Phénomène de vol de sexe : cinq ans après!
Le phénomène de la vindicte populaire est une véritable plaie de la démocratie. Parés aux couleurs de croyances imbues de leur primitivisme tenace, ces actes sont souvent le cache-misère d’un Etat dont les dirigeants – qu’ils soient élus ou autoproclamés – découvrent le b-a ba des exigences en terme de droit des gens. Souvent, les phénomènes de vindicte populaire tendent à suppléer à la carence de l’Etat en matière de justice et de sécurité ; ils offrent un exutoire régressif aux inquiétudes populaires. Le silence des pouvoirs publics, l’absence de sensibilisation sur les droits de la personne portent en eux le signe troublant d’une douteuse complicité.
Dans un récit à charge très poignant, Paula AGBEMAVO fait ici le point sur l’état du phénomène de "vol de sexe" et de la vindicte à laquelle il donne lieu. A l’heure où le mot changement n’a jamais été aussi politiquement d’actualité, elle estime que si rien n’est fait pour faire bouger les mentalités sur cet aspect crucial du droit des gens dans notre pays, alors le changement ne serait qu’un vain mot.
Paula AGBEMAVO
Ce mercredi 21 novembre 2001, la presse faisait largement échos d’un phénomène qui faisait sa première victime et qui quelques jours plus tard allait devenir une psychose. A ménontin, une grand-mère qui aidait son petit-fils à traverser la voie fut prise pour une voleuse d’enfant. Rouée de coups, aspergée d’essence et brûlée vive et ensuite démembrée et traînée sur cet asphalte. L’horreur à l’état pur. Si le Bénin était un pays respectueux des droits de la personne, ne serait-ce que le minimum, cette horrible folie se serait arrêtée là. Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité aurait pris ses responsabilités, force serait resté à la loi mais ce ne fut pas le cas et le lendemain, le massacre continua de plus bel au vu et au su d’autorités policières et judiciaires plongées dans une surdité et un aveuglement délibéré. Dans la seule journée de vendredi 23 novembre 2001, cinq (5) personnes avaient été brûlées vives. Principaux instigateurs de ces assassinats publics, les zémidjans s'étaient même permis le luxe d'attacher le cadavre d'un homme brûlé derrière leur engin et de le traîner sur plusieurs centaines de mètres, laissant échapper les lambeaux de corps calciné sur cette voie de «Centre d’accueil», à Aïdjèdo, en plein centre ville, à Cotonou. Aucune autorité n'avait daigné réagir publiquement pour crier haro sur cette hystérie collective et meurtrière dirigée principalement contre les Nigérians. Les Ibos devenus subitement des serpents venimeux à abattre à tout prix. Les Béninois qu'on sait hospitaliers, épris de paix s'étaient mués en "serial killer" avec pour cible : l'étranger. L'étranger qui a tord de réussir, tord de se battre pour gagner son pain quotidien. L'étranger qui est finalement responsable du moindre malheur de ces gens là pour qui, le coupable est toujours les autres. Cette rocambolesque rumeur de "vol de sexe" masculin s'était déjà répandue au Congo, au Cameroun, en Côte-d'Ivoire, au Ghana…sans véritablement engendrer de mort d'Homme mais le Bénin en a fait un drame sanglant. Devenu une république modèle, respectable aux couleurs et au goût de la démocratie, le Bénin abrite pourtant des populations qui végètent dans une anarchie innommable, une sorte de jungle où le peuple fait sa loi et décide spontanément de qui doit vivre ou mourir. Une société de désordre total, d'absence de droit et d'autorité de la part d'autorités qui se complaisent dans une attitude d'attentisme, de permissivité, de laisser-aller total. Un pays dans lequel la personne humaine a maintenant moins de valeur qu’un chien dans la main de justiciers expéditifs.
Cette folie meurtrière passionnée fondée sur l'émotion et le sentiment de bon droit traduit la carence chronique de l'Etat à assurer le droit à la sécurité aux citoyens...
