par Eugénie Quenum
Cette Convention est adoptée depuis 1989, et ratifiée par la plupart des pays du monde. Une journée internationale de l’enfant est également instituée et se fête en Novembre chaque année. Sur le terrain, l’UNICEF et des ONG spécialistes de la question de l’enfant sont à pied d’œuvre. Mais le sort de ces enfants est loin de s’améliorer depuis la prise de conscience internationale il y a de cela 36 ans. Pire, il s’aggrave. C’est donc les raisons de cette situation qu’il nous faut trouver afin d’entreprendre des actions efficaces qui nous fassent espérer que dans quelques années, une nouvelle table ronde ne consacre un échec. Nous verrons donc les vestiges des sociétés anciennes qui greffent naturellement la gestion politique et administrative de ces pays où subsiste ce problème ; le poids de la volonté politique des gouvernants ; enfin, les moyens économiques pour la résolution de ce problème qui constitue un véritable fléau. I- LES VESTIGES DES SOCIETES ANCIENNES A- LE NOM ET LA FILIATION En dehors des esclaves et les déportés qui ont tout perdu y compris leur identité en un moment donné de leur existence, le déroulement de la vie hier, n’est pas celui d’aujourd’hui. Nos sociétés telles que nous les vivons aujourd’hui, n’ont pas toujours été connues sous cette forme. Sur tous les cinq (5) continents, elles ont connu une évolution allant de la société primitive à celle esclavagiste, puis féodale, bourgeoise et enfin capitaliste. A la société primitive, les accouplements se faisaient par hordes entre groupes de femmes et groupes d’hommes. La seule certitude de filiation était donc par rapport à la mère qui avait des témoins lors des accouchements. L’enfant héritait du nom ainsi que des biens de la mère. La société était matrilinéaire. C’est la seule étape où la gestion de la cité incombait à la femme et elle la gérait à merveille sans discrimination. A chaque étape nouvelle correspond un niveau de développement supérieur par rapport à l’ancienne. La société est devenue patrilinéaire dès l’étape esclavagiste et le restera jusqu’à nos jours. Désormais donc l’enfant porte le nom du père. On retrouve encore les traces de ces sociétés matrilinéaires dans certaines contrées comme chez les MOSUO entre la Chine et le Tibet. Au début de nos sociétés, un seul nom désignait l’individu, et il était choisi selon les caractéristiques physiques liées à la personne nommée ou des circonstances du moment. Puis plus tard, à l’apparition de la famille, puis celle de la religion, le besoin s’est fait sentir d’ajouter un deuxième nom devenu le prénom. Alors que chacun avait déjà un prénom, l’église catholique va en exiger un tiré du calendrier, lié aux Saints, selon le nouveau testament. Les protestants, eux, vont plutôt s’inspirer de l’ancien testament… Pendant ce temps, les habitants des autres continents portaient eux aussi soit un nom, soit deux. En Afrique de l’Ouest, par exemple au Togo, Bénin Ghana, etc, les parents donnaient à leurs progénitures, les noms du jour de la semaine plus un autre de circonstance. Le nom de famille sera ajouté plus tard à tout le monde pour en faire trois. En Occident, le second nom n’a pas été utilisé avant le XVème siècle. Lorsqu’eut lieu la rencontre entre les occidentaux et les autres peuples, d’Afrique par exemple, l’évolution de la société des premiers avait atteint un niveau de développement industriel tel qu’ils pouvaient sillonner les mers avec leurs bateaux. Une différence de 200 ans séparait les Occidentaux des autres peuples. Et sur le plan religieux, les peuples d’Afrique, d’Asie du Sud-est et les Amérindiens, avaient encore leur croyance polythéiste et n’avaient pas encore atteint le monothéisme. Ils durent se convertir de force et furent obligés d’adopter un autre nom. En Afrique, la principale croyance était l’animisme et le reste jusqu’aujourd’hui. B- LA CITOYENETE, DROIT DE L’ENFANT EVOLUTION DE LA SITUATION DES ENFANTS A TRAVERS LES SIECLES L’histoire de l’humanité prouve que chaque individu a toujours eu un territoire d’origine ou d’adoption qui constitue son espace de vie. Ce sentiment de libre appartenance lié aux mouvements fréquents d’essaimage des groupes ou des peuplades depuis l’antiquité, a été freiné à la fin des guerres de territoire lors de la création de l’Etat-Nation vers le XVIème siècle. Un processus qui correspond pour ces populations à une communauté de Territoire, de Langue, de Culture, de Religion et de la Monnaie. Les membres de ces populations devenant des citoyens d’un Etat-Nation, leurs enfants aussi en