Ce que Cache la Politique
Depuis quelques semaines une crise politique sévit au Bénin qui a du mal à se dénouer. Alors que le pays, à l’instar de ses frères africains, est confronté à la vie chère, difficile pour la grande majorité et dangereuse pour les plus vulnérables, voilà le moment choisi par la classe politique – gouvernement et opposition – pour se livrer à un bras de fer stérile qui met en danger la cohésion sociale et la paix nationale. Au vu de l’expérience des 18 dernières années où la culture démocratique issue du Renouveau a un tant soi peu régulé les mœurs politiques, on peut s’inquiéter de cet enlisement. Mais replacée dans le contexte africain, la tendance à s’abîmer dans des joutes stériles n’est ni une exception ni une résurgence ; avec des conséquences plus ou moins dramatiques voire tragiques, elle est une tentation récurrente de la vie politique africaine depuis les indépendances. Cette tendance est-elle une traduction du cercle vicieux de la pauvreté ? Pourquoi nous enlisons-nous dans des crises stériles alors que la paix est une condition sine qua non de notre développement ? Répondre à ces questions revient à éclairer la raison cachée et l’usage de ce paradoxe. Mais tout d’abord une mise en perspective historique et géopolitique s’impose.
I. Spécificité et Priorité
Dans ce siècle marqué par l’émergence de nouvelles entités économiques, régionales et culturelles à l’échelle globale, la question de l’éveil économique de l’Afrique, connaît un regain d’actualité. Jadis, malgré les effets néfastes de sa faiblesse chronique la situation de l’Afrique avait pu être relativisée, atténuée qu’elle était par sa généralisation au bloc indistinct de ce qu’on a appelé tour à tour « Tiers-monde », « Pays sous-développés », « Pays en voie de développement » ou « Pays les moins avancés. » De telles généralisations sont vicieuses, dans la mesure où les rapprochements qu’elles opèrent cachent des spécificités de fond plus ou moins ignorées ou déniées. Ainsi en a t-il été du statut de colonisé sous lequel fut rangée une variété de cas historiques, anthropologiques et politiques. Sous le concept du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes une identité formelle était établie entre des formations anthropo-historiques aussi variées que le Vietnam et le Congo, l’Indonésie et l’Algérie, l’Inde et l’Afrique du Sud, Hong Kong et les Îles du Cap Vert.
Mais au fil du temps, en fonction des paradigmes, les différences de situation se sont révélées au grand jour, même si les nuances dont elles étaient porteuses n’affectaient pas de façon brutale le noyau dur du dogme de l’identité. Du coup, ce n’est pas sans une certaine complaisance que l’Afrique s’est abritée sous le parapluie de ces généralisations commodes, sans chercher à gratter au-delà de la surface de leur sol commun pour atteindre les racines de son destin.
Cette identité de façade avait quelque chose de rassurant pour l'Afrique ; en même temps c’était comme un nuage qui cachait le ciel de son avenir. Aujourd’hui, alors que s’estompe une partie de ces nuées et que se dégage un ciel de vérité, nous estimons légitime de nous inscrire dans le sillage de l’éveil économique global. Au-delà de l’effet de mode, bien conscients que certains pays seront plus émergents que d’autres, les plus patriotes d’entre nous ressentons la pressante nécessité d’un changement susceptible d’enrayer la misère, les maladies et les calamités qui s’acharnent sur l’Afrique et dont elle a du mal à se défaire. Cela s’impose comme une priorité. Assurer la survie de notre continent, éradiquer la misère de masse, constituent un préalable de l’émergence dans les conditions de compétition globale et de rivalités du monde.
II. Changement de Paradigme
La mondialité de la compétition économique est une évidence. Elle tient de la mondialisation. Mais la mondialisation, cause et conséquence d’une évolution technologique, économique, morale et juridique, tient son essence de la globalisation. D’un point de vue philosophique, la globalisation dérive du holisme, c’est-à-dire de la « tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice » Le holisme dès lors se décline à tous les domaines de la pensée théorique : ontologique, méthodologique, philosophique, sociologique, etc. Mais, au-delà de ces approches diverses, l’approche systémique, qui est celui du sens commun, permet d’expliquer les termes dans lesquels se pose dorénavant la question de l’éveil économique de l’Afrique.
Il marque dans les faits à n’en pas douter un changement considérable de paradigme. C’est dire que tout projet sérieux de contribution à l’éveil économique de l’Afrique doit considérer celle-ci et tous les problèmes qui s’y pose dans leur globalité. Pour utiliser le langage des mathématiciens, nous dirons que l’éveil économique de l’Afrique est une fonction bijective de ses éveils historique, culturel, intellectuel, social, symbolique, moral, etc. La fonction est bijective dans la mesure où chacune de ces variables peut être considérée comme une fonction des autres. Tous ces aspects forment un tout qui doit être simultanément pris en compte. Pour ne pas sombrer dans une régression à l’infini – chose qui pourrait décourager les vocations les plus résolues – nous dirons que la considération de la problématique de l’éveil de l’Afrique met en jeu deux classes d’équivalence ou dimensions principales : la dimension matérielle ou concrète et la dimension immatérielle ou symbolique.
