Sage décision ?
A peine rendue, la décision de la Cour Constitutionnelle ne laisse pas indifférents les uns et les autres. Au groupe Trépied où l'on ne dédaigne pas contribuer à la réflexion sur la vie de la Nation, elle suscite discussions et échanges d'idées. Les points de vue oscillent entre d'un côté une vision légaliste du Pouvoir des Sages, et de l'autre une approche éthique et sociétale. Pour les uns l'éthique n'est pas un objet de droit et les sages sont censés vérifier la constitutionnalité des lois ; pour les autres les sages ont fait oeuvre d'innovation pertinente en consacrant le consensus comme un principe constitutionnel à part entière.
Voici un bref aperçu du débat.
Bidouzo Athanase : L'éthique n'est pas en soi un objet de droit, et les sages sont censés vérifier la constitutionnalité des lois...
Au fond, personnellement, je suis un peu gêné aux entournures par l'argumentaire de la Cour. On aurait été dans le système iranien où il existe des instances qui délibèrent sur des bases éthiques, je serai d'accord. Ce que la Cour a dit est vrai mais n'importe quel Béninois de bon sens et de bonne volonté a dit ou aurait dit cela. Alors pourquoi cette considération prendra-t-elle valeur de vérité et surtout de droit, parce qu'une Cour dont la fonction est de vérifier la constitutionnalité des lois l'aura énoncée ? Enfin cette affaire est éminemment politique, et je me demande si, au-delà de la satisfaction logique que certains peuvent éprouver à l'annonce de ce jugement, si le problème politique sous-jacent sera pour autant résolu, réglé, évacué. Cette affaire est éminemment politique et je suis embêté que le Cour Constitutionnelle, au lieu de dire uniquement le droit, soit amenée à jouer les forces électromotrices dans les tensions politiques. Et parlant de f.e.m, on peut craindre que la Cour ne soit en fin de compte qu’un mauvais fusible. Car un coup d’Etat constitutionnel est sans aucun doute plus gérable politiquement et préférable à son cousin militaire. Est-ce qu'il ne serait pas plus judicieux qu'il y ait une sorte d'instance différente de la Cour constitutionnelle dont le rôle serait de produire des jugements d'ordre éthique en matière politique ?
Evidemment tout ceci n'est pas solidaire de ma satisfaction de voir rabattre leur caquet à nos députés qui sans vergogne ni scrupule ont abusé de leur pouvoir, de leur prérogative, et se sont livrés à une interprétation pour le moins délirante de la Constitution... Pour retrouver leur honneur, nos députés méritent un camp de rééducation éthique...Mais Dieu merci, nous ne sommes pas dans un système iranien…
Egard Gnansounou : Le consensus national consacré comme "principe à valeur constitutionnelle...
En réalité, la Cour énonce un principe très important: le consensus national consacré comme "principe à valeur constitutionnelle". Il s'agit là du moins pour toute révision de la Constitution d'une détermination juridique essentielle. Sans être juriste, ce que j'ai compris est ceci.
1) La cour constitutionnelle déclare que la Constitution est le résultat d'un Consensus sociétal
2) La majorité qualifiée que prévoit la constitution pour sa propre révision est sensée concrétiser ce consensus sociétal
3) Mais dans les circonstances politiques actuelles, et surtout au sujet de l'opportunité de cette révision de la Constitution, la Cour constate que la forte majorité qui s'est constituée au parlement ne symbolise nullement le consensus sociétal nécessaire
4) Pire: la Cour laisse entendre que cette forte majorité parlementaire est "démocraticide" car elle répond avant tout à la volonté des parlementaires de confisquer le pouvoir, alors même que la constitution leur permet d'être réélus indéfiniment (sans limitation du nombre de mandat) pourvu qu'ils se soumettent au suffrage des électeurs
5) Dès lors, accepter une telle révision de la Constitution reviendrait, pour la Cour à avaliser un coup d'état constitutionnel donc un crime contre la démocratie. Il faut rappeler que la Cour Constitutionnelle statue à la fois sur l'esprit et la lettre de la loi fondamentale. Elle a donc le monopole de l'interprétation de la Constitution. Elle aurait pu céder au juridisme qui voudrait qu'étant dans une démocratie représentative, les députés représentant le peuple, il suffisait que la majorité qualifiée soit réunie et que la procédure soit respectée. Je suis très heureux que la Cour ait pris de la hauteur en affirmant que pour la révision de la Constitution, la majorité qualifiée devait être un aboutissement de la détermination de la société et non l'instrument d'un hold-up contre la société. Cette décision de la Cour constitue un précédent essentiel, un rempart contre les futurs révisionnistes potentiels. La principale faiblesse d'un système démocratique est de voir ses propres principes retourner contre lui. C'est pourquoi, il importe que la conformité à la Constitution concerne non seulement la procédure mais aussi l'esprit de la loi fondamentale. En considérant que la révision de la Constitution nécessite un consensus sociétal et en érigeant ce consensus nécessaire pour la révision en valeur constitutionnelle, nos sages ont réellement fait preuve de sagesse. Il reste à préciser comment il est possible de constater la réalisation de ce principe constitutionnel qu'est le "Consensus en vue de la révision de la Constitution". Dans l'état actuel, ceci est laissé à la libre appréciation de la Cour constitutionnelle. Il faut craindre que si rien n'est fait, ce même principe qui aujourd'hui est bien utilisé, puisse demain être retourné contre le peuple. Pour éviter cela, le Bénin innoverait en institutionnalisant la "Conférence des forces vives de la nation" comme un lieu de Consensus dans le cas de décisions qui engagent les fondements de la cohésion nationale.
Le débat reste ouvert, nous aurons l'occasion d'y revenir !
© Copyright, Aliou Kodjovi, 2006
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