Voyage aux pays du coton.
Erik Orsenna raconte avec humour et un brin d’esprit son voyage aux quatre coins du monde "globalisé". Son fil conducteur : le commerce du coton.
« Cette histoire commence dans la nuit des temps. Un homme qui passe remarque un arbuste dont les branches se terminent par des flocons blancs. On peut imaginer qu'il approche la main. L'espèce humaine vient de faire connaissance avec la douceur du coton. Depuis des années, quelque chose me disait qu'en suivant les chemins du coton, de l'agriculture à l'industrie textile en passant par la biochimie, de Koutiala (Mali) à Datang (Chine) via Lubbock (Texas), Cuiaba (Mato Grosso), Alexandrie, Tachkent et la vallée de la Vologne (France, département des Vosges), je comprendrais mieux ma planète. Les résultats de la longue enquête ont dépassé mes espérances. Pour comprendre les mondialisations, celles d'hier et celle d'aujourd'hui, rien ne vaut l'examen d'un morceau de tissu. Sans doute parce qu'il n'est fait que de fils et de liens, et des voyages de la navette. »
Mais en fait de voyage, il s’agit à n’en pas douter d’un réquisitoire implacable. Après un rappel historique des origines et du succès planétaire du coton, pleins feux sur les pratiques, réalités et données nationales.
Au Mali, où l’on tisse le coton comme on bâtit son discours ("parole" et "étoffe" se disent "soy"), Erik Orsenna circule d’un village à l’autre au pays de la CMDT (Compagnie Malienne pour le Développement du Textile). La mère de toutes les activités, établissement toujours public (40% Etat français, 60% Etat malien) est la cible préférée de l’ambassadeur des Etats Unis qui ne voit pas pourquoi une compagnie commerciale se préoccuperait de social ou d’alphabétisation. L’Etat malien qui n’a jamais pu répercuter intégralement les chutes des cours mondiaux dues aux productions subventionnées, continue à payer les récoltes aux cours antérieurs. Mais cela ne suffit pas, pour des raisons minutieusement décrites.
« On nous critique pour notre déficit. Mais personne ne s’enquiert des causes de ce déficit.. Sans les subventions qu’ils reçoivent de leur gouvernement, les agriculteurs américains vendraient leur coton plus cher que le nôtre. Depuis l’indépendance, nous avons multiplié notre production par vingt. Depuis quarante ans, nous luttons chaque jour pour nous améliorer. Nous sommes entrés de plain-pied dans le jeu de la concurrence. Sans aucune chance de gagner, parce que le joueur le plus puissant ne joue pas franc-jeu
Et que pouvons-nous contre la guerre monétaire entre l’Europe et les Etats-Unis ? De par notre appartenance à la zone franc, nous sommes pieds et poings liés à l’Euro. Le prix de notre coton suit ses fluctuations : dès qu’il monte, notre coton coûte moins cher , parce que les transactions se font en dollars. Pensez-vous que cette situation est normale ? L’un des pays les plus pauvres de la planète lié à la monnaie la plus forte ? Plus elle monte, plus nous chutons. Et cela n’émeut personne. Surtout pas à la Banque mondiale
»Privatisation. Soit !. Puisqu’il semble bien que nous n’ayons pas le choix. Mais je ne laisserai pas la Banque Mondiale chambouler notre industrie en y allant à un rythme effréné. Nous avons besoin de temps. Parfois, je me demande si tel n’est pas leur but – chambouler notre industrie. Ce serait pain béni pour nos concurrents – et vous devinez de qui il s’agit. Puisque vous allez à Washington, dites leur clairement, que je ne vais pas transiger sur la question du temps. »
Alors la Banque Mondiale dit "Privatisez, on vous aidera"...
Au Burkina-Faso, on a dit non. En essayant de trouver une troisième voie, qui, si elle n’était pas trop séduisante au départ, finit par donner des résultats encourageants. La production a été réorganisée pour faire des producteurs des partenaires, en dépassant les solidarités de villages. L’Etat s’est désengagé en partie mais a cédé trente pour cent des parts de la SOFITEX aux producteurs. Rien à voir avec l’orthodoxie prônée par les libéraux mais ça marche !
Mais le gros problème ici ou ailleurs en Afrique demeure le coût élevé des productions nationales qui handicape les industries de transformation locale. Seul le Ghana se fait un devoir de "consommer national". Ailleurs on se vante plutôt de l’origine étrangère des vêtements.
Aux Etats-Unis, passage par Washington, sur un banc en face du siège de la Banque Mondiale, d’où l’on a paraît-il une vue imprenable sur "un immeuble de verre, rendez-vous de tous les peuples de la Terre", présenté comme une fourmilière géante qui ne se préoccuperait que de sa propre survie. Puis direction le Sud cotonnier. Accueillant, le membre du Congrès patron des lobbyistes-cotonniers, précise, bonhomme, "vous verrez mon petit-fils. Il a neuf ans. Je lui ai offert un fusil à sa taille. Pour bien chasser, il faut commencer tôt". Le directeur général du conseil national du coton se présente :"Mark Lange, trente milliards de dollars". Sans commentaire. Retranché derrière les subventions européennes et les pratiques commerciales chinoises, il justifie le soutien à une agriculture non rentable qui disparaîtrait sans cela.
Le Brésil, lui, ronge l’Amazonie pour étendre ses surfaces cultivables, la frontière recule toujours plus sans apporter aux plus pauvres quoi que ce soit de plus en matière de bien-être. Les Sans-Terre sont souvent de pauvres hères qui se déclarent tels pour obtenir un lopin qu’ils s’empressent de revendre aux "fazendas". Et ainsi de suite en boucle. "O futuro" ? Le bricolage génétique. Et création d’hybrides mi végétaux mi animaux (coton et araignée).
Le seul type vraiment sympathique décrit dans le périple orsennien est le conservateur du musée du coton du Caire. Un homme aux connaissances encyclopédiques qui vibre, vit, pense, rêve "coton". Pas surchargé de visiteurs, il a le temps de consacrer un soin maniaque à ses collections et à l’histoire de la fibre miraculeuse. De qualité extrêmement supérieure, le coton égyptien envahit le "vert" au point de manger toujours plus l’espace des cultures vivrières. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Inch’ Allah !
Après l’Ouzbékistan, la Chine, la France.... conclusion amère : "la première leçon d’un tour du monde est celle-ci : sur Terre la douceur est une denrée rare, et chèrement payée."
Cette route du coton est un condensé des heurts et sueurs de la mondialisation. Hommage aux travailleurs du coton de par le monde, à commencer par ceux du Bénin.
Binason Avèkes
Eric Orsenna, Voyage aux Pays du coton, ed. Fayard, 2006
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
A ma connaissance, non. Mais vous pouvez en lire de bonnes feuilles en anglais sur ce site
http://www.opendemocracy.net/arts-Literature/ulysses5_3938.jsp
Cordialement
B. A.
Rédigé par : B.A. | 09 décembre 2006 à 12:52