Nous n’aurons pas d’excuse !
Michel Rocard est assurément le plus intelligent des socialistes français, et sans doute l’un des hommes les plus audacieux de sa génération. Cet homme qui a exercé les plus hautes fonctions politiques, et qui a gardé une image d’intégrité, n’est pas seulement le chantre de la "deuxième gauche", l’ennemi politique intime de Mitterrand, en lequel la presse aime à le faire passer. Michel Rocard est un homme de raison, de sérénité et de sagesse, comme le parti socialiste en compte quelques-uns dans ses rangs. Un homme qui a des ressources de sensibilité, de vision qui, ajoutées à l’audace dont il sait faire montre, à sa liberté, peut éclairer les Français, et en particulier la gauche dans les moments décisifs de leur vie politique.
Depuis les dernières élections présidentielles, on a vu se dessiner dans la dynamique électorale française une logique d’élimination au premier tour du meilleur candidat de gauche ou du centre-gauche qui profite mécaniquement à la droite au second tour. Parfois, cette logique est enclenchée par les manipulations des Etats-majors de la droite et de l’extrême droite. C’est cela qui a été à l’origine de ce que l'on a déploré sous le nom du séisme du 21 avril mais dont personne à gauche ou au centre n’a songé sérieusement à en éviter la réédition. Or, si ce pays a quelque espoir de s’affirmer dans sa dignité, dans son identité et dans ses valeurs républicaines, elle ne peut le faire qu’en barrant la route à ceux qui ne les donnent pas chères sur le marché ; elle ne peut le faire qu’en barrant la route à la droite libérale et à l’extrême-droite xénophobe incarnée par le tandem Sarkozy-Le Pen. Cette condition-là est une vérité politique. Elle passe par la reconnaissance d’une proximité de valeurs et d'une complémentarité d’objectifs entre le centre et la gauche ; et par une stratégie de solidarité politique autour de ces valeurs et des ces objectifs. Les électeurs, et plus généralement les Français qui, à deux semaines du premier tour, hésitent et ne savent pas encore à quel saint se vouer, traduisent bien ce désir de solidarité. Or cet engagement social franc est pris au piège psychologique des conditionnements partisans et des blocages culturels. Il faut s’appeler Michel Rocard pour briser le tabou. Il faut s'appeler Michel Rocard pour libérer, nous osons l’espérer, les uns et les autres d’un piège qui a déjà trop fait souffrir les Français. Un piège dont les Français ne veulent plus souffrir…
Dans un point au journal le Monde, Michel Rocard lance un vibrant appel à François Bayrou et à Ségolène Royale ; appel clair à une alliance du centre et de la gauche, considérée comme possible dans les faits et conçue comme seul moyen de battre la droite et l’extrême droite.
Lisez plutôt !
Royal-Bayrou, l'alliance nécessaire,
Par Michel Rocard
Si Nicolas Sarkozy est élu dans quelques semaines, nous n'aurons aucune excuse. L'UMP gagnera les élections législatives qui suivront; et pendant cinq ans, la France va souffrir.
Tous les Français ne souffriront pas de la même façon : les plus riches vivront encore mieux. Les classes moyennes et les petits salariés vivront plus mal. Les exclus seront plus seuls que jamais.
Nous pouvons éviter ce gâchis social dont la majorité des Français ne veut pas. Comment? Simplement, en unissant nos forces avec ceux qui sont les plus proches de nous. Ceux qui pensent comme nous que le marché doit être régulé, que l'Etat doit défendre la solidarité, que l'égalité des chances doit être assurée pour tous et entre toutes les générations.
Socialiste et européen depuis toujours, j'affirme que sur les urgences d'aujourd'hui rien d'essentiel ne sépare plus en France les sociaux-démocrates et les démocrates-sociaux, c'est-à-dire les socialistes et les centristes. Sur l'emploi, sur le logement, sur la dette, sur l'éducation, sur l'Europe, nos priorités sont largement les leurs. Sur la société, sur la démocratie, sur les femmes, sur l'intégration, sur la nation, nous partageons les mêmes valeurs. Isolés, ni eux ni nous, n'avons aucune chance de battre la coalition de Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen. Mais rassemblés avec les Verts, la gauche sociale-démocrate et le centre démocrate-social constituent une majorité dans le pays. Et dans deux semaines elle peut devenir la majorité réelle. C'est la chance de la France.
Il ne faut pas attendre l'après-second-tour pour créer la dynamique de l'alliance. Dans quelques jours, les Français décideront qui, de François Bayrou ou de Ségolène Royal, sera le mieux à même de battre Nicolas Sarkozy. Et ils le feront d'autant mieux qu'ils sauront que, dans tous les cas, une alliance sincère et constructive défendra au second tour puis aux législatives un projet commun d'espoir pour la France.
J'appelle donc François Bayrou et Ségolène Royal, avant le premier tour, à s'exprimer devant les Français pour s'engager dans la voie de cette alliance. Qu'ils fassent confiance aux Français pour que les Français leur fassent confiance.
Je ne me prononce qu'au nom d'une seule ambition : l'amour de mon pays. L'envie que la France retrouve confiance en elle; que nos jeunes portent l'espoir d'une vie meilleure; que notre Etat se modernise dans le respect de chacun; et que triomphent nos idéaux démocratiques dans un monde en mouvement.
Pour la première fois depuis longtemps, j'atteste que ce chemin nous est ouvert. Nous pouvons déplacer les lignes politiques pour qu'elles soient fidèles à nos convictions. Nous pouvons faire repartir la France sur les rails du progrès économique, de la justice sociale, d'une démocratie impartiale et apaisée. Offrons ce choix aux Français et je suis sûr qu'ils l'approuveront.
