Sur une photo, on peut relever plus d’un indice, de rapport ou de contraste dignes d'intérêt ; ceux-ci sont parlants et en disent plus long que n'importe quel discours. Sur la photo ci-dessus prise lors de la récente rencontre à Abuja des chefs d'État frontaliers du Nigeria, on constate déjà une absence de taille : celle du Cameroun de Paul Biya. Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Buhari, le président camerounais ne s'est pour l'instant pas empressé sinon d'échanger une fraternelle accolade avec lui du moins une franche poignée de main. Jusqu'à présent Paul Biya n’est apparu dans aucune des occasions qui ont fêté l'avènement ou l'investiture du nouveau président nigérian. Le Cameroun boude-t-il son grand voisin ? Le chrétien Paul Biya est-il en froid avec le musulman Buhari ? Le vétéran autocrate se méfie-t-il de l'ex-dictateur reconverti en démocrate ? Ou tout simplement l'indisponibilité diplomatique de M. Paul Biya serait-elle due à des raisons de santé ? L'avenir nous éclairera sur ces questions. Mais en dehors de cette absence remarquée, l’image ou plus exactement la photo montre des tensions et des rapports, des positions et des oppositions qui sont intéressants à mettre au jour. Déjà d'un point de vue spatial, Yayi Boni est à l'écart tandis que les présidents du Niger, du Cameroun et du Nigéria sont assis côte à côte sur le même siège. Cette opposition spatiale peut être interprétée en termes vestimentaires. Est assis tout seul celui d'entre eux qui s'est vêtu en tenue occidentale, tandis que les trois autres qui sont assis sur le même siège côte à côte portent des tenues authentiquement africaines. Mais cette communauté de siège des trois présidents du Niger, du Tchad et du Nigeria peut être aussi référée à leur appartenance commune--à l'exclusion du Bénin--à la commission du lac Tchad. Enfin, une troisième opposition existe qui entraîne une symétrie dans l'espace : celle des présidents Yayi Boni et Buhari. Si Yayi Boni est seul comme n'étant pas authentiquement vêtu ni n'étant pas un chef d'État de la commission du lac Tchad, M. Buhari aussi assume un pôle symétrique de solitude comme étant le seul président ne parlant pas le français. Toutes ces oppositions et ces tensions apparaissant dans l'image sont intéressantes mais revenons sur la question vestimentaire qui, en politique a son importance.
Yayi Boni ne porte pas seulement un complet veston occidental, mais la tenue fétiche censée rappeler une fonction diplomatique qu'il a exercée et qui semble le marquer, à savoir la présidence de l'Union Africaine. Pourquoi Yayi Boni ne porte toujours qu’une tenue occidentale ? Dans et à travers une tenue africaine, on affirme son identité, on exprime le fait qu'on est enraciné et qu'on se réfère à une certaine identité. Pourquoi Yayi Boni se refuse à -- ou ne peut affirmer -- cet enracinement et cette identité dans son habillement officiel ? Ne se sent-il pas suffisamment africain pour honorer l'identité de ses origines ? N'a-til pas une origine que sa mise vestimentaire peut traduire ? Veut-il camper l’image du banquier docteur ? Si oui, Dieu a-t-il fermé la porte aux Banquiers et Docteurs africains ? Ou bien a-t-il peur ou est-il complexé de se retrouver dans une tenue africaine, béninoise ? S’y sentirait-il ridicule, à l'étroit ? Évidemment les réponses à ces questions sont multiples. 1. Yayi Boni est un contrarié identitaire. Il a le complexe des métis, qui ont du mal à se référer à une culture authentique. Il se dit nordique mais ne sait vraiment à quel Nord se raccrocher ; il se dit Nago, mais le Nago est si atomisé qu’il n'adhère à rien de concret. Et le Nago dans sa version yoruba ? Yayi Boni n’ose l’assumer. Serait-ce un Nago plus septentrional ? Dans tous les cas Yayi Boni se trouve culturellement à l'étroit et indécis. En principe, le président doit être un homme culturellement majoritaire dans son pays ou n'éprouver aucune réserve ni distance vis-à-vis de la culture majoritaire de son pays. Ou bien il en fait partie, ou bien il s’y assimile. Même un président culturellement majoritaire comme Soglo, dans son habillement, est amené à faire des concessions à des cultures adjacentes comme la culture yoruba dont l'influence vestimentaire sur la côte du golfe du Bénin est admise par tous. Mais en tant que président originaire du -- ou qui se réfère au -- Nord, Yayi Boni n'a pas de tenue identitaire dans laquelle s'incarne sa personnalité nationale. Tel est aussi le cas du président Kérékou et du président Maga. Il semble que les présidents du Nord, pour toutes sortes de raisons, ont du mal à assumer leur identité vestimentaire et préfèrent la