Que le discours sur l'éventualité de dialoguer avec Boko Haram continue d'être d'actualité, au regard de la perpétration soutenue d'actes de barbarie par ce groupe en dit long sur la moralité et le sens de justice de la politique en Afrique. Boko Haram et le pouvoir central au Nigéria en fin de compte et au fond craignent les mêmes choses et luttent pour les mêmes raisons. Boko Haram prétend lutter pour islamiser pleinement ce qu'ils appellent le nord du Nigéria ; y pratiquer la charia et instaurer un genre d'éducation expurgée de toute influence occidentale considérée comme néfaste. Que la culture et l'influence occidentale soient néfastes pour l'Afrique depuis plusieurs siècles peut se discuter mais est-ce en kidnappant des jeunes filles innocentes, où en massacrant des villageois sans défense qu'on lutte contre cette influence occidentale ? Boko Haram vise donc l'explosion du Nigéria tout au moins la séparation du Nord et du Sud, des musulmans et des chrétiens, et nous sommes censés croire que tel est le sens de son discours et de ses actes barbares, de ses crimes contre l’humanité--absolument non-amnistiables. Mais en vérité rien n'est plus faux, aucun discours politique n'est plus trompeur et de mauvaise foi parce que, à l'instar du Nord et de ses hommes politiques, Boko Haram vit de et bave sur la manne pétrolière dont le nord pense qu'il ne reçoit pas sa juste part. Alors, comment baver sur les ressources issues du pétrole provenant du sud et prétendre dans le même élan qu'on veut se séparer de ce même sud ? Manifestement nous sommes là en face d'une contradiction dont la résolution prouve que les motivations et objectifs de Boko Haram sont ailleurs. Soit Boko Haram veut conquérir tout le Nigéria, ce que les Nordiques en Côte d'Ivoire ont fait sous une bannière et des mots d'ordre plus séculaires et laïques avec la bénédiction de l'ancienne puissance coloniale ; mais cet objectif ne paraît pas possible au Nigéria pour deux raisons : d'une part le peu d'immixtion de la puissance coloniale dans les affaires intérieures du Nigéria ; et d'autre part, à défaut d'avoir un discours séculaire sur la justice démocratique, vouloir s'accaparer de tout un pays au seul nom de la religion est un programme politique que l'Occident, en dépit de son réalisme cynique habituel, aurait du mal à soutenir, sans compter la résistance du sud chrétien qui n’accepterait pas facilement l’accaparement de ses ressources, de sa terre et la conversion forcée à l'islam.
Ou alors, Boko Haram veut en vérité le retour au statu quo politique habituel du Nigéria, à savoir l'accession du Nord au pouvoir présidentiel. Et cet objectif nostalgique à peine caché est bien celui que visent à des degrés divers tous les politiques du Nord, des plus modérés au plus violents, des plus laïques au plus religieux. La question de la rotation entre le Nord et le Sud au sommet de l'État éclaire sur l'orientation morale et intellectuelle de la politique en Afrique. Pourquoi tant d'acharnement à exiger la rotation régionaliste au sommet de l'État si on venait vraiment au pouvoir pour l'équité et la justice citoyennes ? La mission sacrée du politique c'est d'assurer le bien-être de tous. Sur 100 Nigérians, tout président de la république devrait assurer indépendamment de sa religion et de sa région que revienne à chacun le centième des ressources disponibles. Dans un tel schéma de justice et d'équité citoyennes quelle est alors l'utilité ou la nécessité de la rotation régionaliste ? En vérité, si subsiste la rage de la rotation au pouvoir sur la base régionaliste c’est que, à l'instar des bêtes qui se délogent les uns les autres autour de la proie, chaque dirigeant, chaque famille, chaque clan, chaque tribu ou chaque région entend se substituer à la collectivité et régner à demeure sur les richesses nationales. Être au pouvoir pour se servir et sévir contre ceux qui n'y sont pas, tel est en gros l'objectif que visent les hommes politiques qu'ils soient du Nord ou du Sud mais pour l’atteinte duquel le Nord--sur toute la côte du golfe de Guinée--n'hésite pas à prendre les armes, à perpétrer les coups d'état plus ou moins sanglants comme au Togo, des élections truquées comme au Ghana ou au Bénin, des