Eh bien mon cher Pancrace, cette division du travail m’a paru aussi bizarre, et je crois qu’elle tombe apparemment sous le coup de l’inspiration régionaliste comme tu le suspectes à juste titre.
Oui, tout le monde parle de la déclaration du général Amoussou, chef d'état-major adjoint de l'armée ; et on attaque le pauvre homme pour ce qu'il aurait osé au nom du Haut Commandement militaire mettre en garde la classe politique. Ces attaques sont certes plus que méritées car après tout, au vu de ce que le peuple Béninois a vécu depuis l'indépendance en passant par la nuit de la dictature jusqu'à la lueur du renouveau démocratique, c'est un scandale de voir l'armée donner des leçons ou faire des remontrances au corps politique. C'est une incartade d'une certaine dimension. L'armée ose pour autant qu'elle le fait en son nom, s'immiscer dans la vie politique comme si elle était une institution habilitée à cet effet. Le but de la manœuvre est pourtant clair : intimider et faire peur ; mais intimider qui et faire peur à qui ? Au peuple Béninois, désormais aguerri et plus que jamais décidé à assumer son destin ? L'inspiration du message est aussi insolite que surannée ; elle se trompe d'époque. En cela, le général Amoussou mérite qu'on lui rabatte le caquet. Seulement, à la vérité, le général Amoussou n'est que le prête-nom d'un message hautement politique qui vient d'ailleurs pour ne pas dire d'en haut. Et c'est aussi là la traduction des obligeances qui découlent des nominations fantaisistes de M. Yayi qui, en réalité est l'inspirateur de ce message insidieux et moralisateur. Sinon pour la gravité de l'initiative, pense-t-on un seul instant que, si l'armée voulait tancer la classe politique, c'est à son chef d'État-major adjoint qu'elle en laisserait le soin ? Non, il aurait été logique et cohérent que cette déclaration, émanant soi-disant, du Haut commandement de l’Armée fût assumée par le chef d'état-major lui-même et non pas par son adjoint. Seulement voilà, mon cher Pancrace : en même temps qu’on a voulu mettre la plus grande distance possible entre le Chef suprême des armées, et le signataire supposé de la déclaration, on a aussi veillé à ménager certaines susceptibilités chère à Monsieur Yayi. Dans sa fièvre de nomination tous azimuts--on ne compte pas le nombre de chefs d'état-major qu’il a déjà consommés depuis bientôt 10 ans--comme partout ailleurs plus que de raison, Yayi a nommé à la tête de l'armée un homme qui s'appelle Awal Djibril Bouko. Un colonel jusqu'en janvier dernier, qui a été bombardé à la tête de l'armée en même temps que promu général--le genre de promotion deux-en-un qui est au principe du népotisme paternaliste de Yayi. Après les échauffourées de Cotonou qui ont mis en avant l'héroïsme et la combativité d'un député d'extraction fon--cette race que M. Yayi Boni méprise tant --l'honorable Candide Azannaï pour ne pas le nommer, laisser un type qui se nomme Awal Djibril Bouko sermonner les hommes politiques du sud sous prétexte de s'adresser à toute la classe politique risquait d'être mal vécu ou mal interprété par les intéressés. C'est du moins ce que suppose le commanditaire implicite de la « Déclaration du Haut Commandement de l’Armée ». Le clivage ethnique dans lequel Yayi Boni à donné sans complexe et avec une passion orageuse depuis son entrée en scène politique risquait d'être contre performant. C'est comme jeter de l'huile sur le feu. Les admonestations à visée de recadrage venant d'un Awal Djibril Bouko à des Amoussou, Soglo, Houngbédji, Akotègnon, Kolawole, Jogbénu, Houndété, Yahouédéou, etc. --car c'est à eux qu’elle s’adressait en vérité--risquaient de leur rester en travers de la gorge avec sa pique régionaliste empoisonnée susceptible d'attiser encore plus le feu de la révolte. C’est ainsi que raisonne le manitou de la division ethnique, qui ne voudrait pas entretenir l’ambigüité d’un message à connotation régionaliste, cette fameuse menace des « miens du pays profond » qu’il a promis à ses ennemis politiques. Il va de soi que si Awal Djibril Bouko était le chef d'état-major adjoint de l'armée, la tâche de signer une déclaration de cette nature ne lui aurait pas davantage incombé pour les mêmes raisons. En revanche, parce qu'il s'appelle Amoussou, le chef d'état-major adjoint était l’homme tout indiqué pour tourner le couteau dans la plaie de la provocation, faire passer à la fois le message de la provocation et de la menace régionaliste sans en avoir l’air. Tout un art de la litote régionaliste dans lequel Monsieur Yayi est passé maître. Quand un général nommé Amoussou s'adresse dans un message même et surtout comminatoire, même et surtout polémique à