Supposons que dans un Conseil africain comprenant une demi-douzaine de Béninois, quatre Togolais une vingtaine de Nigérians, 12 Burkinabè, ainsi de suite, on veuille élire un représentant africain à un comité international quelconque. Supposons que dans la dernière phase des élections, les deux délégués africains en lice soient un Nigérian et un Béninois. Supposons que Burkinabés et Togolais décident de soutenir le candidat Béninois ; ce qui, si la discipline électorale prévalait, donnerait mathématiquement toutes ses chances à notre compatriote face au Nigérian. Supposons enfin-- dernière hypothèse et non des moindres dans cette série--supposons que parmi les six Béninois, quatre au lieu de voter pour leurs compatriotes, votent pour le candidat nigérian au motif que Béninois et Nigérians sont des frères et que, in fine, la victoire de l’un correspond à celle de l’autre… Au final, c'est le candidat nigérian qui sera élu et qui représentera l'Afrique au conseil mondial en lieu et place du Béninois qui au départ avait pourtant toutes ses chances. C'est ainsi que l'opportunité d'un Béninois, dans un geste de béninoiserie caractérisée, aura été ruinée par le choix de ses propres compatriotes. Ceux-ci pourtant avancent de bonnes raisons en apparence : la nécessité pour les Africains de regarder au-delà de leur appartenance nationale ; la nécessité de se sacrifier pour un autre Africain au-delà des considérations d'appartenance nationale. La supercherie et les anguilles sous roche de cette belle rationalisation n'apparaitront peut-être pas si l’occurrence de l’événement était unique. Mais qu'en serait-il si, depuis une cinquantaine d'années, dans le même Conseil africain, des Béninois, pas toujours les mêmes d'ailleurs, font échouer régulièrement un des leurs au profit d'un Nigérian, d'un Togolais ou d'un Burkinabé etc., en tenant toujours le même raisonnement ? La chose en deviendrait suspecte car, elle apparaîtrait alors grosse comme le nez au milieu de la figure. On saurait que derrière les belles raisons de l'identité africaine se cachent d'autres sordides raisons inavouables -- entre haine de soi, intérêts personnels et stratégies de corruption--qui sont à l'œuvre dans ce choix implacablement invariable. Transférez mutatis mutandis cette métaphore de politique internationale à l’échelle nationale et remplacez ONU par Présidence du Bénin ; nation par région, Nigéria par Nord, et Bénin par Sud, et vous comprendrez très clairement ce qui se joue dans la politique béninoise, notamment sous l'angle des élections présidentielles depuis 50 ans. La propension d'un certain nombre de sudistes à choisir un cheval nordiste et à mener bataille pour sa victoire. Tandis que les Nordistes les plus ordinaires, sans parler des plus influents, s'entendent solidairement et de façon disciplinée à soutenir l'un des leurs à l'élection présidentielle. Derrière l'attitude de ces ténors du sud, il vous apparaîtra clairement qu'il y a des raisons de haine de soi et surtout des stratégies de corruption, des motivations qui n'ont rien à voir avec l'intérêt ni de la région ni du pays et qui gouvernent leur choix. Comme il n'est pas bon qu’un Béninois refuse de faire élire un de ses compatriotes dans un Conseil africain et qu’il lui préfère un Nigérian ou un Togolais, il est aussi funeste que des Sudistes systématiquement cherchent à faire élire un Nordiste Président de la République dans un contexte où le primat du régionalisme reste agissant dans les mentalités et les pratiques politiques. Vous ne pouvez pas aimer l'Afrique si vous n'aimez pas votre nation. De même, comment pouvez-vous aimer votre nation si vous n'aimez pas la région dont vous êtes originaires ? La conséquence de cette stratégie anti-régionaliste apparaît au Bénin de manière ostensible depuis le second mandat de M. Yayi Boni. Que ce soit au travers de la catégorie de ceux qui prennent leur distance vis-à-vis du pouvoir, même si pour