Quelque part, considéré du point de vue langagier, la France a intérêt à ce qu'il y ait de la tension sociopolitique chez nous. Car, comme on peut le constater dans les média avec ce qui se passe au Bénin depuis plusieurs semaines, plusieurs mois, la tension sociopolitique va de pair avec la levée de flèches et de boucliers rhétoriques, la logomachie, l'escrime verbale, l’échange de mauvais procédés, de brûlots croisés où chacun s'efforce d'étaler à longueur de pages ou d’articles la finesse de son verbe, la correction poussée de sa grammaire, la subtilité originale de ses trouvailles, et la richesse de son vocabulaire français. La langue du blanc est posée comme l'étalon de l'intelligence, et cette intelligence-là comme le critère suprême du vrai. Mieux on la parle plus on se sent dans le vrai. Son brandissement sibyllin n'a ni la même valeur, ni la même portée que parler le fon, le goun, le yoruba ou le dendi, toutes langues bien de chez nous pourtant. Il suffirait par exemple d’exiger que tous ces belligérants armés de rhétoriques françaises, et de citations éculées de Voltaire, de Rousseau, de Molière ou je ne sais quel philosophe ou écrivain français rétamé, arrêtent leur petit jeu d’enfant aliéné par l’histoire involontaire de la colonisation mentale et s'expriment en fon ou en yorouba pour qu'il y ait ipso facto cessez-le-feu.
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Cela leur coupera la chique au quart de tour. Nos rhétoriqueurs zélés et nos niqueurs de mots remiseront leur toge doctorale au vestiaire de la lassitude. L’inspiration et la motivation auront du plomb dans l’aile. La guerre du verbe n'a de sens pour les nôtres que dans la langue du blanc. Sortie d’elle point de salut ! En somme dans sa traduction polémique et littéraire, la tension sociopolitique chez nous correspond à l'éloge du français, une contribution formidable à la vie de la francophonie, qui selon notre blême ethos, correspond à un mépris larvé de nous-mêmes. Dans ces conditions, quelle aubaine pour la France que les Africains vivent à demeure dans la tension sociopolitique !
Éloi Goutchili |
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