Une contribution de Edgard Gnansounou
La visite de travail que vient d'effectuer le Président du Bénin à son homologue Togolais est passée quasiment inaperçue dans l'opinion de ces pays. Quoi de plus naturel en effet que les chefs d'états de ces pays jumeaux se rencontrent! Cependant, rien n'est simple. Alors que l'héritier de feu Eyadéma cherche à apaiser la situation politique chez lui, le Président Béninois, grassement élu, peut se targuer de diriger un pays aux moeurs démocratiques plus solides. Mais ce serait superficiel de se limiter à ces aspects aussi visibles et réels soient - ils!
Au-delà des processus qui ont porté ces personnalités à la magistrature suprême, il y a lieu de s'interroger sur leur capacité à transformer radicalement la nature des relations institutionnelles entre le Togo et le Bénin. Les circonstances semblent favorables. On dit de Yayi Boni ex Président de la BOAD qu'il a de très bonnes relations avec les chefs d'états de la sous-région et en particulier avec le clan Eyadéma. A cela ne tienne et malgré tout ce que nous pouvons penser de la politique de Eyadéma et des conditions dans lesquelles le fils a hérité du pouvoir de son père, il n'est pas interdit d'espérer que cette proximité puisse favoriser un changement historique. On dit que ces deux chefs d'états sont aussi proches du Président Ghanéen!
Alors je me prends à rêver. Il y a quelques mois, j'avais appelé de mes voeux la création d'une confédération du Golfe de Guinée qui s'étendrait du Bénin à la Guinée et dont un premier noyeau serait formé par l'axe Bénin-Togo-Ghana. Le moment est venu de lancer un vaste mouvement en faveur de ce projet dont j'aimerais présenter ici les principales justifications. Au-delà des raisons évidentes que sont l'identité culturelle des peuples de ces trois pays, des motifs pratiques justifient l'idée d'une fédéralisation (de) dans notre sous-région.
D'une part, l'idéal de l'intégration économique de l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest tarde à se concrétiser en raison de la réticence des nombreux micro-états à se passer d'une partie prépondérante de leurs ressources financières constituées par les recettes douanières issues des activités commerciales d'import-export. Sans une volonté en faveur d'une intégration politique, l'intégration économique risque pendant longtemps encore de suivre sa marche de tortue.
D'autre part, avec la mondialisation, ces nombreux petits pays n'ont aucune chance de prospérer de manière durable. En tous cas, même si certains parmi eux peuvent légitimement envisager de tirer parti de leur situation géographique favorable, leur prospérité éventuelle souffrirait d'une paupérisation des autres pays de la sous-région. Le syndrome Ivoirien est un bon exemple pour illustrer la vulnérabilité du "modèle du champignon" où la croissance économique de quelques Etats constitue un appel d'air pour les pays voisins plus pauvres et finit par provoquer des crispations nationalistes et xénophobes.
La fédération nigériane constitue, malgré ses faiblesses actuelles, un facteur de croissance important en Afrique de l'Ouest. Etant donné les perspectives d'épuisement vers la fin du siècle des réserves de pétrole et de gaz naturel, le Nigéria (et au-delà, le golfe de Guinée) est en position d'attirer des investissements importants aussi bien pour la prospection de nouveaux gisements que pour l'installation de nombreuses industries pétro-chimiques qui pourraient ainsi profiter d'un avantage comparatif d'une sous-région dotées de ressources naturelles prisées. Il faudra, pour cela que nos frères du Nigéria règlent leurs problèmes de gouvernance et instaurent dans tous leurs Etats des règles de laïcité sans lesquelles, ils risquent de rester pendant longtemps encore un épouvantail! Mais il faudra aussi que nous réussisions à maîtriser collectivement notre espace géographique et politique, faute de quoi, nous risquerons d'être balayés par les guerres liées à la captation des ressources.
Dans cette perspective d'une structuration pro-active, on pourrait imaginer que l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest s'organisent en trois fédérations: Le Golfe de Guinée, le Sahel et le Nigéria.
Les trois fédérations pourraient ensuite réaliser l'idéal d'une fédération Ouest-africaine au travers d'une CEDEAO rénovée.
Vision idéaliste pensez-vous peut-être! Mais comment comprendre que les Européens qui ont souffert du nazisme allemand soient capables de construire, avec l'Allemagne, l'Union européenne alors que nous autres qui partageons un héritage commun de colonisés serions incapables de mutualiser nos atouts pour mieux maîtriser notre destin?
Non, ce qui manque pour le moment chez nous c'est une masse critique d'Afro-ambitieux capables de conjuguer idéalisme, vision et pragmatisme pour faire bouger les lignes par delà les frontières artificielles héritées de la colonisation, frontières que les temps futurs rendront de toutes les façons caduques.
Mais les fédérations ne pourront se construire contre les Etats-nations actuelles aussi artificielles soient ces dernières. Ceux de nos Présidents qui sont si jaloux de leurs pouvoirs n'ont donc pas à s'inquiéter. Il s'agira davantage d'une redistribution de pouvoirs entre les nouveaux pouvoirs fédéraux et les Etats locaux. Le principal défi de ces derniers sera alors d'inventer une démocratie rapprochée (du peuple) sans laquelle la fédéralisation sera une couche technocratique supplémentaire. Mais sans perspective réelle et durable de croissance économique (possible avec la fédéralisation), nos démocraties formelles et "procédurales" resteront vulnérables.
Ainsi, la fédéralisation et la décentralisation politique sont nos nouvelles frontières, celles que nous devrons substituer aux frontières héritées de la période coloniale. Nous pouvons et devons relever le défi d'une réconciliation entre nos espaces géo-économiques, culturelles et politiques.
Nous avons ces prochains jours une bonne opportunité pour exercer notre fibre fédéraliste, en supportant de tout coeur les Black stars dans leurs exploits à la coupe du monde de football. Il faudra ensuite tenter de construire un vaste mouvement de Cotonou à Accra en faveur de la constitution de la Confédération du Golfe de Guinée; Bénin, Togo, Ghana dans un premier temps et "plus" si affinité!
Edgard Gnansounou
Imaginer et construire l'Afrique de demain (ICAD)
© ICAD, 2006
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