avaient automatiquement le droit. La création de l’Etat a induit une légalité d’où sont exclus tous ceux qui ne sont pas identifiés. La création de l’Etat Civil est l’un des actes forts de l’évolution de la société. La fiche d’Etat Civil permet alors l’établissement d’une pièce d’Identité pour chaque citoyen. Ce qui renforce son sentiment d’appartenance. L’obtention du passeport étant facultative. Ailleurs, dans les pays d’Afrique par exemple, ce processus de remembrement des territoires pour déboucher sur la création d’un Etat-Nation n’était pas encore achevé avant que n’eut lieu la rencontre avec les Occidentaux. Dans ces pays donc, les droits d’appartenance à un groupe ou à une tribu étaient encore en vigueur avec la jouissance de toutes les protections pour l’enfant dans ces espaces de vie. Mais lorsqu’en 1884-1885 eut lieu le partage de l’Afrique à Berlin entre les grandes puissances, les Etats qui en sont issus n’avaient pas les caractéristiques des vrais Etat-Nation. Et les droits de leurs peuples s’en sont trouvés amoindris. Ceux des enfants aussi. C- ABSENCE D’IDENTITE DES ENFANTS L’absence d’Identité pour un enfant y compris un adulte, est synonyme de perte de visibilité sociale, car sans identité officielle, on n’a pas une nationalité inscrite. Les indigènes rencontrés sur leur propre territoire par les colons explorateurs ont été longtemps marginalisés et exclus des populations décomptées. Ce fut le cas des autochtones de la Guyane, des Amérindiens et des 370 Millions de personnes appartenant aux minorités en Asie aujourd’hui. Ils seraient 230 Millions d’enfants de moins de 5 ans de nos jours, a publié l’UNICEF. D’autres sources évoquent le chiffre de 400 Millions. Dans tous les cas, ces chiffres officiels sont souvent en deçà de la réalité, tout comme on serait en droit de douter des chiffres de la démographie de ces pays concernés. Dans les pays d’Europe où l’administration civile est pourtant très bien structurée, les enfants invisibles seraient au nombre d’environ 700. Mais alors, qui sont ces enfants dépourvus d’identité ? - Ce sont ceux qui d’abord et avant tout, naissent de parents, eux-mêmes invisibles, parce que n’ayant bénéficié d’aucune identification durant toute leur vie. Ils ont donc vécu comme des fantômes dans la société qui n’en a aucune trace réelle malgré leur présence physique. C’est le cas en République Démocratique du Congo, RDC où l’invisibilité est institutionnalisée, mais aussi en Afghanistan, en Erythrée, etc…En Europe, les couples d’immigrés clandestins , invisibles dans la société d’accueil, sont obligés, pour rendre au moins leurs enfants visibles, de faire appel aux services rémunérés d’un père fictif qui vend son nom à l’enfant. - Ce sont les centaines de millions d’enfants de la rue, qui après avoir connu une visibilité en début de vie, tombent en rupture familiale, sociale ou scolaire, se retrouvent alors ensemble pour mettre en commun leur malheur. En danger, ils construisent pour se protéger, leur propre société à l’intérieur de la nôtre avec des règles de fonctionnement propres à eux. C’est le cas des « Enfants talibés » au Sénégal, les « Enfants sorciers » en RDC, et bien d’autres dans les Capitales africaines, celles d’Amérique Centrale ou du Sud. - Ce sont les enfants soldats qui, arrachés à leurs parents contre de l’argent sont enrôlés dans les guerres civiles comme au Mozambique, en Angola, en RDC etc, et qui revenus du front, sont laissés à eux-mêmes. Pour survivre, ils se prostituent ou pratiquent le vol armé. Parfois, ils sont enlevés pour être vendus aux marchands d’organes ou à des prédateurs. - Ce sont des enfants nés dans les dispensaires, ou des maternités et où après avoir payé les frais d’accouchement, les parents se voient réclamer encore des frais supplémentaires avant de retirer le Certificat de naissance comme à Matadi, la troisième grande ville de la RDC. C’est une pratique de corruption de la part du personnel qui décourage les parents et participe à rendre les enfants invisibles. - Ce sont également ceux dont les parents ne comprennent pas la nécessité de déclarer leurs enfants ou n’en font pas une priorité, puisqu’il n’en était pas ainsi dans la tradition. - Ce sont , les enfants nés hors mariage ou de mère célibataire et rejetés par la loi islamique comme ce fut le cas au Maroc, ou la religion catholique qui refuse de baptiser l’enfant parce qu’il n’a pas été identifié au préalable. Ce sont aussi des enfants de prêtres catholiques ayant fait le vœu de chasteté ou de célibat… ! - Ce sont enfin les enfants des