leurs intérêts personnels ils n'osent le dire ; que parmi le nombre de plus en plus grand de ceux qui sont épinglés dans la soi-disant lutte anticorruption, force est de constater que dans leur écrasante majorité, ils sont originaires du sud. Non pas seulement parce que le régime et son chef sont affectés d'un navrant tropisme régionaliste, mais parce que ceux qui sont touchés par la lutte anticorruption se recrutent avant tout parmi la horde bigarrée de ces profiteurs du sud dont la stratégie pseudo-républicaine de soutien à un président du Nord ne visait qu'à cacher une intention de profit personnel sinon un programme de pillage des ressources nationales. De Patrice Talon à Robert Dossou ; de Tévoédjrè à Houessou – le tout nouveau ex-directeur de la Sonacop--- les raisons de l'adhésion de ces hommes originaires du sud à un chef politique du Nord apparaissent a posteriori comme étant moins motivées par des considérations idéologiques ou intellectuelles d'ordre national que par l'intérêt personnel. Pour les uns, l'épilogue de cette stratégie égoïste passera inaperçu dans la mesure ou la rétribution de leurs services politiques est passée en pertes et profits des actions commanditées par le pouvoir lui-même. Mais pour les autres, comme le montre les différentes victimes des affaires de corruption qui éclatent ici ou là, les crimes commis, loin d'être directement commandités par le pouvoir, relèvent d'une entreprise personnelle. Cette différence de taille fait de ces victimes jetées en pâture à l'opinion des boucs émissaires idéaux, à l'heure où le pouvoir a besoin de justifier son échec. La raison pour laquelle les rescapés de la lutte contre la corruption se recrutent en quasi-totalité parmi les gens du sud ne provient pas du fait que les personnes originaires du Nord ne sont pas des corrompus ou ne seraient pas corruptibles. Comme l'a montré l'affaire de la fraude au concours du MEF, une ministre originaire du Nord est citée comme étant l'une des instigateurs haut placés de cette irrégularité scandaleuse. Mais la différence réside dans le fait que dans cette affaire aucune intention d'enrichissement personnel ou égoïste n'est à déplorer. Au contraire, il s'agit d'une corruption à motivation collective. Or si les hommes politiques du sud brillent d'entrée par leur bonne volonté anti-régionaliste, le couvert républicain sous lequel ils mettent en scène leur stratégie masque une volonté d'enrichissement personnel. Dans la corruption dont elle reste à répondre, Mme Kora Zaki le cas échéant roule clairement pour une région donnée, et pas pour elle-même en tant que personne. Aussi répréhensible que soit son acte, il reste qu'il a un côté altruiste et par-là même politique dans la mesure où il concerne une partie de la collectivité nationale. Mais dans les choix politiques qu’ils font, et une fois qu'il apparaît que la nation n'y a jamais aucun intérêt, au nom de quelle région, au nom de quelle collectivité des gens comme Patrice Talon, Robert Dossou, Albert Tévoédjrè, Expédit Houessou, Joseph Gnonlonfoun, et des dizaines d'autres de leur acabit adoptent les stratégies anti-régionalistes pseudo-républicaines qui sont les leurs ? Les milliards de M. Talon profitent à quelle région, à quelles collectivités sinon à lui-même et à sa famille ? Qui d'autre que M. Albert Tévoédjrè profite de la rente de situation que ses choix politiques abscons lui ont fait prendre constamment depuis au moins trois décennies ? Les gens qui ont pris des millions et des millions pour cautionner institutionnellement le K.-O. électoral de mars 2011, avec quelle région partagent-ils aujourd'hui leurs butins ? Aucune évidemment ! On comprend pourquoi, à l'heure du bilan, au moment où le pouvoir a besoin de boucs émissaires, les victimes de la lutte anticorruption, aussi anarchique que soit celle-ci, tombent au sud comme des mouches.
Prof. Cossi Bio Ossè
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