Le nouveau visage de l’industrie pétrolière nigériane
Par Godwin Nnanna
Business Day, Nigeria
La chine est devenue un investisseur majeur dans le riche delta pétrolier africain du Niger. Godwin Nnanna espère que les erreurs du passé ne seront pas reconduites.
La CNOOC (China Offshore Oil Corporation ) a annoncé un investissement de 3 milliards de dollars us au Nigeria. Cet engagement financier, le plus gros investissement chinois en Afrique dans le secteur pétrolier, confère à la CNOOC 45% de part dans une extraction offshore. Ce qui donne à la chine un quasi contrôle sur un champ pétrolier nigérian dont la capacité avoisine les 180 000 barils/jour.
Et le Nigeria n’est qu’un cas parmi d’autres pays africains qui captivent l’intérêt économique de la Chine. Pour des raisons d’insécurité de leur approvisionnement due aux guerres de l’Iraq et du Proche-Orient, la Chine assure ses arrières et se déploie tous azimuts en Afrique ; ainsi l’Angola a-t-il pris le pas sur l’Arabie Saoudite pour l'approvisionnement en pétrole.
Ainsi, malgré la guerre du Darfour et son cortège quotidien de morts, et d’exactions de toutes sortes, à l’ombre des violations des droits humains, les exportations soudanaises vers la Chine ne se sont jamais aussi bien portées
La Zambie, l’Afrique du Sud, le Gabon, le Cameroun, et la République Démocratique du Congo, entre autres, font eux aussi l’expérience de l’intérêt économique croissant des Chinois pour l’Afrique. Chacun selon ses matières premières dont la Chine a le plus grand besoin pour accompagner sa croissance industrielle. Et les résultats ne se font pas attendre. De 3 milliards de dollars en 1995, le commerce chinois en Afrique est passé l’année dernière à 32 milliards. De 50 milliards à la fin 2006, il devrait tripler de volume d’ici à 2015. Cette prévision s’inscrit dans le cadre des objectifs de croissance du millénaire fixés par l’ONU.
Cette liaison entre l’Afrique et la Chine que certains qualifient de Nouvelle ruée vers l’Afrique, se révèle dangereuse dans certains pays contrairement à d’autres. Ainsi, malgré la guerre du Darfour et son cortège quotidien de morts, et d’exactions de toutes sortes, à l’ombre des violations des droits humains, les exportations soudanaises vers la Chine ne se sont jamais aussi bien portées ; imperturbablement, elles sont passées de 10 % de son volume total en 1995 à 70% en 2005 ! Mais ailleurs, la liaison se paye même le luxe d'un zeste culturel : au début de cette année, Pékin a annoncé le projet de construction au Sénégal, du plus grand théâtre ouest-africain, d’un montant de 35 millions de dollars. Mais cet arbre culturel singulier, et ô combien astucieux, cache mal la forêt et la furie de l’intérêt économique chinoise : les investissement financiers de l’Empire du Milieu en Afrique ont été plus nombreux et massifs dans les pays producteurs de pétrole. Le Nigeria et l’Angola bénéficient des largesses chinoises bien plus mesurées sous d’autres cieux africains.
Un demi-siècle d’exploitation pétrolière dans le delta du Niger a laissé les populations de la région plus pauvres qu’elles n’étaient avant la découverte du pétrole chez eux.
Est-ce que cette nouvelle ruée vers l’Afrique a quelque ressemblance avec celles du 17ème et 18ème siècle qui ont vu l’embarquement forcé et massif de la fine fleur de la jeunesse et des bras valides du continent noir vers l’Europe et l’Amérique ? L’impérialisme occidental n’était pas inspiré par l’esprit des affaires. Il ne s’agissait alors rien moins que d’un rapt et d'une spoliation pour lesquels nombre d'Africains et de Noirs réclament encore aujourd’hui réparation. Mais les rapports d’aujourd’hui de la Chine et de l’Afrique dont l’objet réside dans les matières premières et le pétrole principalement se veulent des rapports d’affaire au sens où la légalité internationale entend ce concept commercial entre partenaires consentants, libres et mutuellement intéressés.
Pour le Nigeria, le grand défi est de faire en sorte que le plus grand nombre de ses 130 millions d’habitants puisse tirer partie de cette immense rentrée de revenus pétroliers.
