Mon Cher Pancrace,
J’ai bien reçu ta dernière lettre, et je te remercie pour ta confiance et ton amitié ; vivante complicité placée sous le signe Ô combien enrichissant du partage des idées. Dans cette lettre, entre autres choses, tu me demandes si j’ai eu connaissance de ce que tu appelles avec pertinence “ les derniers assauts biologiques du divin Roger Gbégnonvi” et le cas échéant, tu voudrais savoir ce que j’en pense. Oui, cher ami, j’ai lu la dernière chronique du saint-homme. Dans ce texte logiquement tiré par le cheveu, l’ex Ministre de Yayi et chroniqueur devant l’Eternel affirme que l’UN n’est que l’US, l’Union fait le Sud. En fait et pour abonder dans le sens ironique que tu donnes au mot Biologie en l’occurrence, le sous entendu implicite est que le vrai UN devrait avoir pour candidat unique, Bio Tchané (BT), pour lequel notre Intellectuel bicéphale a déjà déclaré sa flamme. Ce qui donne comme, tu le poses avec clarté, l’équation : UN = US+ BT !
Mais, cher ami, a-t-on besoin de répandre tant de fiel et d’encre pour prêcher pour Bio Tchané ? Il ne suffit pas de reconnaître la prouesse réalisée par l’UN en réussissant à réunir au sud, tous les partis et les hommes qui naguère s’entredéchiraient. C’est faire preuve de mauvaise foi ou de myopie dégénérescente que de ne pas voir que, placée sous la bannière de la nation, la démarche se veut ouverte et progressive. C’est vouloir la faire échouer quitte à en ramasser les miettes à des fins inavouées que de faire monter la barre plus haut. Vouloir tout tout de suite, sachant que même dans son état actuel l’UN n’est pas un parti anti-Nord. Même Dieu, dont Saint-Roger est si friand de citations du Livre saint n’a pas créé le monde en un seul jour. L’Union ne peut se faire que petit à petit. Comme l’oiseau fait son nid. Paris ne s’est pas crée en un jour, et contrairement à Paris qui n’a jamais eu l’intention de devenir Paris, l’UN a l’intention de réunir tous les fils et filles du Bénin, tâche exaltante mais, difficile, et politiquement délicate qu’elle essaie de réaliser au rythme du possible. Qu’il faille un noyau et un début à toute chose, la science nous le prouve dans tous ses domaines. Et la politique, entendue comme l’art d’organiser un Etat et de diriger une nation est une science. Dans ce cas pourquoi tant de fiel et de mauvaise foi ? Au risque même de s’installer dans le paradoxe ou la pétition de principe. Car le paradoxe de la démonstration si l’on y intègre son sous-entendu biologique auquel tu fais allusion, c’est qu’il faille que l’UN se donne à Bio Tchané comme Président avant de mériter le N de son nom, auquel cas le N ne serait que du S déguisé. Oui, ce genre de critique et de raisonnement flirte fatalement avec le paradoxe. Car si l’équation US+ BT = UN devrait être valide, cela indiquerait que BT à lui tout seul incarne le Nord. Or si un parti peut être étiqueté régionaliste, il ne saurait en être de même pour un individu, dans une démocratie, surtout si celui-ci aspire à la fonction de Président ; confondre Yayi Boni de 2006, ou Bio Tchané de 2011 avec le Nord, et voir dans le fait qu’ils seraient soutenus par des partis étiquetés de sudistes comme étant l’expression de la totalité nationale, c’est déjà faire du régionalisme sans le savoir. Donc accuser sur cette base l’UN d’être une union régionaliste relève d’une attaque de mauvaise foi et par certains côtés, subtilement intéressée. En fait, certaines personnes originaires du sud et désireux d’occuper des postes ou bénéficier des faveurs des pouvoirs savent que c’est plus payant de jouer les faiseurs d’un roi originaire du Nord. Parce que le démarcheur politique sudiste