Près de deux ans après la fin de la crise post-électorale qui a fait près de 3 000 morts, la Côte d’Ivoire demeure le théâtre de violations graves des droits humains à l’encontre de partisans avérés ou supposés de l’ancien président Laurent Gbagbo. Ces violations ont été commises en réponse à une multiplication d’attaques armées contre des objectifs militaires et stratégiques qui ont créé un climat d’insécurité généralisée.
Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, armée nationale) et la police militaire se sont rendues responsables de nombreuses violations des droits humains en arrêtant et détenant des individus en dehors de tout cadre légal sur des bases souvent ethniques et politiques. Ces exactions ont été rendues possibles par la prolifération de lieux de détention non reconnus comme tels où des individus soupçonnés de tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ont été détenus au secret, parfois pendant de longues périodes et dans des conditions inhumaines et dégradantes. Beaucoup ont été torturés et certains ont été remis en liberté contre le paiement de rançons.
Amnesty International est extrêmement préoccupée par ce non-respect des garanties essentielles en matière de protection des détenus et par le fait que l’ensemble de la procédure judiciaire semble contraire aux normes fondamentales du droit international et de la législation ivoirienne (refus d’accès à un avocat, procès-verbaux falsifiés et dictés par les militaires responsables des interrogatoires et surtout « aveux » extorqués sous la torture).
Au-delà de la capitale économique, Abidjan, et des grandes villes du sud du pays, ce climat général de tension est particulièrement perceptible dans l’ouest de la Côte d’Ivoire qui demeure miné par des dissensions ethniques alimentées par des conflits fonciers. Cette région, la plus meurtrie par la décennie d’instabilité qu’a connue le pays, a une nouvelle fois été le théâtre de violences lors de l’attaque, en juillet 2012, du dernier camp de personnes déplacées situé à Nahibly, à proximité de la ville de Duékoué (à 450 km d’Abidjan). Cette attaque a été perpétrée par des populations locales soutenues par des Dozos, une milice de chasseurs traditionnels soutenue par l’État et par l’armée. De nombreux témoignages recueillis par Amnesty International font état d’arrestations, de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et d’une volonté des assaillants de raser ce camp de personnes déplacées.
À la connaissance d’Amnesty International, aucun de s auteurs des violations et atteintes très graves aux droits humains décrites dans le présent rapport n’a été traduit en justice ni même relevé de ses fonctions. Cela illustre l’échec des autorités ivoiriennes à instaurer un état de droit près de deux ans après l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités.
Loin de répondre aux espoirs d’une justice impartiale, les autorités ont exclusivement ciblé les partisans avérés ou présumés de l’ancien président Laurent Gbagbo et ont amorcé à leur encontre des procédures judiciaires dilatoires qui ne respectent pas les normes internationales d’équité. En effet, près de deux ans après l’arrestation de ces personnes, l’argument de la lenteur nécessaire pour le bon exercice de la justice ne tient plus. Toutes les
informations recueillies par Amnesty International indiquent que l’instruction est faite uniquement à charge sans qu’il y ait eu, à ce jour (février 2013), ni confrontation avec des victimes ni aucun élément de preuve matériel communiqué à la défense.
La multiplication des arrestations arbitraires, la permanence de la torture, la toute-puissance des forces armées, la logique de vengeance et la perpétuation de l’impunité nourrissent les divisions et les rancœurs, ralentissent l’instauration d’un véritable état de droit et minent le processus de réconciliation amorcé par la Commission dialogue, vérité et réconciliation mise en place en juillet 2011.
Le présent rapport se fonde sur une enquête d’un mois menée en Côte d’Ivoire en septembre et octobre 2012 et sur le travail de suivi de la situation des droits humains dans ce pays depuis la fin de la crise post-électorale. La délégation d’Amnesty International a rencontré plus d’une cinquantaine de détenus ou d’anciens détenus dans la région d’Abidjan et a pu également s’entretenir avec tous les proches de Laurent Gbagbo détenus dans le centre et le nord du pays, à Katiola, Korhogo, Boundiali, Odienné et Bouna. Les délégués se sont également rendus à deux reprises dans la région de Duékoué afin d’enquêter sur l’attaque lancée contre le camp de personnes déplacées de Nahibly. Dans le cadre de leur mission, les délégués ont pu aussi s’entretenir avec des responsables des autorités ivoiriennes, y compris les ministres de l’Intérieur et de la Défense.
Amnesty International reconnaît que la Côte d’Ivoire est confrontée aux difficultés typiques des États qui sortent d’une crise grave et qu’elle a été visée par des attaques armées. Tout en reconnaissant le droit et le devoir de tout État d’assurer la sécurité de ses citoyens, Amnesty International est extrêmement préoccupée par la persistance des violations des droits humains commises par les forces de sécurité ivoiriennes dans le cadre d’une politique de …
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