Les vertus du jour et de la nuit
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Quand on regarde un peu la période qui va de l'accession "révolutionnaire" de Kérékou au pouvoir en 1972 au raz-de-marée électoral qui a consacré Yayi Boni Président, on constate que trois hommes ont eu ou ont en charge les destinées du pays. Kérékou, Soglo, et Yayi. Depuis 35 ans, ces trois hommes ont marqué la vie politique du Bénin. En raison de son action de redressement, Soglo, bien qu'il ne fût au pouvoir que cinq ans restera un Président marquant dans l'histoire de notre pays. La marque de Kérékou est indéniable mais elle est due au temps et à l'avantage de stabilité que confère la durée. Tout beau, tout nouveau, le Président Yayi Boni a tout à prouver, sa marque reste à faire. La période considérée est au coeur du processus politique du Renouveau
Qu'on le veuille ou non, le Président Kérékou a été l'artisan de la stabilité politique du pays, un acteur principal de ce que certains ont appelé peut-être un peu trop vite une " démocratie apaisée". De par sa durée, son flair politique et un certain sens de l'unité du pays, il a contribué à faire de l'enfant terrible de l'Afrique qu'était le Dahomey avant son accession au pouvoir, le Bénin qui en trois décennies est devenu une référence africaine en matière de démocratie. Il a grosso modo respecté et fait respecter les règles démocratiques sans faire de grandes entorses à la constitution. Par exemple, les Béninois et au-delà l'Afrique démocratique lui savent gré de n'avoir pas révisé la constitution pour se maintenir au pouvoir. Mais, dans le même temps, et sans être mauvaise langue, Kérékou n'a pas développé le pays, et c'est peu dire. Au contraire, ce n'est pas exagéré de dire qu'à chaque fois que Kérékou est arrivé au pouvoir, c'est pour enfoncer le pays dans l'abîme de l'arriération et de la corruption. Son pouvoir est marqué par un conservatisme populiste sans vision et passablement corrompu. La première fois sous la chape du régime monolithique et autoritaire de la Révolution ; la seconde fois, en douceur, de façon presque civilisée et s'étendant sur la plus longue période de l'ère du Renouveau, a été surtout marquée par la mise en coupe réglée de l'économie par une mafia d'Etat impitoyable. Mafia qui, revenu au pouvoir, n'a eu de cesse de ruiner les efforts de redressement du régime précédent, replongeant le pays dans les noires profondeurs de la misère et de la corruption généralisée. Etait-ce le prix à payer pour la stabilité du pays ? Force est de constater que l'incapacité de Kérékou à relever le défi du développement est allée de pair avec la corruption et la misère.
Le second acteur de cette période de 35 ans qui va de 1972 à nos jours est bien évidemment le Président Nicéphore Soglo. Sous sa houlette, le pays a consenti aux sacrifices nécessaires à son redressement ; il s'est mis au travail, et avec bravoure et imagination, il a enrayé le climat de misère et de pauvreté crée par l'incurie du régime précédent. Paradoxalement, Soglo a été renvoyé à ses chères études car les peuples ayant la mémoire courte, sont toujours prompts à se venger de leur bienfaiteur. Un ramassis de politiciens cyniques n'a pas hésité à faire des petits défauts de Soglo le principe d'une cabale politique d'éviction qui allait ramener au pouvoir le Président Kérékou. Ces apprentis sorciers dont certain se réclament à cor et a cri de la science politique infuse, pour leur bon plaisir, ont contribué par manipulation de la nostalgie du peuple à substituer un Président-fossoyeur à un Président-bâtisseur. Ces intrigues ont été désastreuses pour le pays. Elles se sont soldées par dix années de recul qui constituent aujourd'hui, une véritable tâche noire dans le visage du soleil du Renouveau démocratique. Ironie du sort, le Renouveau démocratique avait été rendu nécessaire par l'incurie de la bande hétéroclite de Kérékou, son passif socioéconomique est encore à mettre au compte de la même bande !
C'est aussi ce lourd passif qui rend nécessaire aujourd'hui ce Renouveau dans le Renouveau qu'on appelle pudiquement Changement. Le Président Yayi Boni en est le promoteur. De ce point de vue, Yayi Boni est l'héritier direct de ses deux prédécesseurs qui ont marqué la vie politique, économique et sociale de notre pays. D'une manière dialectique, rompre avec eux, c'est aussi compter avec eux. Car tout naturellement, le timonier du Changement tient de ces deux prédécesseurs. Après une année de pouvoir, il est intéressant de caractériser le style de Yayi Boni et son action en fonction de ces deux modèles précédents qui s'imposent à lui à la fois comme des pairs et des repères.