neutralité uniforme sinon l'uniformité neutre de la tenue occidentale. Mais la préférence de la tenue occidentale est à l'évidence grosse de signification. C'est la même chose qui se passe avec les langues dites officielles dans leurs rapports avec les langues nationales. Au lieu, ou bien là où un président béninois peut parler sa langue maternelle, il s'échine à parler souvent mal la langue du blanc érigée en référence linguistique suprême. On pourrait dire la même chose de la religion : au lieu et là où on doit adhérer à la religion de nos ancêtres, on erre dans des représentations de l’être et de la transcendance qui nous sont imposées de l'extérieur. Comme on peut le voir sur la photo, parmi les quatre présidents présents, Yayi Boni est celui qui est le plus extraverti non seulement dans sa tenue vestimentaire mais dans sa façon d'être. M. Buhari porte rarement, mais très rarement un costume trois pièces occidental, comme ces deux prédécesseurs, sa mise est une harmonie endogène assumée, revendiquée, expression du souffle de sa vie, de son être-là, de son identité de Peulh/haussa, de Nigérian sahélien et d'Africain, etc. Qui est Yayi Boni par sa tenue vestimentaire ? Que revendique-t-il d'identitaire par elle ? D’un point de vue vestimentaire, Yayi Boni n'aurait pas existé si le blanc n'existait pas. Cette affirmation découle du constat que Yayi Boni est un inconditionnel de la tenue occidentale et semble incapable de se référer sous le rapport vestimentaire à un terroir et à une identité africaine. Pour un président qui manie férocement le racisme régionaliste dans sa politique de tous les jours, il y a là un paradoxe pour le moins intrigant et pathétique. Si quelqu'un comme Buhari ou Obasanjo faisaient du régionalisme, et étaient connu pour ne favoriser aveuglément que des gens prétendument originaires de la même ethnie qu’eux, cela paraîtrait normal de la part de gens qui par ailleurs assument clairement leur identité et la révèle en plein jour. Mais ce n'est pas le cas. Obasanjo n'était pas plus Yoruba que Haussa dans ses options politiques, il ne favorisait pas plus son ethnie que celle les Ibo ou les Peulhs. Ce qui n'est pas le cas de Yayi Boni, réputé régionaliste sans qu'on puisse voir dans sa mise vestimentaire l'expression de cette identité régionaliste si violemment mise en jeu dans ses rapports politiques avec la nation. Le paradoxe complémentaire au premier c'est que, en dépit de sa revendication d'un certain niveau intellectuel que traduit l'usage abusif de la particule de civilité Dr, et bien que la langue du savoir au Bénin soit le français, Yayi Boni semble, dans son élocution et sa façon de parler cette langue pas très à l’aise, voire contrariée. Cette contrariété relative pour un Africain qui n'aurait pas dû être né pour se faire imposer le parler de la langue du blanc, loin d'être un défaut pourrait être regardé au contraire comme une qualité authentique qui milite en faveur de l'autonomie identitaire. Mais, curieusement, alors qu'on s'attend en toute logique que le chef d'État toujours en costume trois pièces complet veston parle correctement et convenablement la langue des blancs, il n'en est rien chez M. Yayi Boni. Kérékou aussi n'était pas un grand causeur de français. Mais outre le fait que ce militaire de carrière ne revendiquait pas d'avoir inventé la poudre, sa tenue officielle, loin de faire allégeance à l’Occident, se plaçait volontiers, avec ses vestes à col Mao, sous l'égide culturelle de l’esthétique marxiste léniniste. La manière de s'habiller de nos dirigeants en dit long sur leur état d'esprit, sur leur être-là éthique et politique ; et en dernier ressort, elle en dit long sur la mesure dans laquelle ils assument réellement leur rôle de garant de notre autonomie et de notre identité, non seulement face au monde extérieur dans sa diversité mais aussi dans ce rapport particulier hérité de l'histoire qui nous oppose à ceux qui nous ont assujetti par le passé d'une façon ou d'une autre, et qui continuent aujourd’hui ne nous dominer et d’abuser de nous en plein jour de notre conscience. Il est normal qu'après les traumatismes de l'esclavage et du colonialisme que nous avons subis dans la main des Blancs--en l'occurrence les Français en ce qui nous concerne nous Béninois,--il est normal que nous nous posions clairement vis-à-vis d’eux la question de la mesure dans laquelle nous sommes libres et vraiment indépendants. Et nos dirigeants, dans leur façon d'être et dans leur politique sont les garants de ce devoir d'indépendance et d'autonomie. Or un président qui, dans sa mise vestimentaire, reste comme Yayi Boni figé dans une