des gens qui s'appellent Soglo, Yahouédéou, Amoussou, Houngbédji, Akotègnon, Houndété, Azannaï, Kolawole, Jogbénu, etc. alors la polémique se réduit à son objectif essentiel qui est de faire peur, intimider. C’est en vertu de la même division régionaliste du travail politique que Yayi durant ses dix ans de présidence a astucieusement nommé des Présidents de Cours Constitutionnelles ou de CENA sudistes. Car les verdicts truqués dans les fraudes électorales contre ses opposants sudistes sont assenés, servis et confirmés par des hommes du sud comme eux. Ainsi la boucle est bouclée et on n’en parle plus. En l’occurrence, dans cette affaire de Déclaration de l’Armée, la levée de boucliers qu'elle suscitera et qu'elle a suscitée effectivement se cantonnera à son objectif et elle ne mettra pas le feu aux poudres d'une cohésion nationale déjà fort mal en point. Cette subtile prudence dans le choix du prête-nom de l’ignoble déclaration dite du Haut Commandement Militaire et signé du chef d'état-major adjoint prouve si besoin en est que sa source effective n’est nulle autre que M. Yayi lui-même. Forcé par le peuple de reculer dans son bras de fer stupide avec un député mais ne s'avouant pas vaincu, Yayi Boni revient à la charge de façon sournoise et menace le corps politique par la voix de l'armée. Pour ce faire, comme à son habitude, il prend la précaution raciste de ne pas heurter les susceptibilités régionalistes en confiant le sale boulot à un homme du Sud. Pour que l’opération passe comme une lettre à la poste. Pour que les hommes politiques du sud auxquels ils s’adressent reçoivent le signal sans le bruit régionaliste sous-jacent. Mais le principe même de cette précaution est raciste. Car il en dit long sur l'éthique de division nationale et de revanche ethnique qui est au cœur de l'affect politique de M. Yayi Boni. Ces aspects de la manipulation raciste des ressources humaines peuvent passer inaperçus aux yeux du plus grand nombre ; ils peuvent aussi pour ceux qui s'en aperçoivent apparaître comme secondaires ou anodins. Mais rien n'est plus faux car ces manœuvres idiotes traduisent la rage régionaliste de M. Yayi Boni. Si le même sentiment avait habité le cœur de ceux qui ont facilité son émergence politique à savoir les Soglo, les Tévoédjirè, les Azannaï, les Quenum, les Dossou et consorts, est-ce que Yayi Boni aurait pu devenir conseiller à la Marina, sans même parler du poste de président de la BOAD qui a été son tremplin vers la Présidence de la république ? Avant son arrivée au pouvoir, les Béninois étaient peut-être régionalistes mais c'était un régionalisme paisible et sentimental. Les régions et les ethnies s’entendaient tant bien que mal. Le métissage et la fraternité étaient le socle de la cohésion nationale. Depuis 2006, pour des raisons idiotes, Yayi Boni a exaspéré le régionalisme et l’a promu au niveau d'une idéologie agissante qui est pour le tribalisme ce que le nazisme est au racisme : un manichéisme délirant. Et il opère ainsi en plein jour, sans complexe, ouvrant de vieilles plaies mal cicatrisées, exacerbant des légendes de revanche ethnique, élisant le département des Collines et, au-delà, la nébuleuse nago comme le cœur privilégié de la jouissance du pouvoir, opposant aveuglément l'est à l'Ouest, le Nord au sud. Et il espère ce faisant que le peuple en serait dupe. Pour quelqu'un qui n’est pas peu fier d'avoir été président de l'union africaine, quel sens donner à sa conception de l'unité africaine lorsqu'il est peu sensible à l’unité de son propre pays et utilise toute son industrie à le diviser sur des lignes ethniques et régionalistes dépassées ?
Enfin, mon cher Pancrace, l’autre aspect vicieux de sa démarche -- et le contenu de la Déclaration querellée en fait foi -- c’est l’idée que, contraint de quitter le pouvoir par la volonté de la constitution, amer et dos au mur, Yayi Boni est en train d’agiter le retour de la vieille époque de l’instabilité politique en redonnant carte blanche à l’armée dans son rôle putatif de garant de la cohésion nationale. Une sorte de « après moi, c’est le chaos » qui est une violation scandaleuse de l’esprit du Renouveau Démocratique.
Mon cher Pancrace, il n’y a pas à dire, la question que tu as soulevée n’a rien de délirant, au contraire, elle est fondée dans les faits. Ce qui m’étonne mon cher ami, depuis des dizaines d’années qu’on se pratique, c’est que la constance de la position de tes idées, n’a d’égale que l’inconstance de ta position géographique.
Cet équilibre est, je crois, l’un des piliers de notre amitié, et je m’en réjouis infiniment.
A bientôt
Binason Avèkes
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