Ou le procès des Honorables
Conte politique
V : Au Pays des Ancêtres
»Dès que je suis descendu par la trappe cette nuit-là, j’ai vu qu’il y avait effectivement un passage secret. Le chemin était obscur. C’était une étroite venelle serpentant entre deux murs séparés d’un mètre environ. Sur les murs, de part et d’autre, il y avait des inscriptions codées. Comme vous le pensez, je n’avais pas le temps de les déchiffrer. Mon seul souci était de retrouver mes collègues disparus. Plutôt vivants. J’avançais dans cet espoir, le cœur lourd, l’âme agitée, essayant de lutter contre la peur : peur pour moi-même mais surtout pour mes collègues. J’avançais ainsi pendant une bonne quinzaine de minutes, et tout à coup, je débouchai sur un évasement du chemin qui donnait sur une petite arène. C’était un carrefour. Ne sachant où donner de la tête, je m’arrêtai un moment le temps de reprendre mon souffle et réfléchir. Par rapport à l’orientation que je m’étais donnée et à ma connaissance du terrain, je pensais que l’endroit devait correspondre au Monument aux Morts de la Place du Palais. Or qui dit morts, dit Ancêtres. Comme vous l’avez écrit dans votre dernier livre, pour nous autres Béninois, le culte des Ancêtres est " le cœur structural de nos croyances. " Je suis tout à fait d’accord. Vous comprenez, j’étais envahi par une appréhension mêlée d’émotion. Maintes questions m’assaillaient l’esprit sans arrêt. J’attendais là sans pouvoir me décider, le cœur battant, lorsque tout à coup, je fus cueilli à froid par une voix chaude venant du centre de l’arène.
» " Emaholè Kourikan ! " C’était une Voix d’outre-tombe, caverneuse et vibrante mais d’une ubiquité saisissante. Surpris, je restai tétanisé, incapable de respirer. " Allez, venez, dit la Voix, je vous attendais ! " Obéissant à son invitation, j’avançai vers le cœur de l’arène, à pas hésitants, je n’avais pas le choix. Lorsque je fus tout près du centre, un faisceau de lumière sortant du trou vint me caresser le visage, je vis une main qui sortait d’un trou. " Venez, me dit la Voix " Un peu ébloui, j’esquissai quelques pas et me retrouvai tout près de la main. " Faites attention à la marche dit la Voix !" Sur ces paroles, la main, m’attira dans les profondeurs. Tout se passa vite. En un éclair, je me retrouvai dans un univers absolument merveilleux, qui échappe à toute description : le ciel, la terre, le paysage, les lacs, les rivières, les champs, les montagnes : tout était magnifique. Malgré cette beauté, j’avais peur, c’était un autre monde : le Pays de nos Ancêtres. Ah, c’était donc là que mes collègues avaient été déroutés ! Je commençais à comprendre une petite partie du mystère, mais une petite partie seulement. Où et comment allais-je les trouver dans ce vaste monde ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foins... Mais la Voix vint à mon secours. "Suivez-moi, dit-elle, vous verrez ! "
»J’obéis à son ordre sans savoir ce qui m’attendait et où j’allais. Pour me guider, la Voix chantait l’hymne nationale. Comme ça, je pus la suivre sans problème, bien que je ne pusse savoir sur le moment de qui était cette Voix aussi désincarnée que bienveillante. En tout cas, je ne vais pas perdre le temps à vous décrire ce monde merveilleux de nos Ancêtres. Je n’ai pas le souffle de Dante ni même de Birago Diop. De toute façon, tôt ou tard, ce Pays merveilleux nous incombe tous, et vous aurez alors l’occasion de le découvrir. Il me tient à cœur de vous dire deux ou trois choses qui m’ont marqué avant que je n’arrive au cœur du sujet. Au fur et à mesure que nous marchions, je me rendais compte que le Pays de nos Ancêtres épousait la même géographie que le Bénin réel, qu’au fond c’était le même paysage, à la seule différence qu’il en était le modèle idéal tel que peut-être au bout de mille ans d’effort et de sagesse, nous pourrions en changer la face. Après avoir traversé une vallée profonde, me voilà à l’orée d’une forêt où des hyènes faisaient le gué. Quand elles me virent, elles dressèrent les oreilles, et commencèrent à pousser des aboiements rauques. Alors que je perdis un moment tout contact avec mon guide, je vis ces bêtes immondes s’avancer vers moi, gueules béantes, langues pendantes, roulant des yeux féroces qui ressemblaient au feu obscur de l’enfer. "Ah, me suis-je dis en un éclair de lucidité tragique, voilà donc le sort qui a été réservé à mes collègues !" En effet, ces bêtes immondes, incapables de séparer le bon grain de l’ivraie se ruaient sur moi en un jugement aussi bestial que sommaire pour faire quartier de ma chair ! Et pendant que je priais pour que mon âme abordât en paix le cœur de ce Pays merveilleux de nos Ancêtres dont je venais