Pendant longtemps, d’une manière aveugle, on s’est acharné à faire des plans qui ne prenaient en compte que l’une de ces deux dimensions, à savoir la dimension matérielle. Et avec une régularité soutenue, la réalité s’est chargée de décevoir un tel aveuglement. Il va sans dire que tout projet basé sur la seule dimension symbolique aboutirait au même échec.
Complétant cette logique vicieuse, il y avait aussi la trop grande tendance de ces plans de développement à trouver leur inspiration sinon leur conception en dehors de l’Afrique. Le caractère exogène de ces plans allait de pair avec l’erreur qui présidait à leur conception.
Dès lors apparaît clairement le lien conditionnel entre éveil économique et indépendance réelle, l’autonomie profonde de l’Afrique. Être éveillé c’est d’abord être indépendant.
Donc si on doit considérer la question de l’éveil économique de l’Afrique aujourd’hui, il apparaît que sa résolution dépend d’un certain nombre de paramètres incontournables qui sont à la fois politiques et méthodologique, et s’insèrent dans un changement de paradigme.
1. Le paramètre politique renvoie à l’effectivité et à la réalité de l’indépendance de l’Afrique. Indépendance émotionnelle, mentale, culturelle, symbolique et politique. Certes, dans le monde global qui est le nôtre, Indépendance ne signifie pas isolement, ni essentialisme, ce n’est ni autarcie ni refus d’échanger, de partager. Au contraire, indépendance signifie aller vers l’autre, mais dans la consistance de son être propre, avec la capacité mentale de défendre ses propres intérêts ; savoir prendre chez l’autre ce qui est meilleur, et éviter comme c’est hélas le cas en Afrique d’échanger ce qui est pire chez l’autre contre ce qui est meilleur chez nous. Être indépendant c’est, dans la fermeté de son être retrouvé, se départir de l’aliénation, et sortir de la culture acquise du conditionnement au bradage de nos ressources ; sortir de la posture mentale du colonisé qui n’aspire qu’à se mettre à la place du maître d’hier, et qui subit jusque dans ses vices les plus sombres les séquelles tenaces de la médiation de soi par l’autre. Être Indépendant enfin, c’est comprendre comme l’a dit Aimé Césaire, que l’indépendance ne se décrète pas, ne se donne pas, mais se conquiert de haute lutte.
2. Le paramètre méthodologique quant à lui, ne relève plus d’un mystère. Il est la clé de voûte du changement de paradigme. Les échecs récurrents des plans de développement d’inspiration exogène et rivés au seul élément matériel plaident pour ce changement de paradigme, qui correspond à une révolution de mentalité. L’éveil de l’Afrique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls matérialistes. La démarche qui consiste en toute bonne conscience à développer d’abord la dimension matérielle d’une collectivité humaine quitte ensuite à se pencher sur sa dimension immatérielle est une fausse bonne idée, qu’il faut enterrer au cimetière des idées simplistes.
III. Le Fardeau de l’Africain
Le changement de paradigme qui concentre une double exigence – méthodologique et politique – est maintenant bien intériorisé en Afrique au sein de la nouvelle génération d’acteurs. Qu’elle soit brandie par les néo-panafricanistes pour qui le holisme est d’abord géopolitique et politique, ou par les développementistes humanistes, cette exigence est devenue la clé de voûte de toute volonté sérieuse de relever le défi de l’éveil africain.
Mais pour autant, la mise en œuvre de cette exigence ne va pas de soi. Car une fois sorti des sentiers battus des projets de développement hémiplégiques, on se retrouve face à l’immensité désespérante, à la complexité angoissante mais aussi au caractère fastidieux, et aux immenses sacrifices que requiert la tâche à accomplir. Alors, grande est la tentation de retomber dans les schémas, les travers, les habitudes, d’antan. A défaut de se donner le courage de soulever le fardeau que nous avons devant nous, de le mettre sur nos genoux afin que Dieu nous aide à le mettre sur notre tête, nous recherchons une fuite en avant dans des distractions adventices et dérisoires, nous retombons dans notre état de nature. Nous nous voilons la face et obstruons nos sens par le jeu sordide de nos passions. L’une de celles-ci est la politique. Pas forcément et sans parler de celle dite de façon péjorative « politicienne » mais de la politique tout ce qu’il y a de plus normal. Évidemment lorsque la politique prend ainsi le dessus, nous n’avons plus le temps de regarder en face la tâche immense qui nous incombe. Comme la prière est une excuse pour se parler, la politique devient une excuse pour ne pas se parler. N’est-ce pas par peur de nous y confronter que nous nous immolons volontiers à nos passions, cultivons les rapports de force, tirons la couverture de la loi de notre côté au point de violer de-ci de-là les règles les plus élémentaires de celle-ci ? Le désordre ainsi créé nous permet non seulement de fuir le fardeau dont la charge nous effraie, mais il nous permet, dans le même élan, de régresser impunément vers nos tares, nos vices, nos manquements, la médiocrité et les facilités dont l’éradication fait partie du cahier de charge du fardeau.
