Mon Idéo va, court, vole et tombe sur... :
L'Art de nommer les Partis
.
D’habitude, dans l’histoire des partis et de leur sigle, ce sont le flou, le vague ou le général qui ont la côte. Il s’agit de ramasser en deux ou trois mots, la devise, la nature et l’objectif fondateur du parti. Histoire d’être incollable ou, comme le disent les épistémologues, infalsifiable. Cette « infalsifiabilité » est devenue la marque de fabrique, sinon la condition subtile de mise en jeu symbolique du nom d’un parti politique digne de ce nom. La raison de cet attachement subtil à la généralité dans le choix du nom est due à la volonté d’échapper à toute
contradiction entre les objectifs déclarés du parti et ses actions dans la réalité. Une manière sinon d’échapper au devoir d’inventaire, du moins d’être à même d’en donner une version rhétorique, quelles que soient les fortunes politiques. En effet, plus on reste général, plus facile est le déploiement dans l’éther de la rhétorique.
Tel est le secret des théories infalsifiables. La rhétorique religieuse est bien outillée à cet effet. Dites à un chrétien que le seul fait que Dieu eût laissé Jésus mourir sur la croix, jette un doute sérieux sur son existence ou à tout le moins sur le fait que celui-ci est le fils de celui-là, et vous entendrez répondre que non ; justement c’est parce que Dieu existe et est bon qu’il a donné son fils pour sauver l’homme… Dites à un Juif ancien, si Dieu existe, et a élu le Juif parmi les nations, pourquoi l’a-t-il laissé tomber en esclavage ? Et il vous répondra pareillement qu’il s’agit d’une épreuve salutaire pour instruire sa nation élue, etc.… Les théories religieuses constituent un modèle des théories que les épistémologues qualifient d’infalsifiables et auxquelles ils n’accordent aucune valeur scientifique. En langage simple nous les appellerons des théories incollables.Tel est le parti pris des fondateurs de partis politiques : être incollable. Et l’astuce pour ce faire, c’est préparer a priori le lit de la rhétorique, en caressant le flou et le vague. Tenez, au Bénin, on peut citer : PRD : Parti du Renouveau démocratique ; FC : Force clé ; MADEP : Mouvement africain pour la démocratie et le progrès ; UBF : Union pour le Bénin du futur ; FE : Force espoir. Bref, entre emphase et flou, le secret de l'art est bien partagé. Union, Espoir, Force, Progrès, Futur, Démocratie, voilà ce qu’on appelle des joyaux de notions infalsifiables. Dans le vaste monde on n’a pas fait mieux non plus. Les partis dans les grandes nations sont aussi sobres que prudentes dans leurs dénominations. En France : PS : Parti Socialiste ; RPR : Rassemblement pour la République ; UDF : Union pour la démocratie française ; UMP : Union pour un Mouvement populaire. En Espagne, PP : Parti Populaire. Enfin aux Etats-Unis, deux mots vagues suffisent à décrire de grands partis : Parti Démocratique, et Parti Républicain.
Or donc, tout à coup, prenant à contre-pied cette prudence légendaire, au Bénin, on a vu émerger récemment un Parti qui n’a pas hésité à avancer clairement son jeu, à dire ouvertement ce qu’il était et ce qu’il entendait faire. FCBE, tel est le sigle du parti du Président Yayi Boni. Audace étonnante, naïveté renversante, au choix. Voilà en effet un parti qui s’appelle Force Cauri pour un Bénin émergent. Le concept de « Pays émergent » n’est ni de la fumée ni de la poudre aux yeux, c’est un concept précis et concret. Il fait parti du vocabulaire technique du développement et se mesure par tout un ensemble de paramètres répertoriés par les experts et les Organisations Internationales. Il est illustré par quelques pays en Asie et en Amérique. Il ne prête pas flanc au moindre usage rhétorique. On émerge ou on n’émerge pas, il n’y a pas en la matière de demi-mesure possible. Dans ce cas, pourquoi le parti du Président s’est-il avancé si audacieusement alors qu’en matière de dénomination de parti il sied de rester vague pour ne pas avoir de compte à rendre ? Sans doute parce qu’économiste honnête, le Père du Changement béninois adhère à l’éthique de responsabilité et entend s’appliquer à lui-même et à son parti son principe de base : le devoir d’inventaire.
Dès lors que se passera-t-il si, au terme de sa législature, le Président Yayi Boni entend ses ennemis lui dire que, selon les critères internationaux, le Bénin n’a pas émergé ? Acceptera-t-il de donner son tablier faute d’avoir fait de notre pays ce que proclament à corps et à cri ses partisans et le sigle de son parti ? Ou nous dira-t-on que l’émergence est au Bénin ce que la lune est à la terre : une lumière lointaine, ronde et nocturne, et qu’il faille attendre la pleine lune ? Nous passerons alors de la Rhétorique à la Poétique. Sacré Changement...
.
Eloi Goutchili
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.