Le samedi 24 novembre 2001, les justiciers ont atteint le pic de la bêtise. Au marché Dantokpa, c'est un père de famille qui a subi le supplice du feu. Le procédé fut le même. Feu André TOUHAN, père de sept enfants en service au Port Autonome de Cotonou aurait volé le pénis de l'indélicat Céphas AMEGNIAHOUE après l'avoir effleuré. Ce dernier sentit un frisson lui parcourir le corps et alerte tout le monde que son sexe a disparu. La foule se rua sur le malheureux et telle une meute affolée le frappa et le brûla dans une violence expiatoire, gratuite. Toujours dans la même journée vers 9h00, c'est Pierre ACAKPO, un électronicien qui fut accusé d'avoir volé le sexe de l'apprenti menuisier avec lequel il venait de s’entretenir quelques minutes plus tôt. Il se retrouva aussitôt sous les coups de marteaux, de tabourets, de pierres et rapidement aspergé d'essence, trempé dans son propre sang, le crâne fracassé. Il réussit à gagner la maison AGBEMAVO, à quelques mètres de là, chez ses cousins. Plus de trois heures d'horloge, cette famille s'était vue assiégée par des milliers de justiciers dont en grande partie des zémidjans qui s’excitaient déjà à l’idée de brûler d’un coup toute une famille, père, mère, cinq de leurs enfants et six autres parents et amis. Après plus d’une heure de supplication au commissariat central, deux policiers daignèrent aller sur les lieux mais détalèrent sous des coups de projectiles non sans avoir déploré le fait que cette famille ait prit le parti de protéger Pierre ACAKPO. Mais grâce à la grandeur incommensurable de Dieu, les meurtriers n'eurent pas gain de cause cette fois là. Blessées certes, catastrophées, traumatisées à vie mais les victimes étaient bien vivantes. Leurs biens : maison, boutique d’alimentation, cybercafé, furent détruits, dépouillés de leurs contenus, des vitres de véhicules brisées et une moto "Mate50" brûlée. Et c'était seulement ce samedi, 24 novembre 2001 que le Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité d'alors sortit de sa torpeur pour un discours creux de dissuasion sur la télévision nationale. Après cinq jours de silence coupable, après qu'une dizaine d’innocents eurent été assassinées dans des conditions atroces, effroyables. Au commissariat central où ceux qui disaient avoir perdu leur sexe étaient gardés, leur pénis, objet du massacre étaient bien là, à leur place. Cette puante affaire n'était que le résultat d’un mal de vivre quotidien, de frustrations et actes de violence refoulés qui refont surface avec la force d’un tsunami, pour tout balayer sur son passage. Une dizaine de personnes assassinées pour finalement rien du tout ; juste pour le plaisir infect des justiciers. Pillés, les commerces tenus par les Nigérians furent fermés et nombre d’Ibos retournèrent au bercail. Dieu étant profondément juste, toutes les victimes de cette chasse à l'homme étaient toutes béninoises à l'exception d'un malheureux étudiant congolais passé à la braise. Une action concertée des Ministères de la Sécurité, de la communication et de la justice pour sensibiliser les populations par les médias (télévision, radio, presse) à cet effet, aurait contribué à sauver des vies et prévenir une résurgence de cette psychose.
Une radio de la place avait même eu la macabre idée de relater en direct l’horrible scène de zémidjans traînant derrière leurs motos, le corps calciné et mutilé d’un innocent
Cette folie meurtrière passionnée fondée sur l'émotion et le sentiment de bon droit traduit la carence chronique de l'Etat à assurer le droit à la sécurité aux citoyens et à descendre le Droit de son piédestal pour le mettre au niveau de ses populations à majorité analphabètes car l'ignorance associée à des pensées obscurantistes sur fond de vision vaudouiste, de considérations para-mystiques, génèrent des actes irrationnels, des clashs comme la vindicte populaire dans laquelle le Bénin est honteusement passé maître. Nous n’avons pas idée de la tristement célèbre réputation que le Bénin s’en est fait à l’extérieur puisque ces images d’horreur, de corps fumants calcinés en lambeaux sont retransmises à l’international et authentifiées par des touristes, victimes ou témoins tétanisés.