bénéficiant des effets de mystification culturelle historiquement déterminée, et fort de sa situation d’originaire d’une région majoritaire jouit de la part du Président nordique d’une bienveillance dont l’équivalent n’est pas garanti avec un Président originaire du Sud comme lui. C’est cette facilité à manipuler un Président du Nord à leur guise qui rend raison de la préférence paradoxale du Président du Nord par les démarcheurs politiques du sud. Paradoxale ici s’entend au regard de la culture régionaliste qui anime l’esprit et les pratiques politiques chez nous, et qui de ce fait est hélas la chose la mieux partagée par tous. La mauvaise foi engagée dans cette attitude qui se pare chez certains démarcheurs politiques des dehors du sérieux intellectuel réside dans le fait que cette attitude n’est qu’une version sournoise du régionalisme qu’ils prétendent pourfendre. A l’heure actuelle, obnubilés par leur rêve marchand ces gens ne prennent pas la peine de tirer les leçons qui s’imposent pourtant dans l’échec des mêmes formules politiques qu’à un toilettage près, il s’échinent à préconiser. Après tout, cher ami, quelle différence y a t-t-il entre Yayi Boni 2006 et Bio Tchané 2011 ? Pure idiosyncrasie ! Quelle est cette conception du destin collectif, qui méprise les organisations collectives et leur préfère les individus ? Faut-il qu’à chaque quinquennat on nous amène un type dont on nous jure qu’il est la perle rare ? Si une saine unanimité devait se faire sur Yayi Boni en 2006, que n'a-t-il été en mesure de convaincre des partis d’être leur candidat des années ou des mois avant 2006 ? Et si Bio Tchané aussi veut être Président en 2011, que n’entreprend-il la même démarche ? Quand arrêterons-nous enfin de berner le peuple avec le mythe pseudo-intellectuel, du génie gestionnaire idéal qui a fait des études et saura bien gouverner ? Que dans son désespoir et sa frustration le peuple ait été poussé à suivre cette voie erronée une fois, cela suffit largement. Pourquoi veut-on l’y forcer une seconde fois ? Quand arrêterons-nous cette pratique de la grande foire politique où toutes sortes de gens, de personnalités, Associations, Société civile s’assemblent à l’occasion des élections et portent leur choix sur un candidat, pour se rendre compte ensuite qu’en dehors de ce candidat, ils n’ont rien de commun, ne représentent pas une unité susceptible de définir et de mener un projet gouvernemental viable ? Malheureusement le constat se fait trop tard, au détriment du pays. Perte d’argent et de temps monstre. Et pour récidiver le même ballet grégaire, on nous assure la main sur le cœur que le scénario n’était pas mauvais que seul le casting était mauvais et qu’il suffirait de le reformuler pour tomber juste, que cette fois-ci le choix sera le bon ! Et dans 5 ans, si Dieu prête vie à ces intrigants ils s’en donneraient à cœur joie de nous ressasser les mêmes rengaines à dormir debout. Or en l’occurrence, ce qui est en cause ici ce n’est pas seulement le casting, mais le scénario lui-même et la méthode qui l’inspire. Dans ces sortes de déferlantes saisonnières qui assaillent le champ politique et visent à porter au pouvoir un homme sans parti et placé au-dessus des partis, se trouve le vice et la bêtise politiques dont il faut extirper le germe de l’esprit de nos concitoyens. Entre un médecin sans hôpital qui promet l’hôpital et l’équipe de soin une fois nommé directeur, et un hôpital fin prêt et équipé qui veut choisir un médecin, lequel le peuple malade doit choisir ? Mon cher Pancrace, je ne doute pas un instant que ton bon sens te dictera le bon choix sans hésiter car, il ne souffre d’aucune ambigüité..