IV. Bénin : Raison de la Crise
Dans le cas particulier du Bénin, la dernière évolution politique, intervenue, le changement comme on l'appelle, est, sous ce rapport, assez symptomatique de l’ambigüité avec laquelle est considérée la double exigence évoquée ici. En effet, le discours effectif qui a accompagné le changement jusqu’ici est un discours centré sur le développement économique, dont le concept non moins économique de l’Emergence avec le culte de l’argent et de la richesse représentés par le cauris sont devenus les symboles des partis qui se réclament du changement à l’exclusion des autres. Dans les faits, le mouvement s’est appuyé sur l’attente populaire dont il se sent redevable pour son avènement institutionnel. Faire la preuve de sa capacité à apporter un mieux-être matériel au peuple électeur. Montrer – y compris de façon dangereusement populiste – que la culture du détournement des biens de l’Etat, et l’impunité qui en était le principe n’étaient plus de mise, et seraient combattues avec rigueur. Mais dans les faits sur ce point qui a capté l’essentiel de la consistance de l’option de changement en vogue dans le pays, – navrante réduction – en dépit de quelques actes indéniables et souvent ostentatoires, les faits ne se sont pas entêtés au-delà des effets d’annonce. Insensiblement, le changement a assumé sans état d’âme l’erreur consistant à se contenter de substituer de nouvelles têtes aux anciennes et par cette valse s’estimer quitte de justifier son bien fondé. Du sommet à la base du mouvement, c’est-à-dire des militants FCBE et autres sympathisants du régime au Chef de l’Etat lui-même, une telle démarche est par trop mesquine pour coller à la totalité complexe de la problématique du changement. Même à la considérer comme une relève de génération, dans la mesure où les mêmes mœurs demeurent, la crise actuelle est loin d’être un combat manichéen, du jour et de la nuit, de la vérité et du mensonge, du passé et de l’avenir, du mal et du bien. Et c’est en toute logique qu’elle s’enlise dans une distraction, c’est-à-dire qu’elle sert à ses acteurs, à se distraire du face à face décisif et angoissant que suppose la tâche de l’éveil de la nation.
En effet, dans l’hypothèse très idéal d’un pays en paix, ayant mis en place des institutions originales qui fonctionnent dans l’harmonie la plus totale, quelle angoisse n’aurions-nous pas à éprouver face aux exigences du fardeau de l’éveil national dont nous avons d’entrée biaisé les termes ? Quelle peur n’éprouverions-nous pas face aux exigences d’un développement conçu comme un tout alors que les ventres sont vides ? Comment ferions-nous, même en paix, pour intégrer la dimension immatérielle de l’éveil dans cette pressante réalité matérielle érigée en mesure du succès de l’action politique ?
Par exemple, comment accepter et agir en sorte que la lutte contre la corruption – que ce soit celle des hommes politiques comme des acteurs économiques et administratifs, – soit à la fois une lutte matérielle et immatérielle, réelle et symbolique ? Reconnaître que pour avoir des députés, des ministres, mais aussi des PDG, des directeurs de service, des agents de sécurité qui ne sont pas des voleurs, il faut les avoir éduqués à cet effet ! Aussi bien dès le bas âge qu’à travers une éducation civique pour adulte, toutes choses tributaires d’un univers culturel et mental à mettre en place. Cet univers agissant, à mille lieues de la tendance à l’aliénation qui gouverne nos pratiques culturelles et intellectuelles, doit nous apprendre à nous réconcilier avec nos valeurs, nos symboles et notre conscience propre ; cet univers doit nous amener à savoir faire la synthèse du meilleur des autres et du fondamental de nous-mêmes. C’est à ce prix et à ce prix seulement que nous pouvons embrasser la méthodologie du développement et parler d’indépendance, conditions de l’éveil.
Or, dans l’état actuel des choses, une telle exigence ressemble à la quadrature du cercle. Aussi, ceux qui ont pour mission de nous aider à la résoudre, éprouvent-ils une certaine angoisse, et recherchent une distraction dans le tout politique. Cela peut se comprendre, mais de là à basculer dans la frénésie et à renouer avec nos vieux démons, il y a un pas qui ne doit pas être franchi. Avec la crise qui dure depuis des mois au Bénin, et qui s’aggrave de jour en jour, il y a lieu de se demander si ce pas n’est pas en passe d’être franchi.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
Qu'est-ce qu'il me parle bien, mon frère!!!
Chapeau, tiens ceci pour ton couvre-chef.
Au commencement, était le VERVE. Il s'est fait CHAIR, et il a habité parmi NOUS.
Comme tu vois, tout est là! C'est PRENDRE CONSCIENCE, qui n'est pas une mince affaire.
allez, vieux compagnon, je vais essayer de me reposer un peu.
Philosis
Rédigé par : CHRISTIAN de SOUZA (Philoss) | 23 mars 2011 à 01:42