Après le holdup politique de mars 2011 par lequel M. Yayi s'est maintenu au pouvoir à coups de fraude, de trucage, d'achat de consciences et de voix mais surtout à cause d'une liste électorale délibérément tronquée et truquée, tout le monde en a pris son parti. Un silence résigné a accueilli la continuité démocratiquement douteuse d'un pouvoir dont l'obsession cardinale et le but final étaient de persévérer dans son être. Mais la persévérance ontologique ne peut être une fin en soi en politique. Si on a pris le pouvoir, c'est pour prouver quelque chose, apporter quelque chose de nouveau, marquer une différence notable par rapport au camp d'en face. On ne peut pas prendre le pouvoir seulement parce qu'on serait « Wassangari et que les Wassangari, qui n'aiment pas la honte » --quelle ethnie aime la honte ?-- n'accepteraient pas la honte d'un échec électoral. Quand on a remué ciel et terre pour prendre ou conserver le pouvoir, il faut en faire quelque chose de valable ; quelque chose qui permette au peuple de pardonner la violence inaugurale du pouvoir ; quelque chose qui permette de dire que la fin justifie ou excuse les moyens. Mais tel n'est pas le cas en l'occurrence : la pauvreté se généralise, la misère s’enracine, le peuple vit de débrouille et seule une minorité qui gravite autour des activités politiques, portuaires ou douanières mènent une vie douillette, dans les bureaux climatisés, voitures de luxe, vont en mission ou en voyage officiel aux frais de l'État. En dehors de cette caste, le pays réel végète dans la misère du quotidien, la pauvreté endémique sous le soleil accablant ou les pluies diluviennes qui ne font qu'aggraver leurs conditions de vie déjà difficiles. Rien n'a changé depuis des décennies dans la même misère, la même pauvreté. Face à cette situation préoccupante, la débrouille ou le recours à la fuite en avant dans l'émigration--comme le montre la stagnation sinon la régression intrigantes de la population du centre-ville de Cotonou--ne suffiront pas. Alors que faire ? Tout le monde pointe du doigt la mal-gouvernance du pays. Et l'on a tendance à entendre par-là le paradoxal échec d’un soi-disant docteur en économie et banquier dont les compétences et formations, mais aussi le parcours et la bonne volonté étaient censés être de nature à lui permettre de prendre à bras-le-corps les problèmes du pays dans leur dimension socioéconomique et les résoudre rationnellement. Ainsi, à travers et au-delà des slogans qui vont du « changement » à la « Refondation » en passant par d'autres mirages rhétoriques comme « l'émergence », le constat d'une cuisante déconvenue est fait, un échec qui trahit la médiocrité d'une théorie de banquiers, économistes putatifs plus imbus d’eux-mêmes que capables de relever le défi du redressement économique national ; tourbe suspecte de prétendus docteurs, professeurs ou experts en économie et finance dont la science n’infuse rien, ne diffuse rien et se refuse à tout. Mais dans le constat et le haro crié sur la mal-gouvernance, on croit que celle-ci n'a rien à voir avec la politique ; parce que la gouvernance dans son acception première semble avoir partie liée avec la gestion et la rationalité légale des affaires publiques dans leur aspect technique et décisionnel. Et en pointant du doigt ces dimensions on passe sous silence l'origine politique de la mal-gouvernance vue seulement comme la paradoxale déconvenue d'une théorie de banquiers qui ont par médiocrité intrinsèque failli à leur mission. Mais quand on observe et mieux quand on analyse les sources et les formes diverses de la mal-gouvernance au Bénin depuis au moins 2006, leur étiologie politique saute aux yeux. La mal-gouvernance apparaît comme le dysfonctionnement global, partial et parcellaire d'un appareil politique ou administratif dont l'enracinement frauduleux s'avère défectueux. Un appareil qui tourne à vide et en rond, consomme beaucoup d'énergie humaine et financière mais dont le rendement est nul voire même négatif. Pourquoi un tel fonctionnement délirant et pervers ? En raison du clientélisme politique systématique et de la culture électorale portée à la fraude et à l'achat de consciences. La dernière élection présidentielle à elle seule a été l'occasion pour les tenants du pouvoir en place de gaspiller des dizaines de milliards de francs de l'argent public non seulement dans l'organisation d'une élection dont l'issue était déjà fixée à l'avance et pour laquelle elle ne constituait qu'une comédie de surface ; mais dans une noria d'achats de consciences et de voix pour le moins stupéfiants : allant des présidents des grandes institutions ayant vue ou prise directe sur les résultats électoraux aux partis politiques, groupes ethniques et individus en tous genres. Certains d'ailleurs qui, après avoir pris leur part de la manne électorale ont beau jeu de hurler avec les loups en décriant la mal-gouvernance comme il est de bon ton de le faire après-coup. La mal-gouvernance c'est d'abord l'entrée en scène forcée de mal-gouvernants dont tout un ensemble d'institutions instrumentalisées et de gens politiquement, institutionnellement et médiatiquement situés ont avalisé le fait accompli de la violence inaugurale. Le hold-up électoral de mars 2011 étant apparu comme soluble dans le caractère prétendument pacifique du peuple béninois. La mal-gouvernance, ce ne sont pas seulement des économistes incapables, des banquiers médiocres qui ont failli à la mission dont le peuple en toute naïveté les a investis ; elle est d’abord et avant tout le fait d'un passage en force d'une horde de corsaires politiques malintentionnés, malappris, mal préparés et malavisés. Cette médiocrité et la culture politique orientée par une mentalité en conflit avec la rationalité légale et le fonctionnement républicain de l'État sont la cause de la mal-gouvernance. En cela, la mal-gouvernance est à la fois structurelle et infrastructurelle avant d'être conjoncturelle. Elle est structurelle dans la structure de l'encadrement politique et technique ; et infrastructurelle dans les motivations, mentalités et finalités de positionnement des acteurs de l'État, des institutions républicaines et des unités ou organisations de production économique. De même, la mal-gouvernance est structurelle et infrastructurelle dans les pratiques et méthodes qui régissent le fonctionnement des systèmes politiques, et des acteurs économiques.
