Devant les délégués et militants du PRD réunis à leur récente université de vacances, la ministre Fatouma Djibril, originaire du Nord, qui avait dû faire le forcing pour prendre la parole, après un long discours à visée dithyrambique sur l'œuvre de son chef, en vient à parler régionalisme. Elle expliqua que le régionalisme était une vue de l'esprit des hommes politiques, à mille lieues de l'esprit des peuples, qui, au Nord comme au Sud, ne cherchent qu'à mieux vivre. Et pour illustrer son propos, après avoir rappelé que le sud était de loin plus peuplé que le Nord, elle demanda : « Mais comment peut-on parler de régionalisme du Nord alors que ce sont les gens du sud eux-mêmes qui élisent les présidents du Nord ? » Alors la question souleva un torrent d'applaudissements. La ministre était surprise de cette approbation inattendue de la part d'un auditoire qui jusque-là bâillait ou brayait à l'écouter. Mme Fatouma Djibril devait se demander sans doute si elle était bien comprise ou pas. Quelle ironie cachait l'approbation tapageuse des propos de la ministre ? Et si ironie il y avait était-elle de mise ? À n'en pas douter, il y avait moins d'ironie que de fierté mal placée de la part de ces gens du sud pour la plupart. Fierté de se dire : « c'est nous qui vous avons fait… » Ce qui suppose que dans un premier temps, ce “nous” s’affirme sudiste ; or s’affirmer sudiste n'est pas moins régionaliste que de refuser d'élire un président du sud lorsqu'on est du Nord. De tous les pays de notre sous-région du golfe le Guinée qui partagent la même structure géographico-culturelle consacrant le clivage du Nord musulman sahélien et du Sud forestier/ côtier et chrétien, le Bénin est le seul pays où les gens d'une région donnée élisent massivement et régulièrement un président d'une autre région ! Ça ne se passe pas au Togo ; ça ne se passe pas en Côte d'Ivoire ; ça ne se passe pas au Nigéria ; et même au Ghana où récemment ça s’est passé, ce fut à la fois de justesse et de façon contestée. Alors qu'au Bénin c'est avec alacrité et massivement que les sudistes élisent le président du Nord. Depuis notre indépendance en 1960 cette aberration a déjà eu lieu au moins cinq fois sur six élections : Maga a été élu une fois ; Kérékou a été élu deux fois ; Yayi Boni s'est fait élire deux fois (même si la dimension frauduleuse de telles élections ne doit pas être sous-estimée à la fois dans le cas de Kérékou et surtout lors des dernières élections de mars 2011 prétendument remportées par Yayi Boni). Car, qu'il y ait fraude ou pas, ce qui est frappant au Bénin c'est surtout la naturalisation de la vraisemblance du schéma. Ce qui est inconcevable ailleurs devient non seulement possible chez nous mais est naturalisé. Et la question qu'on se pose c'est de savoir pourquoi les populations du sud mettent-ils un point d'honneur à écarter un des leurs et à lui préférer quelqu'un d'une autre région ? Ce qui fait la substance de la libido politique de la plupart des peuples de notre sous-région et d'une manière générale des peuples du monde entier fait défaut aux Béninois du sud. Par exemple si au niveau de l'Union Européenne, il devait y avoir l’élection du président au suffrage universel, et à supposer le cas où un Français serait en lice contre un Allemand, ne serait-il pas aberrant de voir que la majorité des Français choisissent massivement le candidat allemand en lieu et place de leur propre compatriote ? Or c'est ce que font d'une certaine manière les Béninois du sud avec une invincible alacrité et une troublante fierté. Cet attachement à soi-même qui est la base de l'instinct politique intériorisée des peuples, la dimension spéculaire de la représentativité est soudain chez le sudiste béninois anéanti, méprisé et inexistant. Pourquoi sommes-nous capables de nous placer au-delà du tropisme du désir de nous-mêmes pour concevoir un au-delà de nous-mêmes dans lequel nous plaçons à la fois raison et espérance ?--Raison nationale, espérance de prospérité. La question n'est pas anodine. Au contraire elle pourrait contenir la clé de tous nos problèmes d'aujourd'hui (régionalisme, régression économique, misère sociale, crise politique, affaires d'empoisonnement et coup d'état etc. etc.) Parce que si selon cette logique obscure, on n'était pas allé chercher un homme inconnu qui nous ressemblait moins qu'un autre que nous connaissions mais que nous avons mis un point d'honneur à rejeter passionnément, nous ne serions pas dans cette panade aujourd'hui. Les Béninois du sud doivent vraiment arrêter leur dérive antisociale et anti-communautaire, anti-identitaire pour reconnaître la bêtise et l'extravagance de leur inclination centrifuge ; de leur haine de soi. Car l'amour de l'autre n'a pas de sens si nous ne savons pas, si nous ne voulons pas nous aimer nous-mêmes, ou si nous nous complaisons dans le refus d'aller vers nous-mêmes. Souvent nous tirons partie de l'histoire pour justifier notre posture et nos choix. Tel dira que les ancêtres de tel étaient vendeurs d'esclaves ; que les ancêtres de tel autre étaient cruels dans le temps et pour cela on ne saurait faire cause politique commune avec lui aujourd'hui. Mais comme le dit le proverbe, le diable que nous connaissons vaut mieux que l'ange que nous ne connaissons pas. Du reste les gens qui manient ces justifications démagogiques, ceux qui instruisent le procès de l’amour de soi en se fondant sur des attendus historiques sont ceux-là seuls qui en tirent profit. Et ce qui est perdu dans le développement d'une telle culture du rejet de soi est plus grand que ce qu'on croit y gagner. Pour un Talon ou un Tévoéjrè, un Zinsou, ou un Ajavon qui ont manipulé ces idées de la haine de soi à leur profit, combien en sont heureux aujourd'hui ? Combien parmi eux ont la conscience en paix aujourd'hui ? Comme tout corps biologique, social humain, le Bénin ne peut être uni et prospère que si ses parties se reconnaissent et se consolident comme telles avant de s'unir comme un ensemble cohérent. Tant que nous continuerons au sud à cacher notre haine, nos jalousies, notre manque de solidarité viscérale, de cohésion et d'amour de nous-mêmes derrière des justification de façade, ou des protestations d'amour envers les autres, eh bien le Bénin continuera sur cette voie vicieuse de déconfiture dans laquelle il se trouve ; et nous en serons les premiers responsables !
Prof. Batonon Anselme
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