Il y a beaucoup à dire sur la traite des Noirs, du point de vue africain. Beaucoup à dire sur la morale héritée de cette histoire de violence, lorsque l'on sait par exemple qu’à Ouidah, un grand esclavagiste brésilien s'est vu ériger une statue sur une Place portant son nom, qu'on aurait pu aussi appeler Place de l'impunité. Je veux dire cette impunité qui nous hante maintenant et qui va certainement nous précipiter dans la déconfiture sociopolitique, le chaos. Il y a à dire aussi sur le maniement des symboles au service de la traite négrière. Par exemple, il est pertinent de mettre en rapport une institution comme le sacrifice humain et l'économie politique et symbolique de la traite. Au-delà du rôle de messager que l'on attribuait aux victimes, les sacrifices humains étaient l'indice de la réification de la vie humaine et une manière d'en assurer la valeur marchande pas élimination des rebuts. C'est aussi une violence symbolique visant à terroriser les victimes, et mettre le risque de mort en balance avec les velléités de révolte. Enfin, les symboles peuvent être aussi mis en rapport avec la recherche d'une certaine paix de la conscience individuelle et collective du côté des esclavagistes et de ceux qui en Afrique vendaient leurs semblables qui avaient le tort d'être des captifs de guerre ou des razziés. Sinon, considérant deux cités phares de l'esclavage qu’étaient Ouidah et Badagry, comment comprendre que les rituels de transfèrement des esclaves outre-mer en arrivent à se ressembler à ce point et à se compléter dans leur fonction ? À Ouidah, nous avons l'arbre de non-retour autour duquel les esclaves devaient tourner un certain nombre de fois et on espérait que dans le tournis qui en résultait, ils allaient perdre toute mémoire, tout sens de leurs origines et de leurs personnes, qu'ils seraient réifiés à jamais ; et que, morts, leurs âmes ne reviendraient pas tourmenter ceux qui, avant de les envoyer ad patres, les ont envoyés outre-mer, loin, très loin de leur terre natale. À Badagry, à défaut d'arbre de non retour, on obtenait le même tournis d'amnésie en faisant boire les esclaves dans un puits dit d'atténuation de l'esprit des esclaves. Ce puits étaient situé à un en droit appelé le point de non-retour. Une fois que les esclaves avaient été forcés à boire l'eau de ce puits situé, on estimait qu'ils avaient perdu toute mémoire et que leur transfèrement outre-mer était sans conséquence, que leurs âmes ne reviendraient pas hanter leurs cruels violateurs. Mais comme on le voit, à travers la survivance têtue des cultures africaines dans leur pays d'arrivée--Brésil, Cuba, Haïti, États-Unis, etc.--les esclaves ne perdaient pas la mémoire. Ces rituels faisaient partie de l'économie politique et symbolique de la traite des Noirs.
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.