chine n’est pas le seul sujet de préoccupation du Banquier Lamido ; d’autant plus que la polémique sur la Chine ne vise qu’à se positionner dans les bonnes grâces de ceux que la montée de la Chine sur le continent inquiète. Mais l’ardeur politique du Gouverneur de la banque Centrale du Nigeria et son relent régionaliste ne s’arrêtent pas en si bon chemin. De même que ses propos fracassants qui parfois donnent l’impression de tomber juste ou de ne pas manquer de sens. Comme lors d’un récent colloque tenu à Lagos où il affirme que la corruption n’est pas le plus gros problème du Nigeria mais l’impunité. L’idée est tout à fait juste et séduisante, et le banquier l’étaye en faisant remarquer que la corruption existe dans tous les pays et dans tous les temps, mais les pays qui s’en sortent et se développent en dépit de la corruption, ce sont les pays qui n’y ajoutent pas le fléau de la culture de l’impunité, comme c’est le cas en Afrique en général, et au Nigeria en particulier… Et le banquier de citer toutes sortes d’exemples ordinaires qui prouvent comment Corruption + Impunité = Ruine de l’économie et Pauvreté. Or on avait à peine fini d’applaudir cette belle démonstration, et la pertinence de son propos que l’instant d’après mû par ses arrière-pensées politiques, c'est-à-dire in fine régionalistes, Monsieur Lamido sans transition estime que les terroristes du Boko Haram devraient être amnistiés ; qu’à l’instar des activistes de la Région du Delta, l’amnistie était le seul moyen de sortir de la spirale de violence qui secoue le Nord du pays. Assurément, M Sanusi Lamido n’est pas avare de comparaisons douteuses. Mais laissons de côté la comparaison entre les terroristes du Boko Haram qui tuent aveuglément et passionnément les chrétiens par centaines et des innocents par centaines dans le Nord du pays, et les activistes de la Région du Delta qui s’en prenaient surtout aux expatriés travaillant dans les compagnies pétrolières. Et interrogeons-nous sur le principe de l’amnistie. Qu’est-ce en l’occurrence l’amnistie sinon une forme politique d’impunité ?Et c’est là où le cynisme et les intentions politiques de Monsieur Sanusi Lamido sont proprement renversants. A peine avait-il désigné l’impunité comme l'étiologie éthique et une cause majeure du retard économique du Nigeria, que tout aussitôt, il se contredit en suggérant que la même impunité était la solution au problème du terrorisme. Qu’il fallait ne surtout pas placer devant leurs responsabilités les assassins qui tuent aveuglément tous les jours des hommes et des femmes innocents. Le jour où Monsieur Lamido prononçait ce discours contradictoire cousu de fil blanc, il était tout de blanc vêtu, comme un ange. Mais cette apparente blancheur ne cache-t-elle pas une noirceur de fond que la contradiction révèle ? Si le soupçon, maintes fois répété par Goodluck Jonathan lui-même que les soutiens de Boko Haram étaient tapis dans l’ombre du gouvernement du Nigeria avait quelque semblant de vérité, pouvait-il être mieux illustré ? En tout cas, l’expérience du Bénin montre qu’il faut se méfier comme de la peste des banquiers qui se piquent de faire de la politique…Adenifuja Bolaji |
Moi, je dirai même plus : c'est comme si on assimilait le violeur du passé à l’amant d'aujourd'hui au motif que la femme a eu ou aura un enfant des deux. Ce manque de discernement est intellectuellement inquiétant, et peut constituer l'indice de notre vulnérabilité. Alors que les Occidentaux nous avaient circonvenus en raison de notre faiblesse militaire (Béhanzin ou Samory en sont des exemples) eh bien, il est à craindre que si la Chine ou l'Inde voulût exploiter quelque chose chez nous ce ne soit d'abord ce vice de discernement pour le moins préoccupant ! Même si je comprends qu'on puisse exploiter la mise en garde de Sanusi pour en appeler, au niveau de nos dirigeants intellectuellement pachydermes, à une obligation d'union, et de conscience de notre avenir au regard de notre passé
Rédigé par : Ganiou T | 03 avril 2013 à 07:03
D'accord qu'il faut se méfier, et ce de tout le monde, à commencer par les Occidentaux, qui nous tiennent par le bout du nez... Cela suppose que nous devions avoir conscience de nos intérêts et agir dans l'unité pour les défendre. Mais ce qui est tendancieux dans le propos de M Sanusi, c'est la comparaison qu'il fait. La comparaison est une chose grave, qu'il faut manier avec sérieux et responsabilité. Il faut comparer les choses comparables. On ne peut pas laisser dire que ce que fait la Chine actuellement en Afrique est la même chose que ce que les Occidentaux ont fait de nous et avec nous durant 4 siècles. Ce type de comparaison a un côté négationniste, qui viserait à relativiser ou déculpabiliser l'esclavage, le colonialisme et l’impérialisme occidentaux. C'est comme si on comparaît un génocide et un hécatombe...De plus, si nous sommes vulnérables aujourd'hui, c'est en raison de l'état dans lequel nous a laissés notre commerce involontaire avec l'Occident qui nous a laminés mentalement et aliénés intellectuellement.
