Abdoulaye Bio Tchané a beau être “posé” et pas “impulsif”, ( sous-entendu tout le contraire de Yayi Boni) comme ses amis se plaisent à le décrire, il est quand même musulman et du Nord... Et quelqu’un devrait nous dire dans ce pays bénin et bizarre, pendant combien de temps encore la majorité des Béninois qui ne sont pas nordiques ni musulmans continueront à élire un président originaire du nord. Pendant combien de temps encore les Béninois se laisseront enfermés dans l’idée stupide que la politique ne commence que lorsque le Nordique minoritaire est en haut et le sudiste majoritaire en bas ? Dans le cas des piaffements agaçants de Monsieur Abdoulaye Bio Tchané qui pense que lui aussi doit absolument être président du Bénin, la chose est encore plus problématique. En effet, le Bénin n'a jamais connu de Président qui cumule la double appartenance nordique et musulmane. Les trois présidents élus du Nord étant tous de confession chrétienne avec des prénoms comme Hubert, Mathieu, Thomas, qui font liaison et sens sociologique avec le Sud chrétien et/ou animiste. Cette considération n’a aucune arrière-pensée encore moins intention d'exclusion basée sur la religion ; il ne s’agit même pas d’amener la question religieuse dans l’arène démocratique comme le fait sans état d’âme Monsieur Yayi Boni et ses amis évangélistes, qui valorisent le délire et les émotions religieux et invoquent à tout bout de champ le nom de Dieu. Non, il s'agit d'un constat sociologique factuel. Dans une démocratie digne de ce nom, la religion ne peut être considérée que comme une affaire individuelle. En politique, le sujet de la religion peut-être abordé en termes de sociologie politique des identifications religieuses. Et, de ce point de vue, même si les motivations des populations peuvent être considérées comme en conflit avec l'éthique nationale, leur réalité sociale agrégée reste agissante ; et le sociologue en les relevant ne fait œuvre ni d'apologie ni d’exclusion mais de sociologie. Pour le profane ou le militant, la question peut paraître choquante, mais pour exemple, ce type de question a été souvent posé dans un pays avancé comme la France où depuis la Ve République tous les Présidents sont de confession catholique. En 2002, même dans les milieux intellectuels, les observateurs les plus sérieux se demandaient si les Français éliraient un Président protestant, ce qui était le cas de Lionel Jospin. Cette question est donc bien fondée, au sens où Durkheim voyait dans la religion un délire bien fondé. Et elle se pose aussi avec la candidature de ABT. La question est d’autant plus pertinente qu'il n'a échappé à personne que la démarche de ABT est marquée au coin d'un mimétisme pour le moins troublant. Le Béninois qui s'honore d'être originaire de ce qu'on appelait jadis quartier latin – sans jamais questionner l'ambiguïté inhérente à cette qualité occulte – est imitateur né. C'est donc en bon Béninois que ABT se met en tête d'imiter Yayi Boni. Il est du Nord comme lui ; il est économiste comme lui ; il est fonctionnaire international de la finance comme lui ; et pour finir il est allé se mettre en embuscade à la tête de la BOAD, comme Yayi Boni avant 2006, dans l’espoir de lui ravir la place en 2011, mais le K.-O. électoral s’est imposé à lui comme à ses autres concurrents. Sans en démordre, et considérant que sa première candidature n’était qu’un essai, l’homme gesticule, piaffe d’impatience d’accéder à la magistrature suprême et tous ses faits et gestes semblent obnubilés par cette seule préoccupation. Pour lui et ses amis, la Politique c’est la présidence ou rien ! Dans l'espoir que les mêmes causes produiront les mêmes effets, les Béninois bavant sur l'idée de l'argent facile, et séduits par les banquiers qui les en arroseront, préfèreront lui, ABT le Nordique, parce que les Béninois ont déjà été conditionnés par l’évidence frauduleuse de la distorsion des mœurs identitaires quand il s’agit d’élire le président de la république. Parce que, contrairement aux nordiques qui n’élieront jamais un président du sud, les sudistes ne demandent qu’à élire un président du nord, parce que parmi les prétendants à des postes au sud pullulent un grand nombre de chacals prêts à tout pour atteindre leur but. Tout le monde en convient. ABT croit si fermement au charme des quatre ou cinq qualités que les Béninois selon lui recherchent dans le Président de la République, qu'il n'hésite pas à faire comme Yayi Boni. Or c'est justement là qu'intervient la question cruciale : les Béninois du sud continueront-ils béatement à assumer le consensus espiègle et pavlovien de la distorsion des mœurs identitaires quand il s’agit d’élire leur président ? Accepteront-ils, bien que majoritaires, de voter pour un président du Nord sachant maintenant ce qu’il en coûte ? Et plus important encore, pourront-ils massivement adhérer à la nouveauté d’un Président du Nord qui ne s'appelle pas Pierre, Paul, Mathieu, Hubert ou Thomas ? Accepteront-ils d’élire un Président musulman originaire du Nord qui s'appellerait Djibril, Moussa, ou Abdoulaye ? On nous dira que la question régionaliste ne doit pas être surestimée ou montée en épingle, et qu’après tout le président est élu au suffrage universel par des Béninois conscients et libres de leur choix. Mais la question va au-delà de l’élection, à supposer seulement que celle-ci chez nous ait jamais été libre et juste. Il s’agit avant tout d’un syndrome de distorsion patiemment et empiriquement naturalisé. Quand les jeunes cadres de l’armée, qui étaient tous dans leur écrasante majorité sudistes ont fait un coup d’état en 1972 ( ils s’appelaient Assogba, Alladayè, Aïkpé, etc…) qu’est-ce qui les a poussés à remettre la direction de leur action à un homme du Nord ? Parce qu’ils avaient le sentiment que la politique au Bénin, la vraie, l’authentique ne commence que lorsqu’un Nordique est devant. C’est ce syndrome-là qui a caractérisé et caractérise le choix du président du Bénin, que ce soit par élection ou par imposition. Et, parlant d’élection, comme l’a dit Monsieur Albert Tévoèdjrè qu’on ne peut taxer de néophyte ou d’ignorant en matière des magouilles qui plombent la vie politique nationale au sommet, les élections au Bénin sous le Renouveau ont toujours été frauduleuses, et relèvent d’une combine tarifée entre ses organisateurs dont les institutions clé sont la CENA et la Cour Suprême. Qui a la CENA et la Cour Suprême a la Présidence. Au regard de cette évidence, les gesticulations et piaffements d’impatience de Monsieur Abdoulaye Bio Tchané sont doublement obscènes. Ils sont obscènes, parce que selon le principe qui gouverne les votes dans un pays, si celui qui est minoritaire s’agite plus que de raison, c’est qu’il sait pouvoir subvertir ce principe. Ils sont obscènes aussi parce que, même si le Nord et le sud étaient démographiquement à égalité, vu le nombre de fois qu’en cinquante ans d’indépendance la présidence a échu au Nord, une certaine décence voudrait que les Nordiques fassent profil bas et place au Sud au niveau présidentiel. Ce fairplay n’est pas que justice régionale, mais c’est aussi justice démocratique pour autant que le régionalisme continue dans le fond à gouverner nos mœurs politiques. Pour un Président originaire du Nord, le fait d’être chrétien et d’en porter le prénom a servi jusqu'ici comme trait d’union avec le Sud chrétien. Dès lors demander aux Béninois d’élire un Président du Nord de confession musulmane, n'est-ce pas trop demander au Sud majoritaire et majoritairement chrétien ? N’est-ce pas pousser le bouchon de l’indécence un peu trop loin ? Abdouramane Boukari |
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