à peine de fouler le sol, je vis sortant du taillis, une panthère à la robe noire de jais, à l’allure majestueuse, et qui flairant le danger, bondit au devant de moi. En un éclair, le noble félin prit d’assaut la horde maléfique des bêtes immondes. Et, aussi incroyable que cela me parut, ce fut la débandade parmi les hyènes. Ces animaux sans foi ni loi, qui n’hésitent pas à creuser leur gîte dans la chair du vivant, qui ne vivent que pour eux et leur insatiable appétit, s’enfuirent de tout côté, tête baissée et queue entre les pattes. La panthère ancestrale leur donna la chasse sur une bonne distance puis ayant éloigné la menace, s’en retourna, fier de m’avoir sauvé. Je me confondis en remerciements, mais le noble félin n’avait fait que son devoir ; à l’instar d’un berger qui aurait sauvé son troupeau de la gueule du lycaon, il fit une gracieuse révérence et reprit sans attendre le chemin du taillis. Non loin de là, à la croisée d’un sentier qui menait vers une rivière, je vis une jeune femme vers laquelle le majestueux félin se dirigeait. La femme avait tout d’une princesse : sa beauté, ses parures, et ses gestes gracieux. Malgré la distance, son sourire au loin avait la beauté d’un soleil au zénith. Lorsque la panthère fut près d’elle, la princesse dont la seule vue me faisait battre le cœur l’enfourcha et, après qu’elle m’eut agité sa main en signe d’adieu, s’engouffra dans le taillis, du côté de la rivière.
»Je me retrouvai à nouveau seul. Mais pas pour longtemps ; tout de suite après, ma Voix-guide se fit entendre. " Eh oui, dit-elle, la Princesse Aligbonon, ne saurait laisser la chair de sa chair à la merci de la bête immonde ! Dieu soit loué ! " Après quoi, elle m’ouvrit le chemin en reprenant l’hymne national. En route, nous aperçûmes des paysages tous plus magnifiques les uns que les autres. Les champs étaient bien cultivés, des bêtes grasses paissaient dans les prairies verdoyantes. Au bord d’une lagune aux eaux argentées, je vis un bateau qui attendait à quai sa cargaison. Puis croisant notre chemin en direction du bateau, je vis une file indienne de triste mémoire formée d’hommes, de femmes, et d’enfants enchaînés les uns aux autres comme des bêtes. Et comme des bêtes, des hommes Blancs armés de lanières et de bâtons les fouettaient à sang. La longue file indienne de la douleur et des fers se dirigeait vers le bateau. A la vue de cette scène de triste mémoire, j’étais révolté. Comment se fait-il, me disais-je, que ces pratiques honnies continuaient d’avoir cours et ce jusqu’au Pays de nos Ancêtres ? Mais comme si ma Voix-guide m’entendait, elle répondit : " N’ayez crainte Honorable Député, il ne s’agit là que d’une mise en scène du passé. Afin de ne pas oublier. Ceux que vous voyez là appartiennent à la troupe théâtrale "Mémoire d’Outre-tombe." Par leurs scènes grandeur nature, ils font revivre à tous les malheurs par lesquels notre race et notre nation sont passées. Tout ce qu’ils veulent dire par là c’est : Plus jamais ça ! – Et tous ces coups qu’ils reçoivent, ces chairs lacérées, ce sang qui coule, et ces chaînes brûlantes ? – Vous avez raison, mais la douleur n’a pas le même statut ici et là-bas. Tout ce que vous voyez là n’est qu’une représentation contingente de l’être dans sa permanence " Ah, voilà qui est dit et bien dit ! Une partie de ces explications me parut un peu obscure, mais comme la Voix avait l’air de savoir de quoi elle parlait, je n’insistai pas et continuai mon chemin. J’avais un pincement au cœur à me projeter dans cet aspect douloureux du passé de nos Ancêtres qui dura quand même quatre siècles ! Quatre siècles à se faire fouetter, débiter, bâter, ligoter, vendre au kilo, tailler en coupes comme du bois, oui du bois d’ébène, cela me parut vraiment affreux et j’eus envie de crier : "Héô, plus jamais ça ! "
»Je me souviens aussi que nous avons traversé des plantations de palmiers à huile qui s’étendaient à perte de vue avec des régimes juteux rouges de fruits murs ; ainsi que d’immenses champs de coton d’une blancheur et d’une densité à faire rêver nos cotonculteurs. Tout cela m’a fait réfléchir. J’ai pensé à l’état actuel de notre agriculture que nous avons de siècle en siècle laissé péricliter par paresse ou par inconscience si ce n’est les deux à la fois. J’espère que l’exemple de la constance de nos Ancêtres dans ce domaine comme dans bien d’autres nous servira de leçon pour le bien-être de notre Nation. Je prie afin que nous puissions tourner le dos à la misère. Ma brève expérience dans leur Pays m’a assuré que nos Ancêtres ont confiance en nous, et nous suivent de près, même s’ils nous savent maîtres de nos actes et nous laissent libres de nos choix.
