Tout le monde sait que la diplomatie internationale fonctionne selon un mode de communication dichotomique qui distingue pour chaque acte ses raisons officielles et ses raisons officieuses. Ce que nous pouvons aussi distinguer comme raisons affichées et raisons discrètes, à défaut de secrètes. La visite d'État du président ghanéen John Dramani Mahama au Bénin pour 48 heures n'échappe pas à ce schéma dichotomique. Officiellement, la visite du président ghanéen « s’inscrit dans la perspective du renforcement des liens d’amitié et de coopération stratégique entre les deux pays, notamment dans le secteur de l’énergie et de la lutte contre le chômage. » Elle vise, nous dit-on, à « renforcer le partenariat bilatéral entre le Ghana et le Bénin, dans le domaine de la fourniture de l’énergie électrique et du gaz, et partager les expériences en matière d’emploi des jeunes. » De fait, les premiers mots du président ghanéen ont été pour confirmer sa « volonté de cimenter les relations cordiales et fraternelles entre le Ghana et le Bénin. »… Voici pour ce qui est des apparences officielles. Mais en réalité et de façon plus discrète — une discrétion voulue plus du côté béninois que du côté ghanéen — , les raisons de la visite de John Dramani Mahama au Bénin sont d'ordre personnel et politique. Ces raisons sont liées à l'élection présidentielle de décembre 2012 au Ghana que John Dramani Mahama remporta non sans quelques remous, comme c'est souvent le cas en Afrique. On ne peut pas ne pas remarquer que la visite du président ghanéen intervient juste une semaine après la confirmation par la cour suprême du Ghana de son élection. Cette élection qui, en son temps, avait été fortement contestée en raison de l'écart étroit de vote entre les deux candidats et surtout en raison du soupçon de fraude et une certaine impréparation due à l'innovation technique du vote biométrique qui n'a pas été sans susciter quelques confusions. À l'époque, en sa qualité de président de l'union africaine, M. Yayi avait volé au secours sinon du Ghana du moins de son homologue ghanéen et, avec la spontanéité de son inculture protocolaire sinon de son mépris des procédures, s'était permis d'affirmer à la face du monde que l'élection était une réussite, sans doute et sans contestation sérieuse. Ce qui avait soulevé au Ghana l’ire de toute une section de la classe politique, notamment celle de l'ancien président John Kufuor. La colère suscitée par la prise de position de M. Yayi et son inconduite procédurale était semblable au tollé suscité quelques mois plus tôt au Bénin par M. Jonathan, lorsqu'il était venu appuyer de ses remontrances l'opération de holdup électoral en cours au Bénin en mars 2011. Donc en osant, en sa qualité de président de l'UA, apporter son soutien à la confirmation de l'élection chaudement contestée de M. John Dramani Mahama, Yayi Boni, en adepte des élections truquées, avait en quelque manière payé de sa personne. Plus de sept mois se sont écoulés après ce coup de pouce diplomatico-politique durant lesquelles la cour suprême du Ghana a planché sur la demande d'annulation de l'élection de John Dramani Mahama. Et le seul fait que la cour suprême du Ghana ait accepté la plainte de l'opposition et se soit penchée là-dessus prouve bien l'erreur formelle du président béninois, la maladresse de ses propos hâtifs et partisans, prononcés au mépris des règles de procédure et de convenance démocratiques.
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Dans l'examen final de la plainte contre son élection John Dramani Mahama a fini par avoir gain de cause. En vérité, et sans vouloir contester le verdict de la cour suprême du Ghana, il ne pouvait en aller autrement. Nul n'a jamais encore vu en Afrique des élections immaculées et non entachées de fraude ; et dans le cas ghanéen, l'opposition dirigée par Nana Akuffo Ado en avait relevé plus d'une qui étaient plausibles. Mais les sept mois de procédure ont consisté surtout en une durée d'intenses tractations politiques souterraines et de pédagogie d'accalmie des passions. Ce qui s'est joué au Ghana et qui s'est dénoué sous la forme heureuse — quoi que prévisible — de la confirmation de l'élection de John Dramani Mahama, c'est moins l'effectivité morale de la démocratie dans ce qu'elle implique de justice, de transparence, et d'honnêteté que la loi du fait accompli, la fameuse loi de la prépondérance du titulaire qui sévit toujours en Afrique en matière électorale. Et par-dessus tout ce que prouve la résignation du peuple Ghanéen, c'est moins sa confiance en la démocratie que le refus du désordre, du déchirement, de la guerre, bref sa volonté de continuer à asseoir les fondations de la nation ghanéenne. Ce choix est tout à fait à l'honneur du peuple Ghanéen qui, en attendant de trouver la formule improbable qui assure en Afrique l'honnêteté des votes, doit se contenter de vivre en paix, d'écarter les démons de la dissension et de la guerre. Mais pour M. John Dramani Mahama, le président élu et confirmé, l'illusion du jeu démocratique, du donner à croire que cela implique et sa mise en scène ne peuvent être prises qu’au premier degré : grande est sa satisfaction d'avoir recouvré la pleine quiétude de sa légitimité de président de la république. Et par son geste de premier voyage à l'étranger après sa confirmation, à qui d'autre voulez-vous qu’il témoignât sa gratitude sinon à son homologue béninois qui, en sa qualité de président de l'UA n'avait pas hésité à bousculer les convenances pour apporter sa douteuse contribution à la confirmation anticipée de son élection ?
Awuku Badmos
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