populations nomades, comme les peules en Afrique et les Romes en Europe. - En Europe, ce sont les enfants autistes qui, petits sont normalement inscrits dans les circuits habituels avec leur handicap. Mais une fois passé un certain âge, ils disparaissent des circuits et deviennent invisibles. Ils sont 500 milles en France par exemple. II- LE POIDS DE LA VOLONTE POLITIQUE 1°-Les vestiges des sociétés anciennes qui inhibent les parents, les empêchent de s’informer de leurs droits afin de les réclamer. Il faut reconnaitre que la situation politique qu’ils vivent ne les motive pas non plus ! La centralisation du pouvoir politique et sa concentration aux mains des 10% à peine de la population que constituent les gouvernants, la haute bourgeoisie et la partie supérieure de la petite bourgeoisie du pays, l’absence de partage de l’information, de partage des richesses, bref, l’absence d’une démocratie, isole les gouvernements de leurs peuples dans la plupart des pays où on note le retard dans le règlement de la situation des enfants. Il semble que le parachutage d’un Etat qui ne correspond pas vraiment à un processus de développement naturel joue un rôle dans la gestion familiale, clanique, parfois autocratique et souvent dictatoriale des pays concernés. Depuis 36 ans, la convention sur le droit de l’enfant a été signée et ratifiée par de nombreux pays dont les gouvernants ne se donnent pas la volonté politique de l’appliquer. Il en est de même pour bien d’autres conventions… 2°-Les efforts des organismes internationaux L’ONU et l’UNICEF travaillent sur la question, mais dans les pays concernés, la corruption érigée en système de gouvernement provoque la bagarre entre les différents ministères en charge des projets. Aussi, en ce qui concerne le programme d’enregistrement des enfants, c’est la bataille entre les ministères de la famille, de la santé, de l’éducation et de l’intérieur. Lorsque le financement arrive enfin, il est détourné par le ministère qui a gagné la bataille, mais ce dernier laisse souvent mourir le projet au fond des tiroirs de ses bureaux. 3°-Pour rendre à l’enfant une visibilité, il suffit d’établir sa traçabilité. Un système qui comporte la création de structures allant du suivi de la grossesse de la future mère dans un dispensaire ou une maternité, à l’accouchement donc à l’enregistrement systématique de la naissance avec délivrance gratuite d’un certificat de naissance. Puis rendre obligatoire la déclaration à la municipalité. La dernière étape serait la scolarisation obligatoire et réellement gratuite pour tous les enfants. De la naissance à l’école, la trace de l’enfant ne devra pas être perdue. C’est ainsi que sur le plan national, une statistique des naissances correspondrait à la réalité et les chiffres seraient fiables… 4°-Rapprocher l’administration des populations La volonté politique consisterait également à rapprocher l’administration des populations, surtout celles des zones rurales où sont absentes les routes et les moyens de transports, afin d’organiser la couverture administrative du territoire. En absence des structures locales devant jouer un rôle dans la traçabilité de l’enfant, à savoir une maternité, un dispensaire et une mairie, un service ambulatoire devrait aller vers les populations. Le personnel quant à lui, devrait bénéficier de nombreuses formations et informations utiles à la réussite du projet. La législation pour faire respecter ces dispositions par le personnel ainsi qu’un contrôle de la gestion, limiterait les déviations et la corruption qui bloquent parfois la réussite de certains projets. Des séminaires de travail seraient indispensables pour permettre aux responsables administratifs au sommet comme à la base, de rattraper le retard du pays sur la question. 5°-Le respect de l’équilibre entre la sécurité et les droits des personnes Si le progrès du numérique à savoir par exemple l’usage du téléphone portable a fait faire un bon quantitatif à l’établissement des identités dans les pays en retard sur la question, le revers de la médaille est l’abus des autorités qui profitent des fichiers pour fliquer les citoyens. C’est le cas au bénin par exemple où plus d’un Millions d’électeurs ont été zappés des listes électorales pour cause de soupçon d’opposition politique au président de la république en place. CONCLUSION Si le poids de la tradition tel que nous l’avons vu plus haut, empêche les populations de comprendre à l’époque actuelle l’importance de l’identité de l’enfant, leurs gouvernants sont aussi dans la même posture. Et la