Le programme sur cette chaîne commerciale est des plus primaires et d'une insipidité cyclique confondante : information très politisée, documentaires occidentaux datant de Mathusalem, puis un océan de programmes musicaux où les contorsions lascives répétitives et autres provocations obscènes des jeunes sont érigées en archétype de la danse et de la culture. D’où l’idée de profanation. Les informations en français qui roulent autour de la politique, sont pour les présentateurs, comme pour les divers acteurs sociaux une occasion de faire rimer compétence syntaxique et lexicale en langue française avec intelligence et légitimité sociopolitique. Cette adéquation délirante qui instaure un climat d'émulation où chacun vient apporter sa petite pierre à cet édifice outrageant de reniement de soi qu'aime tant habiter le nègre, tient lieu presque de philosophie ; hissée au niveau d'une raison d'être, elle prend une dimension existentielle. Et puis, à côté de ces travers qui ne sont pas l'apanage de Canal3, il y a les petites manipulations dont le principe, l'inspiration et les effets ne sont pas moins révoltants. Par exemple, on voit sur cette chaîne, pour les informations en langue fon, la présentatrice qui se donne une apparence voilée faisant étalage de son appartenance religieuse musulmane. Or, sociologiquement le sud est chrétien et les Fon sont l’ethnie dominante du sud. Certes cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de musulman au sud, mais représenter dans l'identification que cela opère la présentatrice fon comme étant une femme musulmane est un choix tendancieux dont la motivation et les intentions politiques sont à peine cachées. Le président de la chaîne, Saka Saley, étant musulman de confession n'a certes pas de difficulté à trouver pour occuper ce poste une de ses belles-sœurs, nièces ou cousine par alliance de confession musulmane, mais la pudeur sociologique et le respect des réalités devraient en l’occurrence prévaloir sur le prosélytisme religieux et ethnique.
Mon cher Pancrace, ce même canal 3, à l’instar des autres chaînes, —surtout les chaînes commerciales privées —diffuse régulièrement des feuilletons à l'eau de rose donnant à voir des mélodrames de la vie bourgeoise, blanche des pays d'Amérique latine —Brésil, Argentine ou même de l'Inde et de la France. Et nos cousins, cousines, sœurs, neveux, nièces voire nos parents, qui s'en sont entichés, s'absorbent religieusement et non moins passionnément dans la vue de ces scènes ou de ces feuilletons dont ils connaissent les personnages sur le bout des doigts et passent leur temps à commenter ou anticiper les actes ou la suite des histoires. Par un mystère d'identification que probablement on ne peut voir réaliser nulle part au monde qu'en Afrique noire, des Africains vivant dans des sociétés sous-développées ayant à peine de quoi vivre au quotidien, se projettent avec passion dans les états d'âme et le mode de vie de bourgeois blancs de l'Occident, et ce, sans demander leur reste. Tout se passe comme si, en France, au Brésil, en Argentine ou je ne sais quel pays passablement occidental d'Amérique ou d'Europe, des hommes et des femmes jeunes et moins jeunes des classes moyennes et supérieures se réunissaient chaque soir devant leur télévision pour regarder religieusement des histoires mettant en scène le mode de vie des classes populaires des sociétés africaines —béninoise, sénégalaise, nigériane, etc. Des histoires mettant en scène des paysans, des ouvriers évoluant dans des bidonvilles ou fréquentant des marchés comme Dantopa, Gbegamey, Ebutéro, et mettant en scène des rapports amoureux sur un mode typiquement africain entre tam-tam, magie, danses et polygamie… Aberration spéculaire impensable mais qui en Afrique devient réalité ; une réalité qui s'opère sur un mode magique dans la nuit d'une inconscience pathétique qui mêle l'aliénation à l'infantilisme le plus déplorable. Et pourtant —tout au moins en ce qui concerne le Bénin, car on n'imagine pas que notre pays soit une exception dans cette joyeuse inconscience de l'image de soi —à quelques encablures d'ici se produisent au Nigéria par milliers chaque année des feuilletons en yoruba qui mettent en scène le mode de vie de chez nous, des hommes et des femmes, des lieux et des milieux en tous points semblables aux nôtres que nous n'aurions eu, le cas échéant, qu'à sous-titrer et à diffuser sur nos chaînes. Au lieu de quoi, fidèles au reniement de soi qui est au principe de notre condition d'aliénation assumée nous nous complaisons dans cette atmosphère de joyeuse inconscience qui semble plaire à tout le monde et en dépit de quoi, nous aspirons au respect des autres et peut-être un jour à sortir de notre état de pauvreté mentale et matérielle.
A suivre…
Binason Avèkes
Part 4
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Toute notre histoire depuis cette époque qu'il n'est plus besoin de nommer est en effet celle d'une aliénation qui doit hanter la conscience de chacun de nous où que nous soyons...
Rédigé par : Thomas Coffi | 31 août 2014 à 21:47