Depuis le mois de juillet, au Bénin une initiative défraie la chronique sous le nom du Mercredi rouge. Il s’agit d’une forme de protestation pacifique qui exprime le mécontentement de ses participants vis-à-vis du gouvernement. En tant qu’événement politique, cette initiative est située dans le temps et l’espace, pour autant elle n’est pas isolée de tout corollaire et est loin de constituer une spécificité béninoise. Pour mieux comprendre le mercredi rouge, nous proposons d’aller à ses origines dans le temps et l’espace. I. Les Chemises Rouge, un symbolisme négatif sous la Révolution en France et avec les ennemis des Droits civiques aux Etats-Unis au 19ème siècle 1. L'affaire des chemises rouges en France Il s’agit d’un évènement de la Révolution française au cours duquel 54 personnes furent jugées, condamnés à mort et exécutés sur décision du Comité de sûreté générale, pour atteinte à la sureté de l'État mais sans que leur culpabilité ait été formellement établie. Le 29 prairial an II (17 juin 1794), 54 personnes furent condamnées à mort sous le prétexte d’avoir voulu attenter aux jours de Robespierre et Collot d'Herbois. Pour l’occasion, on les revêtit, avec de la toile de sac, de « chemises rouges » - d'où le nom -, tenues d’infamie réservées jusqu’alors aux assassins et empoisonneurs. Ce traitement avait été réservé aux prétendus assassins de Léonard Bourdon à Orléans en 1793, puis à Charlotte Corday. Le procès des cinquante-quatre était l'aboutissement d'un montage politico-policier destiné à faire croire à l’existence d’une conspiration royaliste contre les « pères du peuple ». 2. Les Chemises rouges aux Etats-Unis 2.1 Agiter la chemise rouge de sang 2.2 Les Chemises rouges aux Etats-Unis Les Chemises rouges ou Redshirt du sud des États- Unis étaient des groupes paramilitaires blancs actifs à la fin du 19e siècle après la fin de l'ère de la reconstruction des États-Unis . Ils sont apparus dans le Mississippi en 1875, lorsque les unités de la milice privée du Parti démocrate ont adopté des chemises rouges pour se rendre plus visibles et en menaçant les républicains du Sud, aussi bien les Blancs que les Noirs affranchis. Des groupes similaires dans d'autres États ont également adopté les Chemises rouges . II. Le Symbolisme devient positif et romantique avec Garibaldi 1. La naissance des Camicia rosa avec Garibaldi, l'aventurier patrioteHéros de l’indépendance des peuples, Giuseppe Garibaldi était aussi un aventurier romantique. Très tôt impliqué dans les intrigues des défenseurs de la Jeune-Italie, Garibaldi se voit compromis dans une tentative de coup de main sur Gênes, ce qui lui vaut une condamnation à mort. Il se réfugie alors à Marseille avant de partir, en décembre 1835, pour l'Amérique du Sud. Au cours de ses treize années d'exil, Garibaldi épouse la cause des indépendantistes. Au Brésil, celui qui sera appelé le héros des deux mondes combat dans les rangs de la jeune République du Rio Grande do Sul (1836), puis en Uruguay contre le dictateur argentin Rosas (1841). C’est à ce moment là qu’apparaissent les Camicia rosa comme uniforme de ses combattants. Ce vêtement et cette couleur sont devenus par la suite les symboles de l'unification de l'Italie et même de l'émancipation des peuples. Toutefois, le choix du rouge pour l'uniforme garibaldien ne doit pas être confondu avec un quelconque symbolisme de gauche car il est un choix à la fois fortuit et pratique. C'est en 1843, que Giuseppe Garibaldi forme la légion italienne avec les immigrés italiens de Montevideo, pour soutenir la cause uruguayenne du général Rivera. Voulant habiller le plus économiquement possible sa légion italienne, Garibaldi, achète à prix réduit à une entreprise commerciale un lot de chemises rouges initialement destiné au marché de Buenos Aires alors fermé à cause du blocus : ces tuniques de laine rouge étaient à l'origine destinées aux ouvriers des abattoirs et saladeros argentins, leur couleur faisant moins ressortir l'aspect sanglant du