D'une manière négative, par rapport à ses deux prédécesseurs, on peut dire que Yayi Boni n'a pas le pédantisme théoricien de Soglo. Bien qu'il ait pris soin de s'affubler de la particule intelligente de Docteur, ce n'est pas le genre d'homme à abuser des concepts théoriques et de discours abscons. Sa méthode est plutôt pragmatique. De même, Yayi Boni, bien que ne faisant pas mystère de son allégeance à Dieu, et se posant volontiers en homme de foi, ne verse pas dans l'obscurantisme éclectique et délirant de Kérékou. Et, à défaut d'avoir inventé le fil à couper le beurre, le fait que Yayi Boni soit un technicien de l'économie nanti d'une solide expérience de gestionnaire fait de lui l'antithèse d'un esprit obscur sans boussole ni lumière. D'une manière positive, Yayi Boni qu'on a vu à l'oeuvre pendant une année maintenant ressemble a un chauffeur qui aurait dans son rétroviseur ses deux illustres prédécesseurs. Son action et son style de gouvernement, mis à part les erreurs de novice fort compréhensibles, tiennent de ces deux modèles dans un dosage subtil déterminant dont lui seul a le secret.
Yayi Boni le bâtisseur, l'innovateur, le bêcheur, celui qui ne laisse nulle place ou la main ne passe et ne repasse, l'homme qui est au four et au moulin, rappelle à bien des égards le Président Soglo. Il en a la science, la volonté, et il sait qu'il sera jugé sur son bilan et qu'il n'a pas droit à mener le pays en bateau car le Bénin a fait beaucoup de croisières stériles et dramatiques et n'aspire qu'à une seule chose : prendre pour de bon le cap du développement, qu'on l'appelle "émergence" ou "niveau de vie correct". Aussi Yayi Boni se décarcasse-t-il pour que ses résultats soient à la hauteur des espérances investies en lui par le Peuple. Dans une première vie présidentielle, Kérékou avait donné dans la propagande à coloration idéologique, dans un climat propice au culte monothéiste de la personnalité. Dans sa deuxième vie présidentielle, le même homme a remisé la propagande mais a jeté son dévolu sur les supercheries électorales. Sa réélection en 2001 face à Soglo n'avait pas été gagnée en toute honnêteté. Des fraudes autoritaires massives avaient entaché le premier tour, ce qui a conduit à une réaction radicale de la part de son concurrent malheureux, piégé dans son honnêteté. De même, aujourd'hui, on ne peut pas dire que Yayi Boni soit insensible au culte monothéiste de la personnalité, même si ce culte est moins politique que médiatique. Et les activités et coups plus ou moins pendables des officines de Promotion du Changement s'inscrivent dans une logique propagandiste pour le moins surannée. Quant à la fraude électorale à l'aune de la première élection organisée sous le régime du Changement, il semble qu'en l'occurrence rien n'ait vraiment changé dans les vieilles habitudes. La fraude ne s'est jamais aussi bien portée dans une élection que dans les élections législatives de mars 2007. On n'a pas besoin d'avoir inventé la poudre pour voir que le pouvoir actuel, obsédé d'une majorité sans partage, a tout fait pour donner à ses fantasmes politiques l'apparence de la réalité, et ce au détriment de la vérité. Ce qui fait dire aux mauvaises langues que la FCBE, le parti qui a le plus bénéficié du désordre ordonné des dernières élections, serait in fine une Force Cauris pour le Bidouillage des Elections !
Au total le timonier Yayi Boni aux commandes du navire Bénin a deux modèles dans son rétroviseur. Le modèle diurne et lumineux représenté par le Président Soglo ; lumineux ne voulant pas dire expressément positif ; et le modèle nocturne et obscur représenté par le Président Kérékou ; obscur ne voulant pas dire forcément négatif. Ces précisons sont importantes ; car le jour et la nuit ont chacun leurs vertus et leurs vices. Il appartient donc au Président Yayi Boni de trouver le bon dosage. Si l'équation politique de l'émergence était une équation linéaire, elle serait de la forme aS+bK = Y.
A Yayi Boni de la résoudre avec sagesse en trouvant les bonnes constantes. Ce serait la meilleure façon de tirer parti des vertus du jour et de la nuit.
Aminou Balogoun
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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