Quand on voit les élections se dérouler normalement dans un pays comme la France, et un président “bling bling” sortant les perdre au profit d’un président “normal” sans qu'il y ait tremblement de terre, on est quelque peu navré pour ce qui se passe en Afrique. Notamment en Afrique francophone où la France est censée, à défaut de modèle, servir d’exemple. Ici on ne voit ni holdup, ni LEPI truquée, ni CENA tripatouiller les chiffres ; aucune Cour Constitutionnelle instrumentalisée ni partisane, et aucun milliard dépensé pour acheter les votes des citoyens encore moins la conscience des responsables des instances organisatrices ou juges de la validité des résultats électoraux. Circulez, nous sommes en véritable démocratie. Et pourquoi en Afrique, et plus particulièrement chez nous dans ce pays bénin, au lieu de cette simple vérité, ce fonctionnement conforme à la justice, au droit, mais aussi à l'éthique on a eu en mars 2011 un galimatias de tromperie, de corruption, d'achat de conscience, de désordre savamment organisé et d'instrumentalisation tarifée de la Cour Constitutionnelle, appelé holdup électoral ? Holdup qui pour la première fois dans l'histoire de notre jeune démocratie sinon de notre pays a produit ce qu'on a appelé K.-O. !
Des raisons diverses peuvent expliquer ce triste fiasco, c'est la façon qu’ont nos roitelets imbus d’eux-mêmes de s'estimer irremplaçables, et de confondre République et autocratie à vie ! De faire flèche de tout bois pour conserver le pouvoir, à leur région, à leur ethnie sinon à leur maison, à leur famille. À commencer par le fait de piétiner les règles élémentaires qui régissent la démocratie et la justice dans une société digne de ce nom. Parmi ces raisons, nous aimerions examiner ici celles qui sont d'origine éthique. Car en Afrique, la gravité de nos enlisements, de nos conflits et finalement de notre sous-développement vient du peu de cas qui est fait de la dimension éthique en politique.
1. La conception politique de M. Yayi. L'homme qui réalisa le curieux K.-O. et que l'histoire rendra responsable de ce coup de force, qui consiste à imposer le fait accompli de son idiote volonté à coups de dizaines de milliards détournés de leur but, cet homme n'a jamais fait de politique avant 2006. Il n'a jamais avant cette date exercé de mandat électif. Il était apparu dans l'opinion en surfant sur l'idée d'un consensus aussi immoral que frauduleux, résumé par l'équation : Banquier-docteur en économie = gestionnaire politique compétent. Le poste de directeur de la BOAD où il s'était retranché a servi de tremplin à son ambition présidentielle, parce qu'il était auréolé de l'image de la richesse qu'on croyait contagieuse, du sérieux de l'économiste qu'on croyait averti, et de la notoriété du docteur qu’on supposait éclairé. Mais tout cela était approximatif, tendancieux et même fondamentalement dérisoire sinon douteux. Du coup, le novice sinon l'intrus en politique, par manque d'expérience ne peut que se réfugier dans sa représentation idiote de la chose politique, ses prénotions érigées en savoir secret, ses préjugés tenus pour de la science infuse. Conception naïve qui considère la politique comme une somme de pratiques axées sur le rapport de force brute, et comprenant le trucage, le donner à croire, la manipulation, le clientélisme, le fait accompli et bien sûr la corruption. À l'appui de cette conception où le pragmatisme machiavélique est instauré sans état d'âme, il y a surtout le caractère de l'homme, sa psychologie. Pour des raisons liées à ses origines tribales, la mobilité sociale intergénérationnelle dont il a bénéficié n'efface pas la douloureuse mémoire des origines sociales et du parcours personnel. Ces deux aspects conjugués ainsi qu'une sensibilité personnelle, expliquent l'orientation complexée de la personnalité. D'où, une fois devenu président, la difficulté de se voir ailleurs qu’au sommet du pouvoir où on est parvenu. Une certaine surdité éthique conduit aussi en matière politique à faire flèche de tout bois dans l'idée cynique que, là plus qu'ailleurs, la fin justifie les moyens.