En termes logique et rationnel, ce serait un miracle qu’un régime entré en scène par la mise en scène, la force, la fraude et le fait accompli génère autre chose que la fraude, la corruption, la récession et la mal-gouvernance. Mais l'autre aspect de l'origine politique de la mal-gouvernance réside dans la morphologie régionaliste de la vie politique du Bénin, dans un pays globalement coupé entre le Nord et le Sud. Avec une habitude qui devient de plus en plus une règle et qui veut que le Nord soit une pépinière des présidents de la république. Or, sachant que le Nord est moins peuplé et moins sociologiquement avancé que le Sud, cette bonne volonté présidentielle des nordiques impose à leur ressortissant postulant à la magistrature suprême d'acheter plus de consciences et de barons du sud que n'a besoin ou ne doit le faire le candidat d'un Sud non divisé. Or, aussi triomphaux que soient ces achats, ils se révèlent après-coup une véritable prise en otage du président élu, obligé de faire le jeu ou les quatre volontés de ses clients régionalistes du Sud. De même, le consensus frauduleux de la parité entre le Nord et le Sud--parité en contradiction avec leur disparité sociologique--conjuguée avec le primat de la mentalité régionaliste qui constitue la trame et l'arithmétique politiques conduit à faire du remplissage aveugle en matière de nomination des cadres. S'il n'y a que 10 cadres compétents originaires d'une région donnée et qu'il faille, dans l'esprit de la parité idiote qui semble aller de soi dans les nominations, nommer 100 cadres ressortissants de cette région, il va de soi que les 90 cadres incompétents glanés de-ci de-là qui n'ont pour eux que d'être originaires d'une région ou d’une ethnie donnée sont autant de maillons faibles dans la chaîne de l'encadrement socio-économique et administratif du pays ! Dans ces conditions, comment le gouvernement peut-il atteindre les objectifs qu'il s'est fixé pour autant qu'il s’en soit jamais fixé ? Lorsque chaque acteur, de la base au sommet, a été élu ou nommé dans l'état d'esprit et le but à peine caché de tirer le maximum de profit personnel et de bons plaisirs, comment l'agrégation de ces buts égoïstes et pratiques irrationnelles peut-elle concourir au progrès collectif ? Impossible ! Au contraire, tout cela ne peut que conduire à la régression, au dysfonctionnement, toutes choses qu'on appelle la mal-gouvernance. Et la thématique de la crise qui défraie actuellement la chronique dans le monde et que par opportunisme ou conformisme nos dirigeants ont beau jeu d'évoquer ne rime pas du tout avec la spécificité du fonctionnement délirant de notre société. Car la crise est loin de rendre compte par exemple du hold-up électoral de mars 2011 perpétré par M. Yayi en toute quiétude, comme elle n'impose pas la mentalité régionaliste qui imprègne et anime de par en par toute la vie sociopolitique nationale et qui a connu un fâcheux regain et une extraordinaire systématisation sous le règne de M. Yayi. Au total, ce n’est pas maintenant que les Béninois doivent s’inquiéter de la mal-gouvernance. Comme s’ils pensaient que quelque chose de bon pouvait provenir de quelque chose de mauvais. Le ver de la mal-gouvernance était déjà dans le fruit vénéneux du holdup électoral auquel le peuple a paru se résigner. Il y a là une complicité et une irrationalité mentale dont il faut se défaire pour aller de l’avant en toute responsabilité. Et de ce point de vue, la mal-gouvernance est d’abord en partie dans la mentalité du peuple, qui n’hésite pas à vouloir quelque chose et son contraire. Si la mal-gouvernance dans son constat apparaît d'abord comme l'échec de soi-disant docteurs ou experts en économie à résoudre les problèmes économiques récurrents, dans son fondement, elle est d'abord la conséquence fatale de la violence politique inaugurale d'un régime fondé sur l'arbitraire et le manque d'amour de la patrie.
Binason Avèkes
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