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Ou la logique du chat échaudé
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débat
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Je vais dire une chose qui fâche : plus que d'autres, les Béninois ont une tendance spatio-temporelle à refaire les mêmes choses. Et nous devons faire violence sur nous-mêmes et nous méfier de l’euphorie qui peut s’accaparer de nous à propos de ces effets de cycles. Je me demande si ce n'est pas là l'une des conséquences de la mise hors jeu de l'usage pratique de l'histoire, pas forcément la grande histoire, mais l'histoire du quotidien. Car si vous êtes conscient que telle chose a déjà existé, vous êtes moins porté à la regarder avec les yeux de la nouveauté, et pouvez alors y exercer un certain regard critique ; vous êtes alors moins enclin à être dupe du marché des vessies, et vous y regardez par deux fois avant de céder vos lanternes…
Regardez par exemple les descentes matinales de Yayi Boni dans telle ou telle unité de production plus ou moins vitale pour notre économie, au Port, SOBEMAP et j'en passe : Est-ce que Kérékou n’avait pas fait plus que ça en son temps ?… L’effervescence de la presse, la démultiplication des titres, la prolifération des partis politiques, la misérable incapacité des hommes et partis politiques à résister à l'attrait du côté de l'homme fort du moment, la frénésie des protestations collectives de soutien à l'exécutif et à son chef, bref tous ces phénomènes rappellent bien des pratiques qui ont marqué l’histoire de la vie politique de notre pays. Quelque chose, acte, ou fait que l’on considère, on se rend compte qu’il n’est pas si nouveau qu’il y paraît. L’illusion de la nouveauté…
Aussi, pour éviter que la chute soit rapide – car en fait c’est de cette façon négative qu’il faut considérer le seul espoir qu'il nous reste, la seule attitude réaliste qu’il faut avoir : éviter que la chute ne soit rapide, faire prolonger l'exigence de vérité – faut-il opposer à l’euphorie grégaire, toujours naïve, parfois sincère mais souvent suborneuse, une défiance de tous les instants…
Ce que je veux dire, au risque d’être prophétique, c’est qu’en matière de ce qu’on appelle changement au Bénin, il n’y a priori rien de nouveau ; la nouveauté est dans notre main, elle n’est pas a priori. Il y aura changement si nous nous défions méthodiquement du changement, et de tous ces gens pour qui ce n'est au mieux qu'un Cheval de Troie, et qui insensiblement mais méthodiquement prennent place sur le théâtre fatal de la même culture d’appropriation du politique, le temps d’une vie, le temps et l’espace d’un clan, d’une tribu.
Etienne Godjila :
Et si tu remplaçais défiance par vigilance? Les mêmes actions ne peuvent-elles pas répondre à des motivations différentes? Est-il si négatif que cela de répéter ce qui va dans le bon sens? Donner aux hauts fonctionnaires le message qu'ils doivent être exemplaires, quand Kérékou le faisait, était-ce négatif? Ce qui a été négatif c'était qu'il s'en était contenté comme d'un acteur qui joue pour être encensé. Pouvons-nous affirmer sincèrement qu'il en sera de même pour Yayi Boni? Personnellement je me méfie des prophètes. L'avenir n'est pas écrit dans l'histoire. Il est en partie dans nos mains. La vigilance méthodique oui. La défiance méthodique je n'y comprends rien car j'ignore comment elle peut être constructive.
Binason Avèkes :
Défiance et vigilance, je raisonnais de façon épistémologique. C'est toute la différence entre la politique et la philosophie. Je pensais à Descartes et son doute méthodique. Il est vrai qu'au lieu de doute Descartes aurait pu dire flottement ou ballottement, mais on se serait alors trouvé plus proche du champ lexical de la navigation maritime... Tout dépend donc du registre dans lequel on situe le propos. Le mien est épistémologique.
Etienne, les questions que tu poses, je suis d'accord avec leur intention rhétorique. Mais personnellement, je me méfie des avocats... En effet, à voir la hargne de ta "vigilance", on la sent plutôt proche de ce que les anglais appellent "advocacy" (je n'ai pas le juste mot en Français), là où celui qui parle de défiance serait un contempteur de l’ordre actuel…
De ce fait, tu sembles réserver la défiance à ceux qui parlent de défiance méthodique...
Donc logiquement, tu ne peux pas dire que tu n'y comprends rien ; du moins pas tout à fait...
Etienne Godjila :
(…) Tu sais, mon seul souci pour ce qui me concerne est de pouvoir contribuer modestement à la construction d'un avenir meilleur pour nos pays. Rien de plus! Pour cela je m'accroche à la moindre branche d'espoir et espère qu'elle devienne productive. Suis-je un avocat, certainement puisque tu le dis. Mais de quoi ou de qui? Ce n'est en tout cas pas ce que j'essaie d'être.
