Dieu, donne-nous aussi le vin de la Culture[1]
La culture a du plomb dans l’aile. Parce qu’elle est définie comme quelque chose qui n’est pas expressément "utile", c’est à dire qui n’apporte pas à celui qui en jouit un bénéfice matériel mesurable, sonnant et trébuchant. Or l’utilité de la culture est d’autant plus immense que sa réalité est médiatisée. Pour une large part, son efficacité n’est pas directe.
Toutes proportions gardées, le Béninois est cultivé. Du moins, au Bénin, aller à l’école, avoir des diplômes et une bonne formation est valorisé. Mais le principe de cette valeur est l’utilité. Pour nous, la culture est au mieux un ustensile : flèche qu’on décoche sur une cible bien précise. Mais seul un chasseur fou tire sa flèche en l’air pour le plaisir de tirer.
Il s’agit d’une approche utilitariste, une culture sagittale. Or une formation dont le principe exclusif est sagittal perd toute valeur culturelle ; et du même coup tout le bénéfice d’une capacité à agir de manière féconde au service du changement.
Dans l’idée de culture, il y a bien sûr ce qui touche à la formation, à l’école, et à l’université. Et déjà à ce niveau, le point de vue culturel est de donner une réponse intelligente qui nous sorte définitivement des aberrations et impasses de nos politiques éducatives. Mais l’idée culturelle va au-delà de la conception intelligente de l’école. Comme la politique, la culture n’est pas seulement celle du ventre. Il faut sortir de la fausse idée que la culture est un luxe réservé à celui qui en a plein le ventre, et qui rechercherait de quoi se divertir. En fait, la culture nourrit l’esprit, indépendamment de la formation ; c’est une manière d’ordre, un choix éthique au service de la connaissance. C’est un sang de lumière qui irradie toutes les veines de la société : villes, villages, hameaux, familles, groupes, individus. Un climat de curiosité permanente, de créativité au service du changement.
Tout cet esprit crée une capacité d’action féconde. C’est ça qui permet le développement et plus important encore, son enracinement. C’est le terreau d’une prospérité durable. Car des mesures clairvoyantes de bonne gouvernance et une saine gestion de l’économie peuvent nous aider à gravir les pentes de la montagne de la prospérité vers son sommet convoité. Mais seul l’esprit culturel nous permettra d’y rester à demeure, et nous évitera de dégringoler.
Toutefois, ce postulat accepté, une erreur est à éviter : celle qui consiste à croire qu’il y aurait une hiérarchie entre agriculture et culture. En fait faute de générer l’esprit culturel en même tant que nous gravissons les flancs du Mont Prosper, dans l’idée qu’il serait toujours temps d’ajouter le vernis culturel quand nous aurons à portée l’illusion du sommet, il sera déjà trop tard. La dégringolade est assurée. Et le changement aura fait long feu.
L’approche cosmétique de la culture est inopérante. Pour éviter la dégringolade, voici une prière politique : « Dieu donne-nous notre pain de chaque jour mais aussi le vin de la culture. »
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Aliou Kodjovi
[1] Première mise en page : 30 mai 2006
© Blaise APLOGAN, 2007
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