guerres néocoloniales comme en Côte d'Ivoire ou des actes de barbarie inqualifiables comme c'est le cas actuellement au Nigéria. Et ce dévoiement de la mission sacrée du politique n'est pas l'apanage du seul Nord, avide des terres et des ressources du sud, et faisant fonds là-dessus. Dans cette logique du ôte-toi-de-là-que-je-m’y-mette, le sud n'est pas en reste ne serait-ce qu'au titre de la résistance au nord, de la revendication du droit de propriété sur les richesses de son sol ou de la réaction à la convoitise agressive du Nord. Le parti pris de la corruption de Jonathan qui est d'autant plus consternant qu'il bat en brèche l'illusion que ce fléau serait le fait de la génération ancienne des dirigeants politiques africains à l'exclusion de la nouvelle, en est une preuve irréfutable. Le scandale de la disparition de 20 milliards de dollars des caisses des revenus pétroliers, comme le peu d'empressement de Jonathan à sanctionner ses ministres corrompus ou au contraire son alacrité à les réhabiliter, constituent une illustration du primat kleptocratique de l'intentionnalité pratique des hommes politiques africains. Dans un tel contexte éthique et politique voué à la corruption, au pillage, au népotisme et au régionalisme, force est de constater que le nord et le sud du Nigéria sont sur la même longueur d’onde. Boko Haram, sous les dehors d'un combat religieux et éthique visant à substituer la charia à la constitution séculaire, la culture islamique à la culture occidentale, au risque de la scission nationale, ne vise en vérité que le retour du pouvoir politique dans le giron régionaliste du Nord. Ce serait alors à leurs yeux un juste retour des choses car sur 55 ans d’indépendance, le Nord a détenu le pouvoir présidentiel pendant près de 40 ans ! Et en dépit de ce déséquilibre en leur faveur, les Nordiques, très imbus d’eux-mêmes et affectés du complexe de la race politiquement élue, n’envisagent la paix que dans la seule hypothèse d'une détention permanente du pouvoir d'État. Détention qui permet d'avoir la haute main sur les ressources nationales, de les piller sans merci, de s'enrichir personnellement et d’imposer un rapport d'injustice qui consacre de fait un apartheid politique et économique, l'oppression d'une partie du pays par l'autre, et l'accaparement des ressources d'une région par des gens originaires de la région opposée. Telle est la condition ultime à laquelle Boko Haram entend déposer les armes. Telle est aussi la raison pour laquelle ces fous assoiffés de sang et de meurtre commettent chaque jour des actes de barbarie plus ou moins ciblés dans le but de rendre le Nigéria ingouvernable et de montrer à la face du monde que le sudiste chrétien qui le gouverne actuellement en est indigne, menacer de briser l’œuf que la nation désire, si on n'est pas celui qui la tient dans ses mains, tel est le chantage mâtiné de folie furieuse du groupe Boko Haram. D'un côté les tenants du Nigéria uni se recrutent parmi ceux qui s’honorent de sa grandeur démographique illusoire, de ses richesses économiques et minières communes, de son étendue et de la fierté qu'ils en tirent en tant que citoyens ou dirigeants dans le concert des nations ; certains aussi tiennent le flambeau de l'unité par fidélité morale au sacrifice de ceux qui sont morts dans cette grande idée panafricaine. Mais de l'autre côté, d'autres ne voient dans cette unité que le moyen de résoudre leurs frustrations politiques et économiques, leur complexe de race politiquement élue. Les premiers, chantres d’un nationalisme aveugle, dans un optimisme passablement égoïste s'accommodent de sacrifices de plus en plus lourds pour les Nigérians, sacrifices passés en perte et profit d'ambitions personnelles ou de fantasmes de grandeur, tandis que les autres, dans une morbide violence, prennent en otage la paix et la sécurité collective sur fond d’une orgie de barbarie et de crimes inhumains.
Mais les tenants de l'unité nigériane, le pouvoir central, comme leurs opposants radicaux et anticonstitutionnels ne visent en vérité que le même but : l'accession au pouvoir et/ou sa conservation à perpétuité. Dieu sauve le Nigéria !
Adenifuja Bolaji
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