L’Union ne peut pas se faire à partir d’un homme. C’est ce qu’ont compris les dirigeants des partis qui, trois ou quatre ans avant les élections ont initié le processus qui allait devenir l’UN. Ils ont compris que c’est l’UN qui porte un homme et non l’inverse. Car quoi, quelle unité a-t-on pu faire autour de Yayi Boni après ces belles promesses de changement et de gouvernance rationnelle qui se sont toutes révélées fausses et inconsistantes, des illusions au mieux ou au pire une froide et lugubre supercherie ? Malgré l’agitation et les beaux discours, ne voit-on pas que les mêmes personnes plus quelques nouveaux arrivants ont repris la main et perpètrent sous nos yeux ébahis les mêmes bévues, forfaitures, vices et crimes que jadis ? Comme si de rien n’était ! Quel crédit accorder au discours et à la bonne volonté éthique d’un homme comme Yayi Boni qui disait naguère qu’être Président était le cadet de ses soucis mais, qu’il n’était là que pour soulager le peuple, avoir le doigt sur le bon bouton pour faire avancer les choses ? Or, il apparaît clairement que sous les apparences de l’humilité et du dévouement au service du peuple, l’homme avait ses plans et ses visées personnelles, qui ne le cèdent en rien aux vices éculés, aux us et coutumes abjects de la classe politique ! Et l’argument selon lequel Yayi Boni porterait seul la responsabilité de l’échec du changement ne tient pas. Il y a une habitude rhétorique et politicienne reprise spontanément par le peuple lui-même, qui consiste à mettre le blâme tout le blâme sur le Chef d’Etat ou le gouvernement, en les accusant d’être responsables du malheur du pays ou du peuple ; ou en faisant un lien de cause à effet entre les erreurs et vices développés sous leur régime et la situation de misère chronique du pays. Certes, il va de soi que la situation de misère chronique de nos pays aurait eu tout intérêt à faire l’économie de l’irresponsabilité, de la médiocrité et de la kleptomanie de nos dirigeants, mais il s'en faudrait de beaucoup de l’imputer entièrement à ces seules causes. Oui, le Président de la République et son gouvernement sont responsables de la frustration populaire dans la mesure où ils ont été élus pour la soulager, mais la responsabilité de la situation de misère des masses, et de médiocrité chronique des dirigeants a aussi des causes historiques, culturelles mentales et géopolitiques. Et le fait de saisir les dirigeants comme bouc émissaire et seuls responsables de la situation est une manière de se voiler collectivement la face devants nos insuffisances collectives et nos tares. Ce fait, érigée en habitude et en justification récurrente de la contestation politique et de l’espérance des masses, est aussi partie intégrante de notre médiocrité et de notre situation.
Ainsi, mon cher Pancrace, doit-on à la vérité de dire que, dans tout ce qui s’était passé au tournant de 2006 Yayi Boni que l’on peut accuser de tous les maux aujourd’hui parce c’est de bonne guerre ou que l’habitude politicienne l’a consacré ainsi, n’est que le nom que nous donnons à une responsabilité autrement plus mentale, plus collective et sociétale. Entre autres leçons à tirer d’une telle relativisation, la nécessité du rejet non pas d’un homme mais de la méthode, qui semble avoir été brevetée, de son avènement à la tête de l’État. Là-dessus, l’analyse des hommes politiques blanchis sous le harnais qui ont compris qu’il y avait un devoir d’organisation et de restructuration des partis politiques ; qu’il y avait une obligation méthodologique de faire dépendre le choix du futur Chef de l’État de l’Union nationale réalisée, et non pas l’inverse, cette attitude est la seule pertinente. Car, ce n’est pas le médecin qui fait l’hôpital c’est l’hôpital qui fait le médecin. Et cette Union-là, dans l’état actuel des choses ne peut être totale que dans l’intention et partielle dans les faits. En tant qu’elle est une totalité nationale stable elle ne peut qu’être un objectif à atteindre, à moyen et à long terme en fonction de l’évolution des mentalités. Méthodologiquement, ce qu’il fallait au noyau unitaire d’entrée, c’est de constituer une masse critique suffisamment grande pour gagner les élections. Alors et alors seulement pourra-t-elle gagner suffisamment de crédit pour attirer tous les Béninois du Nord comme du sud, dans son melting pot. Trop grand, le mastodonte risquait d’imploser avant même d’avoir esquisser deux ou trois pas. Ceux qui feignent de ne pas voir cette évidence qui crève les yeux sont au mieux des aveugles au pire de perfides intrigants.
