Mon Cher Pancrace, J'ai bien reçu ta dernière lettre dans laquelle tu me parles de l'abolition de la peine de mort au Bénin. Je te remercie pour ta confiance et ta fidélité ; et je savoure avec plaisir ta sagacité coutumière qui se révèle dans les questions que tu me poses à ce sujet. En effet, tu me demandes : « Comment peut-on vraiment parler d'abolition de la peine de mort au regard du fléau de la vindicte populaire qui est monnaie courante sous nos cieux ? » Eh bien, voilà une question pertinente qui ne fait pas mystère de sa réponse ; et je n'en ferai personnellement pas. En effet, à mes yeux, l'abolition de la peine de mort apparaît comme une opération de diversion. Une subtile tentative de restaurer l'image du Bénin qui, ces cinq dernières années, a été fortement mise à mal par un régime proto-dictatorial, qui fait peu de cas des droits de l'homme ; un régime sinistre dirigé par un quarteron de brutes qui ont l'immoralité chevillée au corps et à l'âme. Il y a eu d'abord toute la série de violations des droits de la presse, de la liberté d'expression et les droits de l'homme qui ont été régulièrement recensées et sanctionnées par les divers palmarès des ONG internationales habilitées à mesurer les droits de l'homme dans le monde. Et puis il y a eu, mon cher Pancrace, l'aspect politique avec le volet corruption, où l'impunité et l'instrumentalisation de la justice se sont imposées comme méthode irrationnelle de gouvernement. L'apogée de cette irrationalité légalisée et son ombre portée, la violence symbolique, a été atteinte avec le holdup électoral de mars 2011 qui a vu la victoire inédite au premier tour du président sortant. Micmac de roublardises de troncature et de trucage de la liste électorale dite LEPI, conduisant à la frustration du droit de vote de près de la moitié du corps électoral, prélevée savamment dans les zones acquises à l'opposition et aux dépens de ses électeurs. C'est dans la droite ligne de ce parti-pris de roublardises, de violence symbolique, d'artéfact, de menteries, de donner à croire et de singeries existentielles qui lui tient lieu d’horizon éthique et politique que le régime actuel a décidé de marquer les esprits en supprimant la peine de mort. Une décision qui est paradoxale dans la mesure où elle émane d'un régime qui s'est jusqu'ici illustré dans la violation des droits ; mais une décision dont la rationalité, en dit long sur les motivations et les objectifs réels : se payer la tête des naïfs, et redorer le blason bien terni d'un pays qui en Afrique a cessé d'être une référence en matière de démocratie et les droits sociaux et humains. Si l’abolition de la peine de mort n'était pas une espèce de poudre aux yeux, opération de relations publiques, grimace pathétique du pyromane qui arbore de façon frauduleuse la livrée de pompier ; si le régime actuel était aussi ardent défenseur de la dignité et du droit à la vie comme ce fut le cas par exemple en France de Robert Badinter et François Mitterrand, pourquoi n'a-t-il rien fait pour freiner le fléau de la vindicte populaire, cette forme barbare et régressive de justice expéditive qui, dans la cruauté et l'inhumanité la plus absolue, fauche régulièrement des dizaines de vies au Bénin chaque année ? Car pour les trois ou quatre condamnés à mort par une justice--inefficace et souvent sans esprit de suite--combien de dizaines voire de centaines d'êtres humains seront condamnés à mort à travers les vindictes populaires dans lesquelles la responsabilité de l'État est entièrement engagée ? L'abolition de la peine de mort est la preuve du caractère extraverti et hétéronome de nos actions politiques en Afrique.
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Puisqu'en l'occurrence cette décision ne vise pas à prendre en charge la résolution d'un problème--celui du respect de la vie, du droit à la justice--mais plutôt, à complaire aux Occidentaux et autres bâilleurs de fonds, au monde extérieur, à faire croire que le Bénin innove en matière sociopolitique et juridique, sinon éthique alors qu'en réalité ces cinq dernières années c’est tout le parti pris contraire qui a prévalu. Cette abolition de la peine de mort au Bénin est à la fois un chef-d’œuvre de consensus frauduleux et l'expression affligeante de notre hétéronomie. En effet si nous étions centrés sur nous-mêmes dans nos actes, nos politiques, nos pensées, nos décisions, ce n'est pas la peine de mort légale que nous nous réjouirions d'abolir en premier ; mais les peines de mort illégales, contraires au principe fondamental de toute société humaine, de justice--nul n'a le droit de se faire justice--et au droit humain que sont les mises à mort résultant des vindictes populaires qui sont monnaies courantes au Bénin. Ce sont ces peines de mort barbares et régressives, conséquence de la démission lamentable de l’Etat que nous nous appliquerions d'abord d’abolir avant d'avancer vers l’étape de rationalité légale que constitue l'abolition de la peine de mort comme c'est le cas dans les grandes nations démocratiques développées du monde. Sinon à quoi ça sert de se vanter d’avoir aboli la peine de mort, quand dans nos villes et villages des gens souvent innocents sont régulièrement victimes des exactions cruelles et barbares des vindictes populaires ?
Mon Cher Pancrace, comme tu le vois, je n'ai pas tourné autour du pot. Je n’ai eu qu'à développer ta pensée car ta question contenait en germe sa réponse ; et je suis tout à fait du même avis que toi : cette soi-disant abolition de la peine de mort au Bénin est au mieux de la poudre aux yeux sinon une opération de relations publiques d’un régime qui, avant de l’abolir aurait été bien inspiré de s’appliquer la peine de mort. Periode !
Avec l'expression renouvelée de mon indéfectible amitié,
Binason Avèkes
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