L'Affaire Mahé
Il est intéressant de réfléchir sur les formes discrètes de la communication dans une société. Ainsi, il y une année de cela, la persistance lancinante dans les média français de l'affaire Mahé (du nom d’un coupeur de route ivoirien assassiné par des soldats français sur ordre de leur hiérarchie) en donne l'occasion. Voilà une affaire qui, du point de vue des crapuleries qui sont l’ordinaire de toutes les armées du monde, et plus particulièrement dans un contexte croisé de racisme et de néocolonialisme endémiques, relève d'une banalité. Or, sur
une durée de temps relativement considérable, en France, média, justice, et politique n'ont parlé que de ça. S'envoyant pêle-mêle accusations et responsabilité. Et le protocole est allé crescendo, en suivant les marches de la hiérarchie sociopolitique : média, justice, armée, Ministres, Premier ministre, Président...
Sans aucun doute, les raisons réelles sont ailleurs. Certaines sont transparentes, d'autres ne peuvent que faire l'objet d'une déduction symbolique dans le sens d'une analyse des formes sociales de l'échange d'information. Anthropologie.
Par exemple, on peut remarquer que le Ministre de la défense étant une femme, sa présence à la tête d'un monde d'hommes imbus de leur virilité ne peut que susciter certaines résistances et certains heurts dont l'affaire Mahé ne serait apparue que comme la traduction psychosociale. Psychodrame politico-militaire à la française.
Mais d'un autre point de vue, et dans la mesure où tous les niveaux de la société entrèrent dans la danse, l'analyse prend une dimension plus sociétale que psychosociale. Il faut d'abord remarquer que selon des recensions fiables, on a plus ouvertement et délibérément parlé de l'Affaire Mahé en haut lieu en France que du génocide du Rwanda en tant que tel. En fait on voulait accréditer l'idée que la vie, même d'un seul homme, même d’un Noir, est chose très respectée par la France, et son armée ; et que ceux qui commettent l'erreur de ne pas prendre en compte ce respect ne sont inspirés que par eux-mêmes, ne représentent qu'eux-mêmes et seront rendus responsables de leurs fautes.
Du coup, on fait d'une pierre deux coups. Comment un pays qui s'émeut tant du meurtre par un haut gradé de l'armée d'un coupeur de route africain, peut-il une seconde être mêlé de loin ou de près à un génocide qui a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de Noirs en Afrique ?
Mais à force de mettre en scène un tel raisonnement insidieux on ne nous explique pas comment un pays si vertueux a été capable d'être l'un des plus gros esclavagiste de l'histoire récente de l'humanité. Malheureusement, les gens vers lesquels de telles manipulations sont dirigées ne se posent pas ce genre de question : et ceux qui les manipulent ne le savent que trop.
Binason Avèkes
Copyright Blaise APLOGAN, 2007
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