Si nous ne saisissons pas cette chance, oui nous n'aurons aucune excuse…
Michel Rocard
Copyright, Blaise APLOGAN,2007
Analyse profonde et délivrée avec maestria ! Rien à ajouter, tout est dit, et bien dit. Et avec quel humour! Raîchissant !
Merci de votre intervention, Mr ADOUVI.
Rédigé par : Blaise | 14 avril 2007 à 09:27
Excellente analyse! Vous avez,Monsieur APLOGAN tout à fait raison.
M. ROCARD est un homme très intélligent,il est très en avance sur les pensées sociales-démocrates. Grand penseur et théoricien socialiste, il n'a pas toujours été bien compris en ces temps de conquête et d'exercice du pouvoir. Mais,comme on dit souvent: le talent ne meurt jamais. Le peuple français reste devoir à ce monsieur beaucoup d'initiatives et lois économiques,sociales et de correction fiscale telles que: le RMI,la CSG(contribution sociale généralisée), l'ISF et bien d'autres mesures copieusement critiquées en leur temps mais qui demeurent toujours appliquées. Si M.ROCARD sort aujourd'hui de son mutisme et s'exprime sur les convergences idéologiques centre/gauche c'est qu'il a compris que François BAYROU après avoir subi les attaques les plus acerbes et rococo de la part de l'équipe de campagne de Ségolène ROYAL, risque de compromettre la victoire de la candidate socialiste au second tour(s'il ne l'empêche pas carrément d'être au second tour en la coiffant au poteau).
Je pense sincèrement que François BAYROU, qui tel un haltérophile a soulevé - au delà de ses espérances - un poids trop lourd ( le poids de la contestation populaire, le poids des valeurs républicaines en péril, le poids de l'assurance et du respect des institutions et de la parole donnée etc...). Un poids qu'il pourra, soit, à loisir, déposer docilement au pied de la candidate socialiste - telle une offrande - ou - au contraire le balancer(le poids, en réalité son score du 1er tour) loin, plus près de Sarkozy de façon à mettre en difficulté le camp socialiste et de gauche qui manifestement sera plus loin de la victoire au soir du 1er tour que son rival UMP.
Cette considération nouvelle de l'électorat de l'UDF et de François BAYROU favorise déjà le "cantonnement" et le vagabondage outre mesure de certains militants et sympathisants socialistes, mais aussi le basculement de certaines corporations - le corps enseignant et la classe moyenne - plus enclines à voter traditionnellement à gauche au profit de BAYROU.
Le phénomène BAYROU pèse fortement sur la perçée ou la progression attendue de Ségolène ROYAL, depuis le mois de janvier jusqu'à ce stade de la campagne.
Le mérite de M.ROCARD est justement d'affirmer et d'attester haut et fort qu'une alliance BAYROU/ROYAL offrira une chance certaine de battre la dynamique "machiavélico-identito-sécuritaire" de Sarkozy et Lepen.
Nul doute que cette alliance si elle est mise en oeuvre profitera plus à ROYAL qu'à BAYROU car elle permettra de libérer les énergies des soutiens obligés et enlisés dans des querelles byzantines; afin de combattre la fébrilité née des divisions des courants au fil des congrès, réunions et autres guérillas socialistes sujets de grandes angoisses au sein du parti.
C'est très peu de dire que les éléphants ont tous le sentiment de rentrer avec cette élection présidentielle dans un magasin de porcelaines. Même les plus bruyants et brouillons autrefois se font aujourd'hui très discrets de peur d'être montrés plus tard du doigt comme celui ou ceux par qui l'inévitable malheur est arrivé.
Nihil obstat, M.ROCARD grand chantre de la deuxième gauche a,lui, indiqué à BAYROU dans quelle direction déposer le poids électoral par lui soulevé; mais il lui reste(M.ROCARD) à convaincre ROYAL et tout l'appareil du PS à apprendre à "conter fleurette" à BAYROU, lequel veut après tout être aimé et considéré comme un Homme d'Etat et existé comme tel - ce que lui refusent avec mépris ses anciens amis persifleurs UDF/UMP desquels lui BAYROU espère bien se venger, à coups de canne à sucre coupée et ramenée des champs guadeloupéens pour l'occasion -
C'est dire décidement qu'il n'y aura aucune excuse pour ceux qui auront décidé, de leur propre chef ou à leur corps défendant, de minimiser ou négliger l'effet BAYROU: les images télévisées des scènes et meetings de campagnes nous montrent déjà les prémisses des corrections et châtiments qui attendent les uns et les autres. L'homme est très en confiance,il affine quotidiennement son image de présidentiable rassurant, de bon gestionnaire et de bon père de famille à travers lequel se reconnait volontier le français moyen pacifique et anti-raciste.
M.ROCARD a bien fait de dire que les socialistes n'auront pas d'excuse si un nouveau sunami politique arrivait au soir du 1er tour avec l'absence au second tour ou la défaite au second tour de la candidate socialiste.
Oui, les socialistes et la gauche n'auront pas d'excuses s'ils n'anticipent pas le mouvement en faisant de BAYROU leur allié conventionnel, afin d'empêcher tactiquement et cordialement sa progression sur le terrain pendant les derniers jours de campagne et dans l'arène politique pour les législatives car la majorité la plus facile à rassembler aujourd'hui en France, semble être la majorité centrale.
Rédigé par : ADOUVI Guillaume | 14 avril 2007 à 03:13