Pour autant, il s’en faudrait de beaucoup que l’UN fût blanche comme neige. Roger Gbégnonvi semble l’avoir souligné dans sa dernière diatribe sur ce groupe qu’il a décidément en travers de la gorge de ses rêves politiques personnels les plus inavoués ; mais sa rhétorique subtile a bifurqué vers une démonstration controversée sur la thématique biaisée du régionalisme. En fait, le vrai défaut de l’UN c’est d’être née par et sous le signe de la négation : celle de Yayi. Et si l’essence de son programme devait se résumer à cela, une fois que Yayi serait éliminé, nul ne sait ce qu’il en sera de la stabilité future de son bel édifice. Tel est le vrai danger qui guette l’UN, à mon humble avis. Bien sûr Roger Gbégnonvi ne nie pas le danger mais trop obnubilé par sa “biologie” et cruellement déçu du fait que le rejet de Yayi Boni qui fonde l’UN ne bénéficie pas à son poulain, il préfère porter par dépit le fer là où ça fait mal, sur un défaut qui n’apparaît comme tel que dans la mesure où l’on fait abstraction des exigences méthodologiques de l’unification politique. Car si l’UN avait choisi Bio Tchané comme candidat, nous n’aurions pas eu droit à ces récriminations récurrentes de la part de notre intellectuel bicéphale. Bicéphale parce que, Roger Gbégnonvi, au cours de sa petite vie, que nous lui souhaitons longue, a quand même réussi l’exploit d’être juge et parti du même procès politique, arbitre et joueur du même match politique…
Oui, mon cher Pancrace, l’UN est une union négative. N’eût été l’attitude rébarbative et non civilisée de Yayi Boni à leur égard, des gens comme Soglo, Amoussou, Houngbédji, et autre Fagbohoun, seraient allés chacun de son côté en fonction de ses intérêts bien compris. Mais cette négativité n’est qu’un préjugé inaugural, il fallait bien quelque chose pour pousser à l’Union. Depuis Hegel, on sait que la négativité est le propre de l’Etre ; en l’occurrence, elle ne saurait être tenue pour rédhibitoire. Ce qui en revanche est gros de mille et une incertitudes, c’est le fait que cette Union ne soit pas seulement négative mais dédiée éventuellement au seul but de prendre le pouvoir, ou d’élire un homme à la Présidence de la République. Bien qu’on ne doive la juger qu’aux actes, il n’est pas sain de donner à l’UN le bon Dieu sans confession. Car dans le discours de cette Union il est difficile de faire la part de la division malsaine des avantages et celle d’une saine division du travail politique. Il est à craindre en effet que ce Titanic politique, héritier de son histoire mal maîtrisée, une fois l’objet négatif qui en faisait le lien aura disparu, n’aille se briser contre les écueils traditionnels des réflexes égoïstes de la realpolitik. Pour consolider l’Union, lui assurer une continuité dans le temps, et un affranchissement de sa négativité inaugurale, il faut sans doute des règles et des hommes de qualité mais aussi des gestes et des transactions symboliques qui au-delà d’une simple cérémonie de pardon, aient l’objectivité sociale et l’efficacité politique dune Commission Vérité et Réconciliation à la béninoise.
Que l’UN pour toutes ces raisons soit rattrapée par ses démons est chose possible ; mais on ne doit ni le souhaiter, ni le désirer ; au risque de construire des monts pour les démons. On ne doit pas d’entrée commencer à faire le procès de l’UN sous le prétexte de sa négativité inaugurale; car cette négativité, à l’instar de la partialité régionale sont provisoires dans leur principe.
Voilà mon cher Pancrace, ce que je pense de ce dernier assaut biologique de Roger Gbégnonvi. Attendons la suite car, notre intellectuel bicéphale bien déterminé à en découdre avec l’UN qui ne fait pas ses affaires n’a livré là qu’une bataille dans sa guerre biologique.
Amicalement,
Binason Avèkes
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