Le coût et le prix
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement et la Cena ne s’entendent pas sur les conditions de transport du matériel électoral. Des deux côtés, chaque partie a ses arguments. Le gouvernement déplore le coût élevé proposé par la Cena et préfère faire appel au génie militaire pour un coût défiant toute concurrence. La Cena défend la rationalité légale.
Les partis du noyau de la mouvance soutiennent le gouvernement ; ils font valoir que le pays ne peut pas se permettre de dépenser un demi milliard dans la logistique du transport matériel alors qu’elle peut revenir à 20 millions.
Du côté de la Cena et des partis périphériques on estime que si elle s’avérait, l’incursion des militaires dans le processus électoral serait malvenue. Ils émettent des doutes voire des soupçons sur le bien fondé d'une telle proposition.
Les partis de la périphérie du Pouvoir et plus généralement ceux qui ne se disent pas d’opposition mais ne le trahissent pas moins utilisent des arguments juridiques et éthiques. La main sur le coeur, ils rappellent en choeur que depuis le renouveau démocratique, l’armée a fait vœu de se tenir à l’écart de la politique et de l’organisation des élections législatives et présidentielles. Ils invoquent la neutralité de l’armée affirmée à la conférence des forces vives de la Nation.
Voilà donc deux systèmes argumentaires et deux camps en face ; et chacun se retranche derrière ses arguments, sa bonne conscience et ses convictions pour ne pas dire ses intérêts.
In fine, et pour dire les choses telles qu’elles se pensent de moins en moins tout bas, chaque partie soupçonne l’autre d’arrière-pensées inciviles sinon d'intentions frauduleuses.
Du côté du gouvernement, la justification économique est tout ce qu’il y a de plus sain. Les partenaires au développement contribuent pour une part non négligeable à l’organisation des élections, et ils estiment que leur coût est exorbitant. Nous devons donc faire des économies, revoir notre manière de dépenser. Mais derrière la justification économique, il y a aussi le soupçon sinon la certitude que les dépenses sont surfacturées et que l’argent est distrait de ses buts réels à tous les niveaux. Ceci est malheureusement une vérité que personne ne peut nier. Il y a bien un election-business, et des gens pour qui l’organisation des élections est une aubaine. Cette dérive indécente est un fait de culture. Si ce n’était pas le cas au moins depuis le début du Renouveau le Changement actuel voulu par le peuple ne serait qu’un luxe. Or le Changement est une nécessité ultime. C’est notre dernière carte. Dès lors, la position du gouvernement ne manque pas de cohérence. En refusant de jeter l’argent par la fenêtre, y compris et surtout pour l’organisation des élections, il est dans son rôle de moteur du Changement. Il prêche le bon exemple au bon moment. Tout en veillant au grain, il envoie des signaux à nos partenaires : c’est bon pour l’image du pays.
D’un autre côté, et pour continuer à dire les choses telles qu’elles se pensent, le camp d’en face n’est pas mal loti. Tout d’abord en terme strictement légal, la Cena est une commission autonome. En exprimant ses réserves contre la proposition du gouvernement de confier le transport du matériel électoral au génie militaire elle est dans son rôle et dans son droit. Elle affirme et défend son autonomie. En termes politiques à peine voilés, la crainte des partis qui ne sont pas dans le noyau dur de la mouvance du Pouvoir est que ce recours au génie militaire préconisé par le gouvernement ne cache une ordonnance de fraude organisée. Ils invoquent pour cela la psychologie et l’éthique des militaires, leur sens de la hiérarchie, leur organisation, leur quadrillage du territoire, et enfin leur inféodation au pouvoir politique par le biais du Ministre de la Défense et du Chef de l’Etat, qui est aussi Chef suprême des Armées. A dire vrai, les arguments de la Cena comme ceux des partis périphériques ne sont pas extravagants. Ils tiennent la route, aussi bien dans leurs aspects éthique que juridique : neutralité de l’armée et engagement républicain sont au principe du Renouveau démocratique. Au risque d'être dans l'ambiguïté, ce sont donc des règles qu’il faut respecter.
Du reste, dans cette affaire nul n'a le monopole de l'ambiguïté. Les deux parties rivées l’une contre l’autre ont, au départ, de bonnes raisons de l’être. Mais de moins en moins bonnes pour s’entêter dans un bras de fer idiot et manichéen. Il faut penser à l’intérêt du pays, avant les intérêts partisans ou individuels. Et l’intérêt du pays commande que la vertu n’outrepasse pas le droit ni que le droit ne serve de paravent à des malversations cousues de fil blanc.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas couper la papaye en deux ? Chacun des deux parties – Gouvernement d’un côté et Cena de l’autre – doit mettre un peu d’eau dans son sodabi. Dans l’intérêt de notre pays, pour la consolidation des acquis démocratiques, l’autonomie de la Cena reconnue par la constitution doit être respectée. En même temps que doit être préservée la neutralité de l’armée : si on prend l’habitude d’inviter son gardien de nuit dans la cuisine, il ne faut pas s’étonner qu’il veuille mettre la toque en plein jour !
Le gouvernement a demandé de nouvelles propositions de coût du transport du matériel. Voilà une ouverture qui témoigne de son sens aigu des responsabilités. Le coût initial étant de 486.000.000 de F Cfa. Aux dernières nouvelles, la Cena a fait une proposition qui fait passer ses exigences à 165 590 000 F, soit une baisse de 66% ! Voilà un pas dans la bonne direction. On a envie de dire bravo, Messieurs continuez le dialogue, vous êtes sur la bonne voie, le juste coût est pour bientôt !
La chose prend même un aspect culturel : le marchandage au sens positif du mot ne fait-il pas partie de nos habitudes sociales et économiques ? A condition bien sûr de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. En effet, faute de ne pas le savoir on risque de basculer vers le sens négatif du mot marchandage. Or la démocratie ne se marchande pas. Elle a un coût. Et, au-delà du coût, elle a un prix : l’humilité dans la stricte application de ses règles.
Binason Avèkes.
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