I. Elément d’Identification et Circonstance de la Sorcellerie 1. Le sexe de la victime, son âge, et son insertion sociale ; c’est une nonagénaire au teint foncé, portant le kolà, les cicatrices tribales yoruba, qui réfèrent son extraction plébéienne et traditionnelle. 2. L’heure de l’événement entre chien et loup, l’aube ou le passage de la nuit au jour, de l’obscurité à la lumière. 3. Un récit de jonction entre deux espace : l’arrière pays Oyo et Lagos, qui est aussi l’équivalent de la transition entre le jour et la nuit. Elle est partie de nuit d’Ibadan et est surprise par le jour à Lagos, figurant le pole de la modernité et du jour. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’elle tombe sur la camionnette de la Compagnie Eko Electricity Distribution, ce qui est un clin d’œil à la thématique de la lumière. II. Forme du récit 1. Il s’agit d’un récit rapporté. Le journal qui informe de l’événement n’a pas recueilli les informations du témoin numéro un qu’est la dame elle-même. Mais ceux qui parlent sont de prétendus témoins, et la police 2. Les niveaux illocutoires socialement adaptés On constate que la foule a pu identifier en la dame une sorcière, et elle-même a avoué sur le champ qu’elle est sorcière. Mais pour qu’elle se confie à fond, il faut qu’elle se retrouve devant une instance adaptée. Pas devant la police, puisque la police ne sait pas traiter ni répondre des cas de sorcellerie ; mais elle parlera devant le Baalà qui, en raison de son insertion dans le système traditionnel, a une oreille plus adaptée à ce genre de confidence. Devant le baalè, la présumée sorcière avoue le crime idéal d’une femme aux prises avec des hommes : le meurtre mystique de son mari. 3. La Réalité La voix de la rationalité à la fois administrative, moderne et scientifique passe par la police qui dit n’être intervenue que pour protéger la vieille femme contre la justice spontanée de la foule autonome, vue que la sorcellerie n’est pas répertoriée parmi les crimes rationnellement définis. Dans une société moins ambiguë et plus tournée vers les lumières, cette femme n’aurait été qu’une solitaire atteinte d’une maladie de la mémoire en raison de son âge avancé. Et elle aurait été orientée vers un hôpital pour être soignée Mais en Afrique, la sorcellerie a bon dos : elle explique tout un pan nosologique dont la nomenclature et la notion sont rudimentaires sinon inexistantes ; elle explique aussi les morts, vu que personne chez nous ne meurt de sa belle mort. Ainsi va le réalisme magique sous nos tropiques, dans sa naïve défiance des normes scientifiques ordinaires. Binason Avèkes |
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