Le malheur de Porto-novo
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Le malheur, tout le monde en convient, est le contraire du bonheur. Selon Aristote, qui sur ce point est en accord avec Platon, le Bonheur est le Souverain bien : quelque chose qui n’est pas recherché comme moyen d’une autre fin, mais qui est sa propre fin. Suivant cette vue, on peut donc dire que tout ce qui n’est pas recherché pour soi mais comme moyen d’une autre fin n’est pas le bonheur. En politique lorsque cette fin ultime est cachée, on débouche inévitablement sur le malheur.
Tel est par exemple le cas de l’intervention américaine en Iraq. Ce pays a été occupé brutalement, son chef déchu puis tué, exposé à une guerre intestine qui ne dit pas son nom, tout simplement parce que les fins réelles de l’intervention de l’armée américaine sous l’égide de George W. Bush sont loin de celles invoquées. On parle souvent de pétrole, de terrorisme, d’Israël, etc. mais parmi les fins réelles de la croisade de l’Amérique de George W. Bush en Iraq, il en est une que l’on oublie souvent, qui est d’ordre politique et personnel: la hantise de W. Bush de ne pas être réélu. Georges Bush le Père était le dernier Président républicain à ne pas avoir été réélu depuis Nixon. Record historique. Il ne fallait sous aucun prétexte rééditer le même faux-pas. C’était une question d’honneur, pour ne pas accréditer l’idée d’une sorte de malédiction familiale, à un homme qui tient pour bénédiction divine le fait d’être Président et fils de Président. Or sachant qu’ en cas de guerre, les Américains, pour raison de patriotisme, restent soudés derrière leur Président, aussi médiocre soit-il, que restait-il à faire à un homme aux compétences limitées comme Georges W. Bush ? Eh bien déclencher une bonne guerre, to wage a brave war ! Et c’est ainsi que George Bush s’est payé une assurance réélection en conduisant l’armée américaine et son pays dans l’aventure d’Iraq. « Piège sans fin », dirait un célèbre écrivain béninois…Mais peu importe, George W. Bush est réélu : il a fait mieux que son père, il a enrayé la malédiction, c’est l’essentiel.
A mille lieues de l’Amérique de Georges Bush se trouve Porto-Novo, ancienne capitale coloniale du Dahomey, et actuelle capitale politique du Bénin du Renouveau. Le Porto-novien a la vindicte facile, bagarreur dans l’âme, il est prompt à en découdre avec son concurrent. Le Porto-novien n’est pas un révolté au sens noble du terme. Cette noblesse sied aux Holli de la même région dont l’intégrité et la bravoure font l’objet d’un mépris paradoxal, reflet des intrigues et manipulations colonialistes. Contrairement à l’idée de résistance chère aux Holli, l’émeute politique ou la bagarre éclair font partie de l’éthos du Porto-Novien. Et comme il n’a pas la mémoire courte, le Porto-novien est souvent repris par les démons cycliques du passé. Le Président Houngbédji, grand perdant des dernières élections présidentielles face à Yayi Boni le sait si bien que seul le fair-play dont il a fait preuve ouvertement a aidé à ne pas mettre le feu aux poudres, dans une ville et une région qui ne demandaient pas mieux que de saisir la moindre occasion d’embrasement. Or donc les événements du 23 mars – provocations de groupes politiques rivaux, invectives, échauffourées, coups et blessures graves, déprédation de matériels, incendie de voiture, etc. – sont à l’évidence un malheur pour notre ville. Le plus grave est qu’ils pourraient être considérés comme un malheur au sens où la guerre de George W Bush est un malheur pour l’Iraq. Et ce pour des raisons curieusement similaires. Certes, il s’agit d’élections législatives, mais ce n’est pas faire preuve d’une imagination délirante que de penser que ces événements sentent le roussi d’une frustration et d’une peur en rapport avec des élections présidentielles : aussi bien celles passées, des 5 et 19 mars 2006, que celles à venir de 2011 ! Combat à fleuret moucheté entre deux hommes. L’un qui, en dépit de la volonté populaire de tourner la page des hommes du passé, parce que constitutionnellement dans la course, s’y veut implicitement pour ne pas dire opportunément. L’autre qui, croyant incarner à lui seul la nouveauté, entend l’ériger en apanage et veut régner sans partage dans le temps et l’espace constitutionnels ; l’œil rivé sur l’exemple d’un prédécesseur fameux qui quoique ayant bien fait son travail de redressement du pays, victime d’une haine jalouse typiquement béninoise, et d’une cabale politique, échoua piteusement aux portes de la réélection. Ainsi, les élections législatives de mars 2007, au regard des incidents graves intervenus à Porto-novo, semblent pour certains états-majors et certains hommes politiques non pas une fin en elles-mêmes mais un moyen pour les élections présidentielles de 2011. Or si ces suppositions un peu romanesques ne sont pas entièrement délirantes, nous serions dans le cas de figure du contraire du bonheur selon Aristote : tout le malheur de Porto-novo, notre chère capitale, est là !
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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