travail, aussi Garibaldi pensait-il que les hommes de sa légion qui devaient faire face à une armée de 30000 hommes ne verraient pas leur sang couler. Cette légion se distingue lors de la défense de Montévidéo Les « chemises rouges » devinrent une légende et comme Garibaldi défendit partout la liberté et se battit contre les tyrans, on pensa qu’il y a avait un lien entre le rouge des chemises de ses combattants et le symbolisme du rouge propre à la gauche, or il n’en était rien. III. Chemises Rouge au 21 ème siècle Dans les Pays Émergents Le symbolisme des « chemises rouges » commence à prendre un usage et une signification strictement civile et politique avec les luttes démocratiques dans les pays émergents en Asie ou en Afrique, que cette émergence soit plus économique que politique comme en Thaïlande ou plus politique qu’économique comme au Bénin 1. Chemises rouges en Thaïlande, un mouvement né après le coup d’Etat de 2006Les « chemises rouges », c’est l’autre nom des sympathisants du Front uni pour la démocratie contre la dictature (UDD). Ce mouvement est apparu en 2006, à la suite du coup d’Etat militaire qui a chassé du pouvoir l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. Condamné par contumace pour corruption, le milliardaire est en exil depuis. Depuis les élections législatives de l'été 2011 qui ont donné la victoire au parti de la première ministre Yingluck Shinawatra, la Thaïlande a renoué avec une certaine stabilité politique. Après 2006, l'année du coup d'Etat militaire qui avait renversé le frère de Yingluck, Thaksin Shinawatra, le royaume avait connu une longue période d'instabilité, de désordres et de violence. Durant le printemps 2010, après des semaines d'occupation du centre des affaires de Bangkok par les "chemises rouges", affidées de Thaksin, le gouvernement d'alors donna l'ordre à l'armée de disperser la foule par la force. Les militaires firent feu contre les manifestants, provoquant un bain de sang. Entre le 10 avril et le 19 mai de cette année-là, 92 personnes seront tuées dans les affrontements entre forces de l'ordre et manifestants ; 1 800 autres seront blessées, certaines grièvement. Le surgissement du mouvement hétéroclite des "chemises rouges", qui ne sont ni communistes (dans leur écrasante majorité) ni forcément à gauche, a marqué un tournant en Thaïlande : majoritairement résidents des régions rurales les plus pauvres du pays, ces militants ont osé montrer leur hostilité aux élites, aux milieux d'affaires, aux militaires de Bangkok et, parfois, à la monarchie elle-même. Une première dans l'histoire du royaume qui en dit long sur la lassitude de beaucoup à l'égard de dirigeants prêts à jouer le jeu démocratique à la condition de conserver le contrôle des principaux leviers économiques, sociaux et politiques. La violence symbolique des manifestants en « chemises rouges », a été parfois à son comble. Les partisans de Thaksin Shinawatra, ex-Premier ministre en exil, ont répandu des centaines de litres de sang le 16 mars 2010 devant le siège du gouvernement d'Abhisit Vejjajiva, dont ils réclament le départ ainsi que la convocation d’élections législatives anticipées. Un bain de sang qui se veut « une offrande sacrificielle pour montrer notre amour à la nation », a proclamé Veera Musikapong un des leaders du mouvement. Il s'agit d'un rituel symbolique pour le moins étrange. Des infirmières volontaires ont prélevé du sang sur des milliers de manifestants, à raison de 10 cc par personne. Puis, « les chemises rouges » ont marché vers le siège du gouvernement avec leurs grosses bouteilles en plastique pleines de sang sur l'épaule. Une fois arrivés, les manifestants ont négocié avec la police anti-émeute qui protègent l'enceinte gouvernementale. Quelques-uns d'entre eux ont été autorisés à passer. Un brahmane, un prêtre hindouiste en habit blanc, a effectué une prière en brûlant des bâtons d'encens. Puis les manifestants ont versé le sang devant les grilles de la Maison du gouvernement. C’est une cérémonie symbolique destinée à maudire le gouvernement. Des manifestants expliquent qu'ils ne veulent pas verser le sang en exerçant des violences lors de confrontations avec la police. Ils préfèrent donner leur propre sang, un sacrifice, disent-ils, pour aider à rétablir la démocratie en Thaïlande. Cela ressemble à une manœuvre désespérée de la part des manifestants. Les leaders des « chemises rouges » semblent avoir épuisé toutes les options pour faire plier le gouvernement et le forcer à dissoudre la Chambre basse du Parlement.