»Je me souviens aussi d’un spectacle de cavalerie haut en couleur, avec des centaines de cavaliers jeunes et moins jeunes en parade sur leurs montures ornées de parures somptueuses. A la tête de cette cavalerie se trouvait un Roi-guerrier intrépide au regard fier, dont les talents d’archer hors pair faisaient la joie des spectateurs et l'orgueil de ses sujets. Par curiosité, je voulus savoir qui était ce Roi glorieux, et la Voix toujours fidèle m’apprit que c’était l’Esprit de Bio Guerra en personne ! Comme vous le voyez, ce bref séjour au Pays de nos Ancêtres a été pour moi riche de rencontres prodigieuses et inattendues.
»Mais venons-en au fait car, il est évident que je ne vous ai pas fait venir depuis l’Europe pour vous parler d’une aventure touristique fût-ce au Pays merveilleux de nos Ancêtres. Donc, après moult péripéties toutes plus extraordinaires les unes que les autres, la Voix me conduisit à l’endroit où j’étais attendu, un grand édifice imposant qui avait l’allure d’un Palais. Au fronton de ce bâtiment officiel étaient écrits en lettres d’or les mots : " TRIBUNAL DE NOS ENFANTS QUI VIVENT DANS LA LIBERTE ET LE CULTE DE NOTRE MEMOIRE. "
»La Voix me conduisit jusque sur le perron du Palais. Puis elle me dit : "Honorable Représentant du Peuple, digne fils de la Nation, ma mission se termine ici ! Maintenant à vous de jouer ! Moi, Louis Hounkanrin, le guide infatigable des esprits éclairés, je vous dis adieu ! " Plaît-il, Louis Hounkanrin ? Le héros de la lutte contre les excès du colonialisme, pour la justice et la liberté au Bénin et en Afrique ! Avoir cheminé avec un si grand Esprit sans le savoir ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Mais à peine avais-je esquissé le geste de me prosterner devant lui, que je l’entendais me crier au loin : " Continuez dans cette voie ! Faites entendre votre voix ! " Cette exhortation répétée maintes fois me parvenait en échos de plus en plus éloignés. Au bout d’un certain temps, je ne fus plus en mesure de l’ouïr, et je ressentis une certaine tristesse. Me consolant de ses conseils avisés, je marchai droit vers le Tribunal, la tête haute, et le coeur battant.
à suivre
© Copyright Binason Avèkes, 2006
bonjour
je suis dans cette famille des houncanrin seule l'écriture de notre nom à changé, c'est mon grand-père odon-brice houncanrin ki a changé le k en c, il est maintenant décédé.
je voulais juste dire que ça fait vraiment bizare de revenir sur mon ancêtre et de voir ce qu'il a fait. mais ne vous inquietez pas la famille houncanrin n'est pas raciste au point de vouloir tuer un blanc des que nous en croisons un. mon père a cassé la tradition qui disait que nous famille des houncanrin nous ne devions au grand jamais se marier avec un blanc mais c'est ce qu'il a fait enfin je remercie juste les personnes qui ont fait ce travail.
merci beaucoup
nelly
Rédigé par : houncanrin | 14 octobre 2007 à 15:04