Je crois que comme chacun de nous tu essaies d'apporter le meilleur de toi dans un sens positif. Alors défiance ou vigilance! Peu importe. L'essentiel est que cela serve l'avenir de nos pays
Thomas Coffi :
C’est la défiance qui fonde à mon sens la vigilance. On place des vigiles dans un environnement dont on se défie. La confiance appelle-t-elle naturellement la vigilance ? La confiance ne serait-elle pas plutôt lénifiante ? L’adage dit cependant qu’elle n’exclut pas le contrôle. Certes, l’avenir n’est pas écrit dans l’histoire, il est ce que nous en ferons mais lorsque l’histoire se répète on doit s’interroger s’il n’y a pas des forces ou des faiblesses en tout cas des tendances lourdes du système et de son environnement qui font que l’on en vienne à retomber dans les mêmes schémas auto-destructeurs. D’où certainement le fondement de la défiance. L'on doit se méfier car l’histoire qui s’est répétée va se reproduire inéluctablement si l’on n’y prend garde. Nos rois (Nos élites ont vendu leurs sujets), (nos élites ont pillé les ressources et les labeurs des peuples et les drainent vers les banques extérieures) La "révolution" qui a voulu soi-disant remédier à cela s'est enlisée dans les mêmes travers. Le dit "renouveau démocratique" malgré toutes les résolutions de "plus jamais" roule le pays dans la farine avec un cynisme inégalé. Si l’on n’y prend garde le « changement retombera » dans les mêmes failles, les mêmes tendances lourdes du système suicidaires. Observez ce qui se passe actuellement ; des hagiographes du système défunt (encore fraudrait-il souhaiter ardemment qu'il le fût en effet) sont déjà sur les rangs et se posent en défenseurs zélés des nobles idéaux du changement. L’on ne peut que se défier face à une telle histoire répétitive tout en se disant certes que l’avenir sera ce que nous en ferons.
Etienne Godjila:
Comme tu le laisses bien entendre, Thomas, si la défiance fonde la vigilance, il n'est point besoin de défier pour être vigilant, il n'est même pas besoin d'accorder la confiance. Entre défiance et confiance lénifiante, il y a sûrement un grand espace qui permet de ne pas être tout le temps soupçonneux tout en exerçant son esprit critique mais sur la base d'indices solides. Il en va de la crédibilité. La langue française n'a peut-être rien prévu pour cet entre deux. Peut-être pourrait-on parler de probité intellectuelle mais ce serait prétentieux car l'attitude de défiance peut aussi être fondée sur la probité! J'ai cependant de forts doutes qu'il soit possible de construire quoi que ce soit avec un esprit de défiance permanente. Il faut certes s'interroger sur les tendances lourdes mais dans le but de travailler à dépasser celles qui sont négatives. Le travail pour le dépassement me paraît le plus déterminant. Et s'il est certainement utile de tirer des enseignements de l'histoire il faudrait faire attention aux changements intervenus dans l'environnement et les acteurs. Sans ceci, toute prospective ne serait que transposition de l'histoire et comporterait un risque important d'erreur. Selon moi, les slogans du genre révolution, renouveau ou changement comptent peu! Seuls les faits avérés devraient être pris en compte pour une analyse qui viserait un dépassement des tendances lourdes négatives. Pour ce faire, il n'est nullement besoin de défiance, c'est à dire de méfiance ou de suspicion. Il suffit de garder son esprit critique et de l'exercer de manière équitable. Cela étant dit, toute action comporte un risque. Seule l'inaction est confortable et permet d'affirmer a posteriori qu'on avait raison. Tout est de savoir si dans l'état de nos pays, il faut choisir la défiance méthodique de l'observateur non engagé ou l'engagement non partisan (celui de l'intellectuel) qui comporte un risque, celui de se faire taper dessus de toutes parts. L'un ou l'autre de ces choix est bien entendu respectable !
Binason Avèkes :
Etienne il me semble que tu surinterprètes ce qui est dit, et cela instaure des malentendus qui n'ont même pas lieu d'être : dans mon esprit, défiance méthodique n'est pas réservé à l'observateur non engagé ou n'a pas vocation à s'opposer à je ne sais quel engagement non partisan.
Je crois que ce que Thomas a dit concentre toute la sagesse de la problématique soulevée. De mon point de vue, il n'y a rien à y ajouter. Le tout est d'être sincère ouvert et de savoir clairement le rôle qu'on se donne. Je me souviens il y a quelque temps dans une discussion au téléphone, tu avais récusé, incontinent, le rôle d'intellectuel. Du coup on peine à savoir en tant que qui tu veux exercer de la vigilance, et quelle peut être la portée de celle-ci lorsque ton rôle rapporté à ta position sociale, n'est pas clarifié.
Etienne Godjila:
Effectivement on en reste là !
© Copyright Blaise APLOGAN, 2006
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