La responsabilité de la presse La semaine précédant la psychose en novembre 2001, certains journaux avaient, sans s’en rendre compte, conditionné l’opinion publique en reportant avec passion, sans retenu et sans la moindre analyse, le drame d’un bébé retrouvé dans un sac de jute et d’autres méfaits imputés aux Ibos. Une radio de la place avait même eu la macabre idée de relater en direct l’horrible scène de zémidjans traînant derrière leurs motos, le corps calciné et mutilé d’un innocent qu’il venait d’assassiner. Le privilège de quatrième pouvoir concédé à la presse n’est pas toujours utilisé à bon escient.
J’ai envie de crier « plus jamais ça ! » mais j'ai très peu d'espoir de pouvoir vivre un jour dans une société béninoise qui assure ma sécurité et garantit mes droits, ne serait-ce que les plus intrinsèques, les plus élémentaires
Cinq ans plus tard, quel plan d'action ?
Cinq ans plus tard, Quelles mesures ont été prises pour que "plus jamais", de pareils drames ne se reproduisent ? Quel est le plan d'action du gouvernement actuel pour lutter contre la vindicte populaire ? Rien du tout puisqu'en juin 2006, le drame s'est reproduit à Parakou et à Djougou et deux personnes ont encore été tuées et deux nigérianes sauvées de justesse par la police. Finalement, nous n'apprenons rien de nos erreurs. Nous attendons toujours que le pire nous tombe sous les yeux et là nous réagissons mais mollement et puis plus rien, jusqu'à la prochaine catastrophe. Au lendemain de ces drames, version 2006, le nouveau Ministre de la Sécurité, Edgard Allias aurait mis en garde les instigateurs et puis, il est retourné se terrer dans ses bureaux. Notre société est symbolisée par l'absence probante de l'ordre, de la discipline et de lois dûment appliquées mais répand la duperie en répétant tel un perroquet, à qui veut l'entendre que le Bénin est un pays de droit. Où il est le Droit ? On l'entend beaucoup certes mais on ne le voit pas ! On ne le sent pas du tout au quotidien. Où est le respect des droits humains quand l'Etat permet, implicitement aux hors-la-loi de fouler aux pieds le principe élémentaire des droits de l'Homme qui stipule que "la personne humaine est sacrée et inviolable". Ces délinquants violent allégrement tous les jours, le principe de base du code pénal d'un Etat de droit qui dit que "nul n'a le droit de se faire justice". Où il est le Droit dans ce pays ? Sans les normes et la non-application des quelques rares lois que nous nous sommes données, nous vivons dans une société de vendetta, de règlements de comptes sous le couvert de vindictes populaires et de violence hystérique, irrationnelle et délibérément meurtrière. Notre démocratie est bien réelle mais elle n’est qu’institutionnelle pour le moment : séparation des pouvoirs, installation et fonctionnement d'institutions de régulation : cour constitutionnelle, cour suprême, assemblée nationale, conseil économique etc…mais l’Etat de Droit ne se vit pas au quotidien.
J’ai envie de crier « plus jamais ça ! » mais j'ai très peu d'espoir de pouvoir vivre un jour dans une société béninoise qui assure ma sécurité et garantit mes droits, ne serait-ce que les plus intrinsèques, les plus élémentaires. Après plus de huit mois passé à la tête de l’Etat, le changement tant prôné par YAYI Boni ne se reflète pas encore au niveau sécuritaire, du point de vue du devoir de l’Etat à assurer la sécurité à ses citoyens et à préserver leurs droits. Il faut que cela change ici et maintenant!
Par Paula AGBEMAVO
Copyright, Blaise Aplogan, 2006
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