2. L'amour du pays. Cette représentation de la politique va de pair avec la certitude que le régionalisme est son essence. Pour quelqu'un qui a bénéficié du soutien d'une partie non négligeable de la majorité sudiste du pays, camper après-coup l'attitude de l'homme d'une ethnie ou d'une région n'est pas seulement de l'ingratitude amnésique, mais confine au mépris régionaliste de ses bienfaiteurs politiques, réduits au rôle d’instruments et de clients électoraux. Mais la posture régionaliste délirante campée par le héros politique de 2006 pose le problème de l'amour du pays. Comment peut-on parler de l'amour du pays lorsque tous nos actes, nos décisions et positions suintent du régionalisme le plus délirant ? Au mieux, dans la bouche d'un président régionaliste, l'amour du pays se confond avec l'amour de ce que le pays a fait pour soi. L'amour du pays n'est qu'une invocation instrumentalisée. Ce pays qu'on dit aimer est d'abord et avant tout celui dont on a bénéficié des bourses quand on était étudiant ; c'est ce pays dont on a été le représentant dans les organismes internationaux notamment la BOAD qui a servi de promontoire au success-story de 2006. C'est l'amour que l'on a pour la poule aux œufs d’or, la vache à lait. En dehors de cette nation égocentrique, l'amour du pays est plus tribaliste, au mieux régionaliste qu'autre chose. Comment saurait-il en être autrement lorsque dans la pratique, le centre de gravité historique, sociologique, démographique, infrastructurelle et économique du pays se confond avec le Dahomey ? L'amour du pays renvoyant aussi à la cohésion nationale, à la paix, au refus de mise en danger de la paix, à sa préservation, comment un homme qui aime vraiment son pays pourrait se permettre de tourner en bourrique un nombre considérable de ses concitoyens, réaliser un holdup politique électoral et confisquer dans l'injustice la plus scandaleuse le pouvoir sans redouter une explosion populaire, une révolte qui conduirait à la guerre civile ? Le seul soutien de la Françafrique n'explique pas cette superbe ni cette audace aveugle. La véritable raison est simple. Celui pour qui la nation se limite à une commune ou à une région n'a pas peur de la guerre civile surtout si le théâtre de cette guerre éventuelle n’est pas sa région; dans le cas du Bénin, la terre brûlée sera essentiellement une terre à laquelle le régionaliste ne s'identifie pas. Dans le même temps, M. Yayi, en est si persuadé qu'il peut parier sans hésiter sur l'amour du pays chez ses adversaires. Qui accepterait qu'une guerre embrase sa propre maison, fût-elle légitime ? C’est fort de ce chantage à l'amour du pays chez ses adversaires, dans un contexte où lui-même en est logiquement dépourvu, que M. Yayi peut se permettre de faire tranquillement son hold-up sans souci de ce qu'il en adviendrait.
Au total voilà explicitées à grand trait les deux sources éthiques du holdup de mars 2011 au Bénin, organisé par M. Yayi et sa clique de sodomites politiques. Ce n'est pas faire une fixation sur un événement considéré comme passé ; ce n'est pas vouloir ne pas avancer que de rappeler et de rendre raison de ces anomalies qui hantent la vie politique de nos nations en Afrique et qui sont d'autant plus récurrentes qu'elles sont vite oubliées et tenues pour allant de soi. Quand on voit que ceux qui sont censés être nos exemples sinon nos modèles organisent des élections que peut perdre un président sortant, on ne peut pas ne pas questionner les raisons de toute cette violence symbolique qu'exercent nos dirigeants pour s'accrocher au pouvoir et imposer de la démocratie une conception théâtrale qui est l'une des raisons de l'arriération permanente de l’Afrique dans le concert des nations.
Aminou Balogun
p1:11/5/2012
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