2 Le Mercredi rouge au Bénin, une initiative feutrée et ambigüe La couleur et le vêtement rouges ont fait leur apparition dans le paysage politique du Bénin. Apparemment considéré par les médias et observateurs comme un moyen original de protestation, ce qu’on appelle le Mercredi rouge ne laisse pas d’emprunter sinon sa parenté du moins son inspiration aux mouvements similaires intervenus ailleurs et avant lui. Lancé le mercredi 17 juillet par le mouvement "Alternative citoyenne", porté notamment par MM. Joseph Djogbénou, Urbain Amegbédji, Ordain Alladatin, Joël Atayi Guèdègbé et Gaston Zossou entre autres, le "Mercredi rouge" souhaite réunir tous les mécontents du président Bon Yayi au pouvoir depuis 2006. Principal point de discorde : la réforme de la Constitution béninoise qui pourrait, selon les membres du mouvement, permettre au président sortant de se représenter pour la troisième fois à l’issue de son mandat en 2016 ; ou le cas échéant lui garantir l’impunité à la fin de son mandat, quand il sera devenu un citoyen ordinaire susceptible de répondre de son bilan lesté d’une kyrielle de scandales et d’affaires de corruption, dans lesquels sa responsabilité reste engagée. Jusqu’ici le mouvement s’est organisé principalement au travers des nouveaux média (Facebook, Blog, téléphone etc.). Et il a pris de l’ampleur, au point d’agacer le gouvernement béninois. Le mercredi 31 juillet, et le 1er aout, jour de la fête d’indépendance du Bénin, ils étaient plusieurs centaines dans les rues de Cotonou arborant T-shirt, casquettes ou autres objets rouges. Des manifestations strictement encadrées où plusieurs personnes ont été arrêtés pour trouble à l’ordre public, notamment l’ancien ministre de la Communication, Gaston Zossou, l’un des leaders du mouvement, dont le domicile avait été encerclé par les forces de l’ordre au matin du 1er aout avant son interpellation. Dans cette vague d’intimidation ou de dissuasion Me Zacharie Sambaou, un avocat au barreau du Bénin proche du mouvement « Alternative Citoyenne » a été interpellé. On aurait retrouvé dans son véhicule des affichettes portant la mention « trop c’est trop ». Accompagné du bâtonnier Me Cyrille Djikui, Me Sambaou a passé quelques heures au commissariat central de Cotonou avant d’être relâché. Dans leurs déclarations et pancartes les manifestants convergent tous vers la même inquiétude politique. Pêle-mêle on peut retenir : « Ne touchez pas à notre Constitution. Aujourd’hui nous avons besoin de régler d’autres problèmes, surtout les problèmes économiques de ce pays » ; « Nous sommes de rouge vêtu, parce que nous faisons partie de la couche de la population qui pense que cette révision n’est pas la bienvenue, raison pour laquelle nous exprimons notre désaccord » ; « C’est une sortie citoyenne. Nous n’avons pas d’armes, et notre stratégie est le port du rouge chaque mercredi. Frantz Fanon a dit que chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. Nous, nous avons décidé d’accomplir notre mission, parce que nous estimons qu’actuellement y a mieux à faire ». Apollinaire Gnanvi, membre d’Alternative citoyenne, estime pour sa part que le mouvement « Mercredi rouge » est un creuset de réflexion et d’actions. Tous ceux qui sont mécontents et qui ont des choses à dire par rapport la gestion du pays, doivent s’approcher du mouvement. Selon lui, le fait que la Police ait arrêté des jeunes est un contresens démocratique. « C’est un