Une mutation radicale.
Par Nouatin Théophile*
Pourquoi tenir aujourd’hui un discours centré sur une Afrique vue comme une unité alors qu’elle relève d’une mosaïque de peuples et d’entités géopolitiques ? De multiples raisons imposent à l’évidence cette agrégation voulue de tout cœur par les visionnaires de l’aube des indépendances dont notamment Nkrumah, Nasser. Parmi les raisons qui forcent à l’édification de l’espace africain unifié, il en est une qui est due à l’émergence ou à la structuration de nouvelles puissances aux dimensions continentales notamment l’empire chinois et le bloc Européen. Face à ces nouvelles entités la faiblesse des parts agrégées des pays africains dans les échanges transcontinentaux de biens et services ne peut que s’accentuer si l’on sort de la balance le gonflement inhérent à une demande accrue de matières primaires essentielles à des économies en plein boom. Les matières premières comme le pétrole et les minerais ont une fin dont l’horizon est de quelques décennies.
Occulter le fait que la mosaïque de pays qui forment le continent sont exposés individuellement à très court terme à un avenir encore plus problématique que l’état actuel, serait à n’en pas douter un crime contre peuples en danger. En effet, l’Africain hier traîné en servitude, dominé, colonisé, est condamné à perdre de nouveau sa liberté et avec elle, sa dignité, si ses élites par une mutation radicale d’organisation et de leadership ne s’attèlent à tailler au continent une autre stature que celle qui est actuellement la sienne.
L’histoire procède souvent par cycles et les peuples qui ont manqué de vision et de veille se retrouvent, du fait de leur statisme, broyés à répétition par sa roue inexorable. Une telle crainte est loin d’être que du pessimisme ou de l’afro-pessimisme si l’on veut. L’heure n’est donc point à se contenter de se féliciter des routes, des chemins de fer et autres infrastructures construites par telles ou telles puissances dans les pays africains, car quelle que soit leur bonne volonté, ce n’est ni leur vocation première, ni leur devoir éternel. L’heure est à une prise en main auto-déterminée du destin du continent, une prise en main qui prend appui sur ses propres potentialités.
Cette prise en main exige plus de responsabilité des élites afin d’appeler par l’exemple à un changement de pratique de chaque africain. Le politologue Congolais M. Kanyana dans un éditorial publié dans la revue Genevoise Regards africains en appelait à rompre avec ce qu’il considère « comme ces calamités qui rongent les élites africaines propulsées avant-garde du devenir africain…: Notre affligeante inclination à la démission de nos responsabilités…, notre schizophrénique ardeur à précariser nos peuples, notre révulsive tendance à l’ensauvagement des mœurs politiques, notre irrépressible manie à jouer de l’impunité, notre lymphatique désinvolture face à la déprédation du patrimoine, notre assise sur une auto-culture sans repères précis ni cohérence… »
L’afrique, c'est-à-dire l’homme africain est à un carrefour de l’histoire où il doit impérativement muter pour sa survie comme c’est le cas chez les espèces menacées de disparition par une catastrophe ou un aléa de l’espace vital.
Un élément concret, essentiel et urgent de ce changement vital demeure incontestablement une utilisation rationnelle et non déprédatrice des ressources de la collectivité. Le chef d’Etat Béninois affirmait récemment dans une déclaration face à la presse, qu’en gagnant la lutte contre la corruption, il sera à même d’autofinancer à terme en majeure partie les investissements nécessaires au développement national. Ce point de vue parmi d’autres, illustre la mutation radicale qui s’impose à nous. Tricher avec cette mutation, il faut le redire, c’est condamner à terme, non seulement la prospérité collective mais surtout notre liberté et celle de nos enfants car nous n’aurons aucun patrimoine naturel à leur léguer alors que nous aurons du reste, obéré leurs générations par des dettes mal utilisées.
Theophile Nouatin*
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
* Ingénieur informaticien, Théophile Nouatin a travaillé plusieurs années au Laboratoire de systèmes énergétiques de l’EPFL et fut enseignant à l’Ecole d’ingénieurs de l’Etat de Vaud. Passionné de littérature – il est auteur d’un recueil de nouvelles, « L’Exil et la nuit », l’Harmattan, 1994.
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