Essai d’ethnologie inversée
Au détour de la restauration Meiji où les Japonais ont déterminé les changements nécessaires à opérer dans leur mode de vie, leurs moeurs et leurs habitudes, afin de se conformer à l'ordre de la modernité qu'ils ont embrassée à marche forcée, le choix d'abandonner leurs vêtements ethniques pour s'habiller à l'occidentale a été fait. Et ce choix a été collectivement assumé, y compris dans la maison impériale où l'empereur s'habille plus en complet veston comme ses sujets qu’en kimono. Les kimonos et autres yucatan étant remisés au vestiaire du passé, servent surtout de décoration lors des fêtes ou cérémonie à caractère ostensiblement traditionnel. Comme dans maints aspects de leur acculturation, les Japonais sont parfois parvenus à faire oublier qu'ils sont entrés dans le train de la modernité en marche. Mais dans le même temps, que ce soit en matière de technologie qu'en matière vestimentaire, leur assimilation des habitudes et manières de vivre occidentales porte le cachet spécial de leur génie et des racines profondes de leur mentalité. Ainsi en est-il de la mode vestimentaire des femmes, dans ses rapports comparés avec les habitudes des femmes occidentales.
Au Japon, les femmes ont un usage intensif du pantalon. Cette uniformité va de pair avec l’âge. Les femmes d'âge mûr sont les plus rompues à cet usage. Ce qui frappe au-delà de l'uniformité, c'est le style très asexué, unisexe du pantalon. Aussi long et classique qu’un pantalon d'homme, il est souvent de couleur kaki, gris ou sombre. Mais en aucune façon, de couleur gaie provocante ou « féminine ». En revanche, il semble que toute la féminité soit rabattue sur le haut, où les couleurs et la matière soyeuse des corsages ou chemisiers exhalent une certaine douceur et un certain charme. Dès qu'on est plongé dans l'univers urbain, dans ce spectacle de la féminité vestimentaire--sous-entendu pour quelqu'un qui vient d'Occident--on ne manque pas de se poser des questions : était-ce la même chose en France ? L'écœurement éprouvé pour le caractère systématique de l'usage du pantalon par les femmes au Japon devrait bien avoir son origine dans la disposition inverse en France. Et en effet je me posais la question sans pour autant en être bien convaincu. Ce qui est certain, c'est la clarté du constat : même pantalon classique, même couleur terne qui rivalise d'apparence avec le pantalon masculin. Voir au Japon une femme avec autre chose qu'un pantalon--par exemple une jupe ou une robe longue--relevait de l'exploit. Je commençais même par en venir au comptage. Statistiquement, j'en étais arrivé à quelque chose comme un rapport de 80 % d'usage systématique du pantalon par les femmes. Ayant fait d'ailleurs la preuve par l'exemple avec les femmes qui étaient dans mon entourage immédiat. La mère, une septuagénaire avancée et ses deux filles cinquantenaires, ainsi que leurs amies : toutes étaient attachées à cet usage, et ce dans l'ordre inverse de leur jeunesse. L'étonnement ou la curiosité que suscitait cet engouement des japonaises pour le port systématique du pantalon ne manquait pas de soulever des questions. Par exemple, son caractère systématique et quasi religieux pouvait être mis au compte du conformisme propre à la mentalité japonaise, où, paraît-il, tout clou qui dépasse doit être renfoncé. Mais sur le fond, mon étonnement ne pouvait trouver sa justification que dans la vérification des raisons comparées qui la suscitaient. Etais-je vraiment sûr qu'à Paris le port du pantalon par les femmes se conformait à un autre usage, un autre engouement ? Était-il plus modéré, plus diversifié ? Et pourquoi un pays occidental si épris de liberté et d'individualisme que la France allait voir sa femme moins s'intéresser au pantalon que ne le ferait la femme d'un pays asiatique aussi développé soit-il ? C'est avec ces questions apparemment logiques qu'au retour à Paris, j'ouvris les yeux pour voir ce qu'il en était vraiment des femmes parisiennes ou françaises sous le rapport du pantalon. Et, quel ne fut mon étonnement de voir dans les rues ensoleillées de Paris, sur les places, les marchés devant les cafés et partout ailleurs où il y a foule, que mon hypothèse, la source de mon étonnement exotique, était bien corroborée. L'usage du pantalon par la femme