Un lion du CPA de Cotonou, sorti de sa cage à la suite à d'une erreur technique, a été abattu par les Forces de sécurité. La brutalité de cette mort a quelque chose d’archaïque. Jadis on y mettait les formes. Au moyen-âge en Europe, il n’était pas rare de déférer les bêtes devant le tribunal ecclésiastique et de les y juger comme si l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » pouvait leur être appliqué en toute rigueur. Dans un procès à Mamirolles près de Besançon où les vers de bois étaient jugés, leur avocat pouvait notamment déclarer : « « Puisque vous m’avez permis de parler pour le compte de ces malheureux animaux, je ferai remarquer tout d’abord que les accusés n’appartiennent pas à la juridiction de cette cour et que la validité de l’ordre de comparaître qui leur a été adressé ne peut être reconnue... » Dans l’idéal, contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse, un journaliste avocat des bêtes aurait écrit : « Faute de fusil hypodermique, un lion épris de liberté a été abattu » Et, il poserait la question des conditions réglémentaires dans lesquelles un zoo doit exister, surtout lorsqu’il est implanté au cœur d’une ville très peuplée. Notamment se demander si la probabilité qu’un félin s’évade n’avait jamais été considérée par les autorités de ce zoo, et si oui, quelles étaient les schémas de résolution de ce cas de figure qui avaient été préétablis ? Pendant combien de temps les bêtes vont-elles continuer à payer de leur vie la faute des hommes ? Si des termites au moyen-âge ont droit à un procès équitable, nous espérons que dans un Bénin promis à l’émergence en plein 21ème siècle, il ne continuerait pas de paraître aussi naturel qu’un lion fût abattu lorsqu’il sortit de sa cage par la faute d’un gardien de zoo ! |
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L’Avocat des bêtes.
Un lion du CPA de Cotonou sorti de sa cage suite à une erreur de vigilance du gardien, et qui a pris le large dans le quartier Gbégamey a été abattu par une unité d’intervention des Forces de sécurité. Cette mort sonne comme une peine capitale infligée sans autre forme de procès à un animal dont force est de reconnaître qu’il n’est pas créé pour rester en cage. La brutalité du verdict est pour le moins archaïque. Jadis en de telles circonstances on y mettait les formes.
Au moyen-âge en Europe, par exemple, il n’était pas rare qu'on déférât les bêtes devant le tribunal ecclésiastique et qu'on les jugeât en toute rigueur, comme s’ils eussent été responsables, comme si l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » pouvait leur être appliqué en toute rigueur. Un exemple assez savoureux d’un tel jugement des bêtes devant le tribunal des hommes est donné par Julian Barnes dans sa nouvelle « les Guerres de Religion. » Dans cette Nouvelle qui fait partie de son « Histoire du Monde en 10 Chapitre et demi », et qui relate des faits avérés, les habitants de Mamirolles adressent une requête au tribunal ecclésiastique en ces termes : « Nous les habitants de Mamirolles dans le diocèse de Besançon, craignant le Seigneur Tout-Puissant, et serviteurs dévoués de Son épouse l’Eglise, et payant de plus très régulièrement et avec zèle la dîme, adressons par la présente du 12 août 1520 la plus pressante et insistante requête à la cour afin qu’elle nous décharge et nous soulage de l’intrusion criminelle de ces malfaiteurs qui nous harcèlent depuis de nombreuses saisons, qui ont attiré sur nous la colère de Dieu, qui ont donné à nos habitants une réputation honteuse et qui nous menacent, bien que nous craignions Dieu et que nous soyons soumis à nos devoirs envers l’Eglise comme nous le sommes, d’une mort épouvantable et immédiate qui s’abattra sur nos têtes comme la foudre et le tonnerre, calamité qui arrivera sûrement, à moins que la cour, dans sa solennelle sagesse expulse rapidement, pour la plus grande justice, ces malfaiteurs qui ont investi notre village, leur enjoignant de déguerpir – étant donné que leur présence est intolérable et odieuse – sous peine d’être excommuniés par la Sainte Eglise et privés du royaume de Dieu »…
Comme dans toute juridiction digne de ce nom, les formes sont respectées scrupuleusement. La requête est suivie de la plaidoirie des habitants, puis de celle de l’avocat commis d’office pour les bestioles. Bartolomé Chassenée, juriste, était l’avocat des bêtes. Celui-ci après les formules d’usage, devait notamment déclarer : « Puisque vous m’avez permis de parler pour le compte de ces malheureux animaux, je ferai remarquer tout d’abord que les accusés n’appartiennent pas à la juridiction de cette cour et que la validité de l’ordre de comparaître qui leur a été adressé ne peut être reconnue car ce dernier sous-entend que les destinataires sont doués de raison et de volonté, et sont donc capables de ce fait de commettre un crime et de répondre dudit crime devant le tribunal. Ce qui n’est nullement le cas, vu que mes clients sont des bêtes brutes, agissant sous la seule poussée de l’instinct, ce qui est confirmé par le premier livre du Pandects, au paragraphe, Si quadrupes, où il est écrit Necenim potest animal injuriam fecisse, quod sensu caret… »
Les plaidoiries se répondirent moult fois et jours. Puis tomba la sentence du juge de l’Eglise.