Rédigé par : Santos E | 02 avril 2013 à 12:21
Tout à fait d'accord que les pertes que nous subirons dans cette partie supposée gagnant-gagnant ne sont pas à priori de la responsabilité des autres protagonistes -Chine, Inde, Brésil etc...-. Mais,il est indéniable que l'attitude de méfiance que prône Sanusi ne peut que nous rendre attentifs aux jeux et stratégies de nos "partenaires". Certes " ces gens comme vous dites ne nous mettent pas le couteau sur la gorge" encore que ce soit le dixième stratagème du traité séculaire chinois de stratégie qui enseigne de "dissimuler une épée dans un sourire ". Quand l'afrique sera vidée des rentes du sous-sol, viendra le temps où nous nous retrouverons à genoux. Ce sera alors que le discours amical, fraternel,lénifiant fera place aux ordres, aux injonctions, point n'est besoin de bâton ni d'épée ni de couteau. L'on nous rappelera alors que ce n'est pas parce que nous africains vivons près de ces ressources qu'elles nous appartiennent.
Si ce n'est pas trop tard (eu égard à l'appétit des ogres qui piaffent devant nos sous-sols) peut-être pourrions-nous effectivement par une union et des stratégies concertées cesser d'être comme disait Samir Amin "le ventre mou du monde" afin de sauver quelques meubles pour les générations à venir...
Rédigé par : Thomas Coffi | 01 avril 2013 à 22:54
Dans cet avertissement, la Chine n'y est pour rien. C'est l'Afrique qui est concernée, et cela vaudra aussi bien pour la Chine que pour le Brésil ou l'Inde. Vous avez raison de tirer l'attention sur ce faux usage de l'Afrique où elle n'existe que de nom, mais en réalité, on a affaire à des pays indépendamment dépendants, qui cèdent les parties du continent au motif qu'elles relèvent de leur souveraineté nationale. Donc il faut revenir au mot d'ordre de Kwame Nkrumah : l'Afrique sera unie ou ne sera pas. Et la Chine n'a rien à voir dans cette problématique. D'autant plus que ces gens-là ne nous mettent pas le couteau sous la gorge. Il faut absolument séparer ces questions. L'idée pour l'Afrique d'avoir toujours une référence externe, et de paraître désirer aller de Charybde en Scylla est une idée infantile, dont il faut se défaire. Mais dans le même temps, suffit-il de dire il faut s'unir pour être unis ? Suffit-il de dire, il faut travailler pour travailler ? Suffit-il de dire il faut rester vigilant pour être vigilant ? Ce qui m'étonne en Afrique c'est que nous n'essayons même pas d'étudier scrupuleusement les Nations ou Civilisations qui évoluent et réussissent de façon à savoir les conditions et les éléments déterminants de la réussite. Après tout si les Européens ont inventé l'ethnologie et l'anthropologie, c'est pour mieux connaître les "peuples sauvages" afin de mieux les conditionner, pour mieux les exploiter. Pourquoi nous n'inventons pas des sciences du même ordre ? Et quand on pose le problème de la maturité de l'Afrique, il y en a plus d'un qui s'indigne en considérant qu'il s’agit d'un mépris ou d'une mise en cause de l'égalité des hommes. Il se pourrait pourtant que le problème de l'Afrique soit que son temps n'est pas encore là; et que ce temps est renvoyé aux calendes grecs, aussi bien par notre inconscience que par l’œuvre maligne de ceux à qui profite le fait que ce temps n'arrive jamais...
Rédigé par : B.A. | 01 avril 2013 à 18:33
"La coopération gagnant-gagnant qui est le leitmotiv politique de la démarche des Chinois doit être prise à la lettre" écrivez-vous. C'est là un postulat difficile à soutenir à mon avis même avec la meilleure des intentions de la part de la Chine. On parle de coopération "Chine-Afrique", image trompeur en soi puisque la Chine signe des accords avec des pays africains individuels.
L'éléphant qui marche avec des fournis ne peut que les écraser une à une à son coeur défendant (même avec la meilleure bienveillance de sa part) dit un proverbe Adja...(Adjinankou kpo azinzin lê kpo mon non zon kpo)
C'est en cela que l'exhortation de Mr Sanousi à se réveiller me semble être mobilisatrice car elle nous force à l'inquiétude plutôt qu'une marche garde baissée qui nous conduit à nous fabriquer de nouveaux maîtres avec notre propre consentement.
Les chinois ne procèdent pas avec l'agressivité des maîtres d'hier, certes! Mais il y a plusieurs façons d'avoir un chat. Et la manière douce, soporifique n'est pas moins redoutable dans ses conséquences que le procédé violent...A africains entendeurs demi-mot...
Rédigé par : Thomas Coffi | 01 avril 2013 à 18:09