parisienne était infiniment modéré, et éclectique. Après de longues observations, j'ai pu capturer ce qui s'était éclipsé de ma mémoire au Japon et que, par une sorte de prudence cartésienne, j'avais décidé de mettre en suspension sinon en question ; ce dont l'absence soudaine dans ce pays lointain contribua à éveiller mon questionnement ainsi que ma curiosité. À Paris, plus d'une femme sur deux portait soit une jupe ou soit une robe. Et ces vêtures affirmaient ou rehaussaient leur féminité. De plus, les 40 % à peu près qui portaient le pantalon n'étaient pas des porteuses permanentes mais plutôt occasionnelles ou éclectiques. Du reste, en termes de pantalon, la prodigieuse variété des formes et des styles méritaient qu'on s'y attarde car elle traduit à mon sens aussi cette différence culturelle au même titre que les différences statistiques. En effet, à Paris le pantalon dont il s'agit est un pantalon de style ou de mode très féminin soit par sa forme moulante qui met en valeur la sensualité féminine et diffuse du sex-appeal. Soit à travers son côté érotiquement suggestif des parties du corps humain. Soit ce sont des pantalons qui pendent à hauteur du genou et qui par conséquent rappellent plus la jupe que le pantalon ; soit au contraire ce sont des pantalons très amples, et qui par leur ampleur et leurs mouvements évoquent les vagues dans ce qu'il y a d'océanique, et de houleux dans la féminité. Enfin quant aux couleurs, la féminité s'exprime dans toute sa variété. La palette des couleurs et des tons les plus sensuels est sollicitée. Alors qu’au Japon, c'est tout le spectacle opposé qui a lieu. Parce que les pantalons que portent les femmes au Japon sont tout ce qu'il y a de plus orthodoxe, de plus asexué, de plus unisexe. Ils ne sont pas moulants -saufs éventuellement pour les jeunes filles et midinettes- et leurs couleurs ternes et froides sont dénuées de la chaleur des couleurs stimulantes qu'arborent les Parisiennes. Ce constat étant clair, la question qui se pose est tout aussi claire : pourquoi la femme japonaise porte-t-elle systématiquement le pantalon là où la femme française, la parisienne porte volontiers la robe ou la jupe ? Si on suppose que le pantalon est à l'origine un vêtement masculin comme la jupe est un vêtement féminin et que le port de pantalon historiquement connote une volonté d'émancipation des femmes qu'on peut placer bien sûr au compte des effets du mimétisme consécutif à l'égalitarisme sexuel, on est en droit de se demander si la femme japonaise veut plus affirmer sa liberté que la femme occidentale ? En fait pour mieux répondre à la question, il vaut mieux partir de la position des femmes françaises. Peut-être ne sont-elles plus dupes de l'absurdité des effets du mimétisme consécutif aux théories d'émancipation des femmes et au discours d'égalitarisme sexuel qui ont marqué sinon façonné l'histoire de la femme moderne. Plus que cela, la femme occidentale semble hantée par l'angoisse de son identité sexuelle. Cette angoisse est consécutive à la liberté assumée. Au-delà de la liberté, il y a une angoisse de la dissolution de l'identité féminine et donc d'un souci plus accru de son affirmation vestimentaire. De plus les mœurs relâchées des occidentaux qui s'abritent volontiers derrière le discours de la liberté et le mythe de l'amour trouvent leur compte. En France, la femme est soucieuse de provoquer, de se montrer dans sa féminité ; elle est toujours dans le discours et l'espace de la séduction comme si sa liberté avait généré une insécurité sexuelle et une nécessité de promotion de sa sexualité. Une femme libre qui n'affirme pas sa féminité et qui reste dans la pâleur ou la passivité rigide d'une apparence asexuée est une femme condamnée à la solitude et au désarroi. Or, face à l'amenuisement sinon la disparition des raisons d'être suscités par la conception du monde désenchanté où la liberté est érigée en fin en soi, un monde où la nature est réprimée à l'excès et niée, un monde où la raison s'est faite reine au-delà du raisonnable, le sexe, corrélé à l'amour érigé en mythe, devient la raison d'être obsessionnel de toute une société sinon de toute une civilisation : d'où l'importance mise sur le souci d'affirmer sa féminité qui transparaît dans les choix vestimentaires des Françaises.
