J'appelle vaticination rhétorique les énoncés qui prédisent des faits censés se produire dans un délai fini, généralement très rapproché dans le temps ; à distinguer des prophéties au sens religieux du terme. En effet, les prophéties religieuses sont soit des énoncés qui rapportent des faits du passé où l'on affirme que tel personnage du temps passé a prédit par annonce un fait antérieur de ce même temps passé. Ainsi, de nos jours, nous connaissons le prophète Isaïe, comme un personnage qui aurait existé dans un temps passé et qui aurait, dans un temps intérieur et antérieur à la fin de ce même passé, annoncé la venue du Messie. « Il sera un arbitre entre les nations et le percepteur des peuples nombreux. (…) » (Isaïe 2.4) ; « Les nations se tourneront vers lui » ; (Isaïe 11.10) ; « Il jugera les faibles avec justice, il rendra des arrêts équitables en faveur des humbles du pays (…) Du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant. » (Isaïe 11.4). Ces prophéties et le titre de prophète nous sont connus historiquement. Il est important de faire remarquer au passage que les prophéties religieuses de part la nature non mesurable de leur contenu, constituent le paradigme même de l’énoncé infalsifiable selon Popper. Comme la temporalité religieuse des religions du livre, les prophéties concernent soit des événements d'un temps fini dans le passé ou soit ils renvoient à un temps indéterminé dans un futur tout aussi indéterminé. Mais jamais les prophéties religieuses ne portent sur un temps fini ou indéfini encore moins sur le présent. C'est ce qui les distingue des vaticinations prophétiques. Les vaticinations prophétiques ont la prétention d'annoncer des faits censés se produire dans un bref délai.
Dans la réalité et l'actualité, ces énoncés sont surtout le fait des hommes politiques, ou se rapportent à des polémiques à caractère politique qu'ils soient nationaux ou internationaux : guerres, élections, conflits diplomatiques ou militaires mais aussi événements sportifs, etc. Lorsque, à 24 heures des élections présidentielles au Nigéria par exemple le président de ce pays, dit du parti de l'opposition qu'il aura un choc le lendemain, eh bien il se livre à une vaticination rhétorique. Car il s'agit d'une prophétie pompeuse destinée à être rabâchée. Mais quel vérité mesurable possède cette prophétie ? Difficile de le dire. En revanche, la question à laquelle on peut répondre sans difficulté est celle-ci : quel est la nécessité mesurable de tels énoncés ? Et la réponse va de soi : aucune. En effet, à quoi sert-il de se mettre en frais pour annoncer ce qui va se produire dans quelques heures ? Ce genre d’énoncé n'a qu'une valeur rhétorique. D'où sa désignation de vaticination rhétorique, comme on parle d'interrogation rhétorique pour signifier une interrogation qui ne nécessite pas de réponse. L'expérience montre que les vaticinations rhétoriques sont une spécialité de la communication politique. Et les hommes politiques y font recours lorsqu'une élection ou un scrutin met en question sinon en danger leur situation politique ou lorsqu'ils veulent réaffirmer l'avantage hypothétique de leur posture politique. En tant que fait de langage, les vaticinations rhétoriques ont un usage surtout médiatique. Lorsqu’à la veille d'une élection un homme politique affirme qu'il va faire une bouchée de son adversaire, il y a une chance sur deux qu'il soit dans le vrai mais au-delà de cette probabilité qu'il partage avec son adversaire, c'est le besoin de se rassurer et de rassurer ses électeurs et ses sympathisants qui est à l'œuvre dans cette prophétie sur une courte durée. Peut-être qu'en informant ses sympathisants du raz-de-marée qu'il annonce, il espère le provoquer ou en accroître l'effet. Cette intention, le cas échéant confère à la vaticination rhétorique une valeur performative, selon la définition d’Austin, c'est-à-dire l'intention de réaliser le contenu de la prophétie par le seul fait de son annonce. Enfin, il est intéressant de rapprocher la fonction ou l'usage des vaticinations rhétoriques de la fonction des sondages qui prédisent sur une très courte durée un score ou une victoire lors d'un scrutin. A propos de tels sondages, on peut poser la question de leur usage, à savoir quelle est la nécessité de connaître à l'avance les résultats d'une élection qui va avoir lieu dans un délai court ou fini dans le temps. Quand on y pense sérieusement, en dehors de l'usage psychologique, ou de la provocation d'un effet performatif, ce type de sondage, comme la vaticination rhétorique, n'a aucune nécessité, dans la mesure où l'élection elle-même est un sondage grandeur réelle.
Alan Basilegpo
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