Les gaz brûlés en permanence libèrent dans l’atmosphère un mélange de substances toxiques comprenant du CO2, gaz à effet de serre par excellence et le méthane
Sous ce rapport, le moins qu’on puisse dire est que l’expérience du passé n’a rien eu de particulièrement réjouissant. Un demi-siècle d’exploitation pétrolière dans le delta du Niger a laissé les populations de la région plus pauvres qu’elles n’étaient avant la découverte du pétrole chez eux. Plus préoccupantes encore sont les dommages causés à la nature par les déversements anarchiques de pétrole ou les flammes de gaz brûlés en pure perte.
Depuis le meurtre crapuleux de l’écrivain Ken Saro Wiwa, dirigeant du MOSOP, par le régime du dictateur Abacha, le Mouvement pour la survie du Peuple Ogoni, dans tout le delta du Niger, il existe un vif ressentiment contre toutes les personnes ou institutions perçues comme instruments du désastre écologique régional découlant de l’exploitation du pétrole.
Actuellement, le Nigeria brûle 75% de sa production journalière de gaz en pure perte. Selon les experts, au Nigeria, une moyenne de 2,2 milliards de m³ de gaz sont ainsi brûlés chaque jour. Ceci contribue à l’effet de serre, dans la mesure où, dans toute la zone sub-saharienne, ce fléau est du essentiellement à l’activité des industries pétrolières.
Les gaz brûlés en permanence libèrent dans l’atmosphère un mélange de substances toxiques comprenant du CO2 ( dioxyde de carbone), gaz à effet de serre par excellence et le méthane. Selon les scientifiques, le potentiel de réchauffement climatique du méthane est de loin supérieur à celui du dioxyde de carbone. Les sources de la Commission Intergouvernementale sur le réchauffement climatique indiquent qu’après 20 ans de durée, 1 kg de méthane (CH4) est 62 fois plus réchauffant que le dioxyde de carbone (CO2 )
Que dire de tous ces faits eu égards aux nouvelles alliances qui se nouent dans le secteur pétrolier du Nigeria ? D’abord l’attention doit être portée sur la nécessité de partir sur des bases écologiquement saines définies par les deux parties. Shell débuta ses opérations dans le delta du Niger à une époque où le Nigeria était encore sous le joug colonial. Beaucoup de gens dans la région estiment aujourd’hui que la compagnie Shell a encore des efforts considérables à faire pour se départir de sa posture coloniale qui perdure plusieurs décennies après l’indépendance du Nigeria.
L’opposition Environnement/développement ou écologie/économie n’a pas lieu d’être. Ces deux termes peuvent et doivent être intégrés.
CNOOC ne peut se permettre de mener ses opérations avec la même arrogance dont Shell a fait preuve des années durant. Se comporter de la sorte serait préjudiciable à ses propres intérêts. Le souhait de tout investisseur est de faire des bénéfices, pas des sacrifices. Et le vrai bénéfice est celui qui est partagé. Quels que soient les signataires du contrat l’autorisant à conduire ses opérations, CNOOC doit pactiser avec les communautés d’accueil et les considérer comme parties prenantes de l’aventure. La série d’ouragans qui ont dévasté les Etats-Unis et l’Amérique latine et que certains scientifiques ont attribué au réchauffement montrent que les conséquences des activités des compagnies pétrolières ne se limitent pas aux seules populations directement concernées par les actes de déprédation écologique. Beaucoup de conséquences sont plus partagées qu’il n’y paraît. Les preuves du lien entre le réchauffement climatique et le déferlement de plus en plus ravageur des ouragans pourrait sembler spécieuses, mais le danger est réel et mérite qu’on s’y penche sérieusement.
Négliger ses responsabilités conduit vers un échec assuré. Une prospérité construite sur la dégradation de la nature n’est qu’une prospérité en trompe-l’œil. Une telle approche est potentiellement désastreuse. L’opposition Environnement/développement ou écologie/économie n’a pas lieu d’être. Ces deux termes peuvent et doivent être intégrés.
Il s’agit là d’un réel défi que la compagnie chinoise doit avoir à cœur de relever.
Traduit de l’anglais par : Binason Avèkes
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.