mouvement, et un mouvement ne s’arrête pas. » Et pourtant si le rouge du mercredi béninois n’a pas pâli, il ne brille pas de mille feux. Comparé aux autres mouvement similaires de par le monde et l’histoire, le mercredi rouge au Bénin semble bien tempéré dans sa forme et dans son expression pour ne pas dire timoré ou pusillanime. Il se veut simplement une façon d’exprimer le mécontentement et l’inquiétude d’une partie du peuple vis-à-vis de la politique du gouvernement ou des intentions potentielles de perpétuation au pouvoir du Président de la République. Mais, contrairement aux autres mouvements similaires qui ont agi sous d’autres cieux et en d’autres temps, le Mercredi rouge ne s’inscrit pas dans une logique de confrontation et ne pose aucune exigence politique. Fluctuante en fonction de l’actualité et des offensives du gouvernement sur le thème de la révision de la constitution, sa mobilisation a plus que faibli depuis le mois de juillet. Le mercredi rouge souffre du décalage existant entre ses intentions affichées et la réalité des objectifs de ses organisateurs occultes. Bien que le mouvement excipe de plus d’une raison de mécontentement vis-à-vis du gouvernement, il apparaît clairement que la véritable pomme de discorde reste la révision opportuniste de la constitution. Et cette opposition à la révision de la constitution fédère dans son mouvement à la fois ceux qui sont opposés au 3ème mandat de Monsieur Yayi en tant qu’il constitue un coup porté à la Démocratie, et ceux qui pressés de voir M Yayi Boni hors jeu pour reprendre leurs prérogatives et privilèges perdus sous son règne manipulent le mouvement à des fins personnelles sans aucun égard pour le principe fondamental du respect de l’esprit de la constitution qui est pourtant mis en avant On comprend qu’il soit de bonne guerre que le gouvernement ne croise pas les bras et tente à sa manière de s’opposer au "Mercredi rouge". Dans cet esprit de bras de fer politicien sous-jacent, les partisans de Yayi Boni ont répliqué en instaurant le mouvement du "Vendredi blanc", peu suivi pour le moment. Le ministre de l’Intérieur Benoît Dégla a déclaré que les "causes que défendent les initiateurs du Mercredi rouge sont non fondées" et a qualifié le mouvement "d’intoxication". Comme on le voit, le Mercredi rouge au Bénin n’est pas une génération spontanée, ni une idée originale, qui ressortirait d’un quelconque génie béninois. Avant lui, le symbolisme de la couleur rouge et plus particulièrement de la chemise rouge a existé et a sévi dans l’histoire politique et démocratique de différentes nations a travers le temps et l’espace, avec plus ou moins de détermination, plus ou moins de violence et de radicalité. Si la ressemblance la plus directe qu’évoque le mouvement béninois est avec le cas thaïlandais, qui correspond aussi à celui d’un pays émergent, il reste que cette ressemblance est purement formelle. Avec le Mercredi rouge du Bénin, nous sommes loin des chemises rouge de la Thaïlande, loin des centaines de litres de sang déversés devant le siège du Gouvernement, loin d’un phénomène de masse à caractère t sociologique, loin des dizaines de morts, et des cercueils rouges. Fidèle au caractère feutré de la protestation au Bénin, à la peur de la mort et du risque pour soi dans l’intérêt collectif qui caractérise le Béninois ; traduisant aussi la faiblesse du fait national et le relâchement sinon la nature embryonnaire du lien social, le mercredi rouge béninois marche sur des œufs, là où d’autres mouvements similaires ailleurs dans le monde et dans l’histoire n’ont pas hésité à les casser ou à les brouiller pour faire avancer l’histoire. Le mercredi rouge béninois a toutefois crée un style spécifique qui allie la temporalité cyclique de sa manifestation au symbolisme rhétorique de la couleur rouge. Gageons que cette spécificité pavera le chemin d’une imagination au service de la Démocratie béninoise Prof. Cossi Bio Ossè |
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