« Au nom et à la place de Dieu, le Tout-Puissant, Père, Fils et Saint-Esprit et de Marie, la très Sainte Mère de Notre Seigneur Jésus-Christ, par l’autorité des saints apôtres Pierre et Paul, aussi bien que par la volonté de ceux qui nous ont chargé de cette affaire, nous étant fortifiés grâce à la Sainte Croix et ayant devant nos yeux la crainte de Dieu, nous admonestons les susmentionnées vers de bois et leur ordonnons, sous peine de malédiction, d’anathème, et d’excommunication, de quitter dans les sept jours l’Eglise de Saint-Michel du village de Mamirolles, dans le diocèse de Besançon, et de se diriger sans délai et sans discussion à la nouvelle pâture offerte pour eux par les habitants, afin qu’ils y établissent leur quartier, et n’infestent plus jamais l’Eglise Saint-Michel. Afin de rendre légale cette sentence, et effectifs toute malédiction, anathème, et excommunication qui pourraient être prononcés, les habitants de Mamirolles sont instruits par la présente de porter la plus grande attention au devoir de charité, de payer la dîme comme il est demandé par la Sainte Eglise, de renoncer à tout acte impur dans la maison du Seigneur et, une fois par an, au moment de l’anniversaire de ce jour malheureux entre tous, où Hugo, évêque de Besançon fut plongé dans l’obscurité de l’imbécillité… »
Voici comment on traitait les bêtes au moyen-âge chrétien en France. Or ici, notre pauvre lion n’a même pas eu droit à un procès. Au nom de la sécurité des êtres humains dont on craignait qu'il fauchât les vies, on l’abattit sans autre forme de procès. Ou peut-être si, d’un procès sans forme et dont le verdict, le peine capitale, était connu d’avance. Le plus cruel dans l’affaire, c’est que, contrairement aux termites de Mamirolles le lion n’avait rien fait de mal. Son seul tort était d’être épris de liberté. Et lorsqu’on peut lire dans la presse des titres comme : « CPA : Un lion sème la panique à Cotonou » ; ou bien encore : « Un lion du zoo du Cpa sorti de sa cage abattu par la police » on a envie de rétablir l’ordre des vérités, on rêve d’une une de presse qui dirait plutôt : « Faute de fusil hypodermique, un lion épris de liberté a été abattu » Et, on poserait la question des conditions réglementaires dans lesquelles un zoo doit exister, surtout lorsqu’il est implanté au cœur d’une ville très peuplée. Notamment se demander si la probabilité qu’un félin s’évade n’avait jamais été considérée par les autorités de ce zoo, et si oui, quelles étaient les schémas de résolution de ce cas de figure qui avaient été préétablis ? Est-ce que ces pauvres bêtes vont continuer à payer pour l’inorganisation des hommes ? Pendant combien de temps vont-elles continuer à payer de leur vie la faute des hommes ? Si des termites au moyen-âge ont droit à un procès équitable, nous espérons que dans un Bénin promis à l’émergence, en plein 21ème siècle, il ne continuerait pas de paraître aussi naturel qu’un lion fût abattu lorsqu’il sortit de sa cage par la faute d’un gardien de zoo !
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Requiem Pour un Lion Mort...
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Binason Avèkes.
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