Avez-vous constaté que ce film a quelque chose de spécial ? D’un bout à l’autre, il se déroule dans la langue edo. C’est que ce peuple à qui nous autres du Bénin devons notre nom aujourd’hui reste fidèle à ses valeurs. Ce qui est loin d’être notre cas au Bénin. A cause de notre ascendance francophone, nous sommes conditionnés à nous éloigner de nous-mêmes, et ne sommes heureux que lorsque nous parlons à tout bout de champ – même mal – la langue du Blanc. Et pourtant, notre situation de colonisé comporte en soi une richesse : les blancs ne connaissent pas notre langue mais nous connaissons la leur. Cette situation aurait dû être une situation d’enrichissement mais à condition qu’elle ne nous impose l’exclusivité de l’utilisation de la langue des blancs dans le mépris et l’abandon des nôtres. Ce travers est typiquement francophone, et découle de la philosophie d’assimilation. Les Anglais respectaient beaucoup leurs colonisés et sont trop pudiques pour aller jusqu’à remplacer l’usage des langues autochtones par l’usage exclusif de leur langue. Le résultat est là : accablant pour nous autres francophones béninois, qui tenons nos langues pour quantité négligeable, qui semblons presque nous excuser de l’utiliser parfois, et qui ne sommes jamais heureux et fiers que lorsque nous parlons la langue du blanc ou entrelardons nos parlers de ses mots et expressions. ça s’appelle l’aliénation mentale, source de notre léthargie, de notre appauvrissement mental et matériel. Quand vous regardez les rares groupes comiques ou théâtraux qui existent au Bénin, comme le groupe Semako, on se rend compte qu’ils n’ont pris aucune position claire par rapport à l’usage de leur langue, la langue fon. Ils sont comme déchirés sur la question, oscillant entre le français, le fon ou un mélange des deux, comme si la création théâtrale ne relève pas d’une création endogène consciente d’elle-même et de son acte. En revanche, au Nigeria anglophone d’à côté, il en va autrement. Les créateurs régionaux parlent et créent sans complexe dans leur langue et ne s’en portent pas si mal. Ce qui n’empêche pas les créations en langue anglaise lorsque nécessaire ; chaque œuvre ayant son scope et ses objectifs. Il est vrai aussi que le Bénin est presque nul dans le domaine de la culture et que, de la littérature au cinéma en passant pas les œuvres vidéo, nous n’en sommes même pas encore au niveau de balbutiement. C’est inénarrable le retard, ou plus exactement le vide que nous accusons dans ces domaines de la culture, sans laquelle pourtant une collectivité humaine, ne réfléchit pas et ne se réfléchit pas… Alors, toutes sortes d’arguments peuvent être avancées pour justifier à la fois le vide béninois et surtout l’aliénation linguistique qui a la faveur des rares créateurs béninois. On dira par exemple, si on considère des locuteurs de la langue fon, la langue parlée par le plus grand nombre de Béninois, que le nombre critique de tels locuteurs est en deçà du seuil de rentabilisation des œuvres. Raisonnement faux ! Au Bénin le nombre de locuteurs fon-goun-mina est au moins 5 millions ! Et cela suffit largement pour rentabiliser les créations. En pays Edo dont la capitale est Bini-City, la population totale est de 3, 5 Millions, et pourtant les œuvres théâtrales, littéraires et vidéo en langue edo se comptent par milliers ! Non, il n’y a pas d’échappatoire à notre misère culturelle. La comparaison avec le Nigeria et dans le Nigeria avec la culture Bini est à dessein. D’abord parce que le Nigeria est un pays voisin, et nous sommes à peu près les mêmes peuples ; et d’autre part, la politique a voulu que nous devions notre nom à la prestigieuse histoire du Bénin. Et pourtant que de divergence ! Il est temps que nous prenions conscience de notre aliénation francophone, source de notre misère culturelle, et peut-être de notre mort assurée ! Si nous sommes un peuple vraiment indépendant, nous devons savoir que nous n’avons pas besoin de demander la permission à la France avant de nous mettre à faire un usage libre de nos langues nationales, dans nos créations culturelles et littéraires ! Benson Agbenodion |
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