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Or à l'opposé le port systématique du pantalon unisexe et asexué par la japonaise et la façon dont ce port est assumé montrent que l'angoisse de l'affirmation de la féminité n'a pas atteint les mêmes proportions qu'en Occident ; qu'au Japon, des valeurs autres que celle du sexe même subtilement déguisées sous les dehors mythiques de l'amour, gouvernent la mentalité collective. Un sondage ne révélait-il pas que là où l'Américain (c'est-à-dire le représentant éminent de l'Occident chrétien ) avait en moyenne 124 rapports sexuels par an, le japonais n'en avait que 36 ! À tel point que la boutade d'un célèbre magazine américain : « No sex, please -- we are Japanese » en l'occurrence ne manque pas de sens et exprime bien une vérité éthique propre à la société japonaise actuelle. À l'évidence, des valeurs et préoccupations autres que le sexe animent profondément la mentalité japonaise ; et la femme japonaise moins libre sociologiquement que son homologue occidentale, est en dernier ressort paradoxalement moins soucieuse d'affirmer sa féminité dans sa dimension de séduction.
Brice Akotègnon
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Le suicide démographique du Japon °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°° °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
La démographie est une science implacable et pour le Japon prolonger les courbes est terrifiant. Si le peuple japonais ne retrouve pas un élan vital, un désir de vie et un désir d'enfants, il va tout simplement disparaître.
Telle est la conclusion d'une étude menée par des scientifiques nippons et relayée par de nombreux médias, il n'y aura plus aucun enfant de moins de 15 ans au Japon en 3011, dans moins de 1000 ans... Sur une population de 127,7 millions d'habitants au Japon aujourd'hui, il y a seulement 16,6 millions d'enfants de moins de 14 ans. Le taux de natalité est de seulement 1,4 enfant par femme très loin des 2,1 enfants par femme en moyenne qui permet le strict renouvellement de la population.
La population japonaise devrait diminuer d'un tiers au cours du siècle à venir et aujourd'hui, plus de 20% des Japonais ont plus de 65 ans. Le fabricant de couches Unicharm a annoncé la semaine dernière avoir, pour la première fois de son histoire, vendu au Japon plus de produits pour adultes que pour bébés…
Des chercheurs de l'Université de la ville de Sendai, une ville durement touchée l'an dernier par le tsunami, expliquent que le peuple japonais est engagé dans une spirale d'autodestruction, son vieillissment s'accéllère et le nombre d'enfants ne cesse de se réduire. Pour alerter la population et le gouvernement, l'Université de la ville de Sendai vient de créer une horloge démographique. «En montrant ses chiffres, je veux que les gens pensent au problème de la chute de la natalité avec un sentiment d'urgence», explique le professeur Hiroshi Yoshida qui a mené l'étude.
Elle détaille notamment les raisons qui expliquent l'effondrement de la fécondité dans l'archipel. La première est économique. Le Japon est un pays où le coût de la vie et des études est extrêmement élevé. Une autre raison est le manque d'intérêt grandissant parmi la population masculine pour les relations avec les femmes et le fait que de nombreux hommes jeunes se réfugient dans le monde virtuel et les activités entre hommes.
L'idée de se marier et de fonder une famille semble présenter de moins en moins d'attrait pour les jeunes Japonais des deux sexes. Selon l'Association de planning familial japonaise, 36% des garçons ayant entre 16 et 19 ans, n'ont «aucun intérêt» pour le sexe.
Selon une autre étude menée par l'Institut national japonais sur la population et l'organisme de Sécurité sociale, un quart des personnes non mariées agées de trente ans et plus, hommes ou femmes, n'ont jamais eu de relations sexuelles. La même étude montre que 60% des hommes et 50% des femmes non mariés n'ont pas d'amis du sexe opposé.
La réponse la plus évidente au problème démographique du Japon serait de faire appel à une large échelle à de l'immigration. Mais les Japonais, très attachés à leurs particularismes culturels, y sont fermement opposés.
[ http://www.slate.fr/lien/54919/Japon-suicide-demographique ]
Rédigé par : Toglossou Antoine | 28 août 2012 à 11:13