allégeance/référence permanente à l'identité occidentale devient tout simplement un renégat, un traître identitaire, un aliéné inquiétant sous le rapport de l'indépendance et de la liberté. Mais ces positions qui comme on le voit sur la photo sont variables, dépendent des histoires spécifiques des peuples et des histoires personnelles. En général, les Africains anglophones sont plus intègres que les Africains francophones ; les Africains sahéliens qui ont été longtemps rebelles à la culture chrétienne de l'Occident sont plus intègres que les Africains des régions forestières ou de la côte plus exposés historiquement et géographiquement à l'influence coloniale. À l'intérieur de chaque pays, tout dépend aussi des rapports de force entre les ethnies et les régions. Ainsi, au Bénin, le royaume du Danhomè était le plus puissant ; aussi l'ethnie qui s’y identifie et celles qui en étaient proches ont développé vis-à-vis du Blanc une certaine défiance sur fond d'affirmation de leur fierté. La résistance du roi Béhanzin incarne à merveille cette fierté et cette défiance. Si bien qu'un président comme Soglo au sud n'a aucun complexe à s'afficher conformément à son identité intrinsèque. Mais les ethnies périphériques ou les peuples qui, pendant la période précoloniale, étaient les victimes de la violence des royaumes plus puissants ont accueilli la conquête coloniale française comme une délivrance. En en affaiblissant ceux qui les opprimaient, la colonisation les a rendus à une relative liberté. On sait que les peuples qui ont participé aux côtés des Français à la défaite de Béhanzin et à la chute du royaume du Danhomè étaient le royaume de Porto-Novo en rébellion ouverte contre sa suzeraineté ainsi que les peuples relevant des poussières d'ethnie comme les Nago qui jubilèrent à la conquête du Danhomè. Pour pousser Béhanzin alors dans le maquis à se rendre, le colonel Dodds aurait, paraît-il, menacé de mettre un Nago sur le trône de Houégbéja. Depuis lors les peuples relevant d'une identité secondaire ou conflictuelle par rapport au Dahomey ont eu tendance à se considérer comme des descendants politiques du colonisateur. C'est parmi eux souvent jusqu'au aujourd'hui que le néocolonialisme français recrute les nationaux qui vendent allègrement leur peuple dans l'intérêt des étrangers, parce que dans l'habitus intériorisé de ces dirigeants culturellement contrariés, les Blancs restent perçus comme des sauveurs. Ces dirigeants historiquement aliénés assurent les intérêts des Blancs, leurs sauveurs historiques plutôt que les intérêts d'une nation hypothétique à laquelle dans leur for intérieur il ne s'identifient pas majoritairement. Donc il existe un rapport de cause à effet entre le fait qu’un président comme Soglo qui porte des vêtements authentiques affirmant son identité n'a pas pu rester durablement au pouvoir de même que le fait que ceux qui comme Kérékou ou Yayi Boni ne portent pas des vêtements authentiques ont pu rester longtemps à la tête du pays en étant réélus. D'une manière générale, ce rapport de cause à effet est valable sur tout le continent africain dans la zone francophone tout au moins. Depuis L'indépendance, la durée au pouvoir des chefs d'états francophones dépend du bon vouloir des Français. Le Burkina Faso l’a montré : Thomas Sankara a été éliminé très vite et son assassin, Blaise Compaoré, est resté au pouvoir pendant 27 ans. Le Cameroun l’a montré avec Paul Biya qui a déjà, comme Eyadema ou Bongo, passé plus de trente ans au pouvoir sans avoir d’opposition ou de révolte armée pour le balayer. Le Togo d’Eyadéma l’a montré ; depuis son indépendance il n'y a que les Kabyè incarnés par la dynastie des Eyadéma qui règnent sur ce pays alors qu'ils sont bien loin d'être majoritaires. Enfin, en Côte d'Ivoire la paix n'est définitivement revenue qu'après que la France a assuré d'avoir à la tête de ce pays un type acquis à ses intérêts et dont l'épouse est française. Tandis que celui qui ne répondait pas à ces critères ou qui a l'outrecuidance d'y résister à été combattu, harassé, déposé, humilié et kidnappé juridiquement. Au Bénin Yayi Boni a bien compris la leçon. Si son refus de se référer à une identité vestimentaire digne de ce nom a une origine historique et une raison sociologique, il n'en demeure pas moins que la passion servile avec laquelle Yayi Boni a conçu du costume trois pièces occidental son mode exclusif d’habillement trahit l’aliénation profonde par laquelle le chef d'État africain francophone rassure son maître dans sa compétence de valet prêt à servir à tout instant tel un chien couchant.
Alan Basilegpo
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