négligence ou la lenteur avec laquelle ils traitent ce problème est la preuve, s’il en est besoin, que ces derniers ne perçoivent ni la gravité du problème, ni le lien avec l’enjeu civique, politique et économique qu’il représente pour leur pays. En RDC, par exemple où l’absence d’une carte d’identité est institutionnalisée, c’est la carte d’électeur qui en tient lieu. Ce qui fait que de la naissance jusqu’à l’âge adulte, si l’occasion ne se présente pas pour le besoin d’un passeport pour un voyage par exemple, le citoyen n’a aucune preuve de son appartenance à son pays. Et puisqu’il ne figure dans aucun registre, lors de l’acquisition d’un premier papier, il a le droit de présenter deux témoins qui certifient le connaitre sous son nom et prénom. L’absurdité de ce système réside dans le fait que les témoins, souvent deux inconnus soudoyés dans la rue, ne possèdent non plus aucune identité ! On comprend alors comment lors des élections, les mêmes individus votent plusieurs fois passant d’un bureau de vote à l’autre avec parfois de multiples identités dont aucune n’est authentifiée. Il en est de même pour les autres pays fonctionnant selon les mêmes schémas. Le système de fraude électorale étant érigé, dans ces pays, en système de gouvernement pour s’éterniser au pouvoir, non pas dans l’intérêt de leurs peuples, mais à leurs profits personnels. Cette situation favorise le clientélisme et entrave l’établissement d’une vraie démocratie. L’Etat n’offre pas à ses administrés les moyens de jouir de leurs droits, ni de remplir valablement leur devoir… L’avenir d’un pays est sa jeunesse, et si de nombreux enfants à la naissance ne sont ni déclarés ni enregistrés, cela crée un problème à moyen et long terme. Car ces enfants dépourvus de visibilités dont le nombre ne cesse de croitre, devenus adultes et marginalisés, constituent parfois le lot des petits ou grands délinquants dont les groupes peuvent déstabiliser la société. Par ailleurs, si la majorité de ces enfants invisibles se trouvent exclus du système scolaire, cela constitue une perte pour l’Etat, pour la simple raison que la famille forme l’homme, et c’est l’école qui forme le citoyen. C’est à l’école qu’ils apprennent les valeurs de la République, le sentiment d’appartenance à une Nation, le respect de la chose publique etc… Personne ne pourra donc plus tard leur réclamer l’application des règles de la société qu’on ne lui avait pas enseignées et ce serait une perte pour le pays. Pour apporter une solution à ce problème des enfants invisibles, les autorités de ces pays évoquent souvent le manque de moyens financiers. C’est aussi à cause de la pauvreté que les parents n’arrivent pas à remplir toutes les formalités pouvant rendre leurs enfants visibles. Et pourtant, la plupart de ces pays sont riches. « Une Afrique riche, mais des Africains pauvres » a déclaré Michel Camdessus, l’ancien directeur du FMI, par exemple. Cf : Jeune Afrique N° 2787 8 au 14 Juin 2014. L’OMC et le FMI, par exemple, en faisant pression sur les multinationales qui opèrent dans ces pays pourraient faire arrêter le transfert illicite des capitaux de plusieurs milliers de Milliards de Dollars. Et cet argent servirait au développement, à commencer par la création des structures de traçabilité des enfants invisibles. En effet, les multinationales pillent impunément les richesses de ces pays qu’elles considèrent être des pays de non-droit et rapatrient les 90% de leurs intérêts. Cf : Billets d’Afrique et d4Ailleurs, N° 198 de Janvier 2011 de Survie. Les autorités à la tête de ces pays, impuissantes devant ce phénomène laissent faire tout en déplorant les manques de moyens qui entravent la bonne marche des structures sociales. En organisant le gel des avoirs des dirigeants de ces pays, qui détournent les fonds publics destinés à des projets sociaux tels la couverture identitaire des enfants, les institutions internationales feraient œuvre utile. Et en les restituant, elles contribueraient plus efficacement à la résolution du problème qui nous réunis aujourd’hui autour de cette table ronde. C’est bien la logique de non droit qui régit le fonctionnement de ces pays qui permet le pillage des richesses de leurs peuples à la fois par les multinationales et par leurs propres dirigeants. C’est cette même logique qui fait qu’aucun compte n’est demandé à ces pays qui signent volontiers les conventions internationales, les ratifient sans se soucier de leur application chez eux. Eugénie Dossa Quenum Paris le 8 Avril 2015 |
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