Le hamac était la voiture officielle dans les royaumes côtiers avant la conquête coloniale. A l’instar de certains privilèges qui faisaient l’objet d’interdiction au commun – par exemple seul le roi et peut-être les ministres ou chefs religieux avaient le droit de porter des sandales, le peuple devant aller pieds nus – le hamac était un des nombreux attributs du pouvoir et de ce fait, il était réservé aux rois, princes, chefs et hôtes étrangers de marque de la cour. Nos sociétés étant des sociétés dont l'économie était fondée sur l’esclavage – c’est à dire, la capture, la privation de liberté, la violence, l’exploitation et la vente des hommes. Et ce fondement imprégnait tous les aspects de la vie : morale, sociale, mentale, religieuse, culturelle, éthique, etc. Dans un tel contexte tragique, la peur régnait et était entretenue par la hiérarchie du pouvoir. La sujétion, l’avilissement – il n’y a qu’à voir le caractère dégradant des prosternations et autres bains de poussière par lesquels on salue le roi pour se rendre à l’évidence de la négation de l’égale dignité des hommes qui était au principe de l’organisation de nos sociétés à l’époque. Et l’une des horreurs de l’époque qui allait servir de justification morale à l’invasion coloniale, le sacrifice humain, plongeait ses racines dans l’économie symbolique de l’esclavage. La preuve que le sacrifice humain était un prétexte pour la colonisation en même temps qu’il constituait un ferment symbolique de l’esclavage était que les Blancs, qui en avaient connaissance, s’en accommodèrent jusqu’à la fin de de la traite négrière qui dura des siècles, et ne devinrent sensibles à son horreur qu’au moment où, par la force des choses, l’esclavage et la traite avaient perdu tout intérêt économique pour leurs sociétés. Mais même lorsque sous la houlette éclairée du roi Ghézo on commença par trouver des produits de substitution à l’esclavage – démarche qui allait durer près d’un siècle avant la conquête coloniale – nos mentalités qui avaient pris racine dans cette culture de l’esclavage en étaient fortement imprégnées. Et cette imprégnation influait sur nos mœurs et techniques, portées à la fois aux brimades, à la recherche de la hiérarchie, à la séparation entre le noble et le commun, au fait de traiter son semblable en bête de somme. Le peuple ne devait pas se chausser et ce au péril de sa santé et de sa sécurité, car il y va de la sécurité et de la santé symboliques de la noblesse, au sommet de la tête se trouve le roi ; il devait se rouler dans la poussière en guise de salutation aux nobles ; il ne devait pas monter en hamac, qui était un attribut du pouvoir ; et le hamac, voiture officielle de l’époque, était conduite par quatre hommes : quatre hommes qui marchaient pour un seul homme qui ne voulait pas marcher par lui-même. Et cette volonté de mettre la force humaine dans tous les rouages de la société devient même absurde lorsqu’on sait que par le contact et les échanges avec les Blancs, nous avions connaissance de la roue. Au Dahomey, existaient, à titre de reliques du commerce avec les Blancs quelques spécimens de charrettes ; mais on se refusait à comprendre et exploiter le principe à des fins pratiques, parce que l’homme pouvait, devait tout faire ; parce que dans nos sociétés, toute notre mentalité était rivée sur cette mise à disposition du corps, cette domestication rassurante de la force humaine. Même lorsque avec le contact tumultueux avec nos frères ennemis yoruba, qui en reçurent l’usage de leurs cousins ennemis, les Haoussa, nous consentîmes à utiliser le cheval, ce ne fut jamais comme un cheval de trait mais comme un prolongement du hamac, dans la mesure où le noble qui était sur le dos du cheval était tenu par un ou deux hommes qui marchaient à ses côtés !
Dans son ouvrage, “Dahomey as it is “( Le Dahomey, tel qu’en lui-même) le voyageur anglais J.A. Kertchhly, en entomologiste pointilleux fait une description très précise, à la fois technique et sociologique du hamac. Invité par le roi Glèlè , il fit le voyage de Ouidah à Abomey en hamac. Voici ce qu’il dit de cette monture officielle mise à sa disposition par le Cabocer Quenum :
Le matin, Quenum me demanda de l’accompagner sur sa plantation pour l’assister dans l’essayage de nouveaux mortiers qu’il a reçus pour le compte du roi [Glèlè]
Vers sept heures du matin, un hamac mis à ma disposition est arrivé. C’est le moyen de transport usuel répandu dans la région côtière. Dans le cas d’espèce, il s’agit de bandes de tissu coloré de fabrication locale cousues pour former un hamac de forme oblongue, les fils latéraux étant noués en franges tandis que ceux du bout réunis forment les cordes de l’hamac
Les cordes sont passées à travers une cheville fixée à trois pieds environ de chaque extrémité d’une tige de bambou (Raphia vinifera) longue de quatorze pieds.
Au Dahomey, le hamac est porté par un homme à chaque extrémité, qui protège sa tête par un petit matelas fait d’un rouleau de vêtement ou d’herbes tressées ou d’autre matériau
Une longue expérience est requise pour devenir un expert hamacaire.
Seuls les hommes au cou de taureau frôlent la compétence, mais les bons hamacaires atteignent la vitesse de quatre miles/h et réalisent une journée de 30 miles
Quatre hommes sont affectés à chaque hamac, deux le portant à la fois, tandis que les deux autres marchent à leurs côtés, les relevant à de courts intervalles en empoignant les cordes à chaque bout pour les mettre sur leurs épaules, pendant que les hommes qui la portaient posent la tige sur leur tête
Les deux tandems de porteurs se relaient par intervalle d’un quart d’heure. Sur le sommet du mât pend un auvent en toile aux couleurs chatoyantes qui, grâce à la vigilance du passager, évite à chaque instant d’être déchirée par les hautes herbes et branchages des sentiers étroits hors des villes, et dont il se sert comme protection contre leurs piqûres et égratignures au visage
Sur la Côte de l’Or, la tige du hamac est munie à ses bouts d’une courte planche transversale qui permet à deux hommes de le porter de front
Ce moyen de transport est fastidieux, surtout lorsque l’on a affaire à de mauvais hamacaires, dans la mesure où les cahotements bien que propices au remuement des boyaux n’est pas loin de suggérer les effets du mal de mer.
Parfois, il arrive que le mât glisse de la tête des porteurs, laissant le malheureux passager entrer en contact violent avec le sol, ce qui généralement a pour effet de lui rappeler qu’il possède un tant soi peu un dos et un occiput, et d’attirer la foudre de sa colère sur les porteurs indélicats qu’il souhaite voir expédiés en prison pour expurger leur faute.
Si un chef tombait de hamac, un sévère châtiment est infligé aux coupables ; alors que si par mégarde le corps sacré du roi venait à toucher terre quelques têtes au moins seraient coupées.
Arrivé chez Quenum du vin rouge fut servi dehors, et après quelques minutes, nous allâmes au rendez-vous en procession, rituel sans lequel un homme d’importance ne peut être remarqué à l’étranger.
Le hamac apparaît donc comme un signe des temps passés, mais un signe chargé d’histoire et de sens puisqu’il touche à la fois à nos techniques et à notre mentalité profonde. Ce moyen de transport de nos ancêtres mérite donc que nous y jetions un regard à la fois de curiosité et de découverte. Un regard qui ne manquera pas de nous éclairer sur le présent, il faut l’espérer.
Binason Avèkes
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