Bénin : Champ Politique et Rhétorique de la Stigmatisation
Le vocable de « vieille classe politique », ( VCP) est un vocable polémique lancé par la propagande du changement. Et, plus que d’être polémique, sous les dehors d’une dénotation évidente, la notion charrie plus de connotations que de référence univoque. De ce fait, elle participe d’une volonté délibérée de stigmatiser les adversaires politiques ; stigmatisation sans nuance ni distinguo, et qui fait le lit des préjugés.
La notion a donc un usage rhétorique et reste tributaire de l’avènement du changement sous la houlette de Yayi Boni en 2006. Autrement dit, c’est à partir des élections présidentielles de 2006, et surtout des législatives qui s’en sont suivies, qu’une partie du personnel politique a été désignée par le vocable de « vieille classe politique »
Le Changement de Yayi Boni s’est assigné deux objectifs essentiels. D’une part, sur le plan politique, il entend changer les mœurs et les pratiques, mais aussi le personnel du passé ; et d’autre part sur le plan économique et matériel, il promet l’émergence, c’est-à-dire une mutation susceptible non seulement de rompre avec la misère endémique du peuple mais de hisser le Bénin à la lumière du dynamisme économique, à l’instar des pays émergents ou émergés d’Asie : les fameux Dragons et Consorts.
Pour atteindre cet objectif, le régime Yayi, après avoir fait le diagnostic de la situation dont il a hérité, caractérisée par la misère du peuple, la mal-gouvernance, la corruption d’état et l’impunité, a désigné les coupables : « la vieille classe politique. »
L’approche ainsi adoptée a créé une césure dans le temps et l’espace politiques. La mauvaise gestion, la misère du peuple et la corruption sont ainsi censées être du passé, comme la VCP qui en serait responsable ; et la bonne gouvernance, la probité, l’honnêteté des dirigeants, l’intransigeance morale des leaders politiques, le retour à l’équilibre des comptes, le mieux-être moral et matériel du peuple, le décollage économique du pays et l’émergence sont à conjuguer au présent en marche vers le futur immédiat. De même les acteurs actuels sont-ils affublés des qualités requises, celles de probité, de compétence et de respect de la rationalité légale comme norme de gouvernance.
Mais face à la césure ainsi effectuée, la vérité de l’histoire politique du Bénin oblige à voir que le repoussoir le plus significatif du régime du Changement est le régime qui l’avait immédiatement précédé. Le Changement, qui est d’abord un changement de paradigme politique, moral et pratique doit d’abord se positionner contre le régime de Kérékou dont la déliquescence morale et la médiocrité patente rendent raison de son avènement. L’impératif fondateur du Changement c’est de mettre clairement fin à la corruption d’Etat, l’impunité, la régression économique et la misère du peuple chevillées au corps du régime Kérékou. C’est ainsi que le peuple entendait le Changement. Dans son esprit, le premier holocauste de l’ère nouvelle devrait être Kérékou en tant que personne et régime, qui devrait être amené à rendre des comptes. Mais le Changement de 2006, sur ce chapitre décisif a préféré marcher sur des œufs, et s’est bien gardé d’endosser une quelconque vocation révolutionnaire. Entre Yayi Boni et Kérékou, il y a plus de collusion objective que le peuple soulagé de tourner la page de ce dernier ne pouvait subodorer. Aussi l’holocauste rêvé n’aura pas lieu : pas plus celui de la personne que du régime Kérékou. Un exemple de cette pantalonnade du régime Yayi réside dans le sort auquel fut voués les audits des cadres de l’ancien régime dont les résultats n’ont donné lieu ni à publication encore moins à des implications juridiques à caractère pénal. Rien qu’une mise en scène qui laissa le peuple pantois et passablement frustré. Et, pour solde de tout compte, histoire d’entretenir l’illusion d’une opposition au régime Kérékou, clé de voûte sémantique et logique de la VCP, Monsieur Yayi Boni et ses propagandistes ont préféré substituer un procès éditorial à l’holocauste politique désiré par le peuple. Ce fut l’histoire loufoque du livre de la Ministre Réckya Madougou, « Mon Combat pour la Parole » censé égratigner Kérékou. La moindre des aberrations de ce procédé n’a pas été le titre même du livre, qui mettait en cause l’une des rares qualités du régime précédent, la liberté de parole devenue sujette à caution sous le régime du Changement. Par ailleurs la publication et la publicité faite à l’ouvrage se sont placées sous le parrainage matériel, technique, idéologique et médiatique de la mystification néocoloniale en se donnant comme théâtre Paris, capitale occidentale de la Françafrique ; lieu phare où les rares œuvres de l’esprit africaines vont rechercher légitimation et reconnaissance et où, en dépit des cinquante ans d’indépendance que l’on proclame à cor et à cri, hommes politiques et intellectuels putatifs se bousculent pour arracher leur brevet de sous-humanité sous perfusion mentale, intellectuelle et symbolique. Ce ballet néocolonial a contribué plus que tout à mettre en rogne Monsieur Kérékou, qui aurait tout accepté localement que d’être mis sous les feux de la rampe chez ses maîtres et amis de l’ombre.
La mise en garde de Kérékou au timonier du Changement était sous ce rapport clair : Yayi Boni devrait savoir ce qu’il voulait : on ne peut pas sur le fond épargner un homme, lui éviter d’être l’holocauste puis travailler à salir son image chez ses amis de l’ombre dont le jugement devant l’histoire lui tient à cœur plus que ce que pourrait penser de lui localement ses propres compatriotes. La vive colère et surtout la mise en garde de Kérékou qui a fait de cette atteinte à son honneur en haut lieu un véritable casus belli éclairent sur la signification du vocable de « vieille classe politique »Car en vérité, la vieille classe politique n’est rien d’autre que Kérékou et le ban et l’arrière ban de ceux qui gravitèrent autour de lui et profitèrent des deux ou trois régimes qu’il dirigea tout au long de ses trente ans à la tête du pays. Or le paradoxe veut que lorsqu’on dit VCP on ne pense pas à Kérékou. Pourquoi ? Parce que sauf cas de force majeure, Kérékou n’a ni les moyens ni la prétention de ravir le pouvoir à Yayi Boni. Même si à tort ou à raison on lui prête une réelle capacité de nuisance ou un pouvoir effectif d’adoubeur. De plus Kérékou n’est pas chef de parti et ne constitue donc pas une menace politique ouverte au régime du Président Yayi Boni.
En revanche ceux auxquels colle le terme VCP sont tous collectivement ou individuellement dans la situation de challengers plus ou moins sérieux de Yayi Boni. Les Soglo (Père, Mère et Fils légitimiste) Bruno Amousso, Séfou Fagbohoun, Adrien Houngbédji, Sévérin Adjovi, , Lazare Séhouèto, Kolawolé Idji. Or cette logique de référence du vocable prête déjà à confusion. Parce que si le mot « vieille classe » réfère le temps ou la durée ou l’historicité, comme l’adjectif « vieille » le suggère, on voit qu’un Léhady Soglo ou un Lazare Séhouèto pour ne citer que ces deux hommes ne sauraient être considérés comme émergeant à la catégorie VCP. En revanche si le mot a une connotation morale renvoyant à la responsabilité dans la situation de notre pays, on voit que non seulement les membres du groupe des challengers de Yayi ne sont pas les seuls concernés, et que même en ne considérant qu’eux, ils ne sauraient être placés sous la même enseigne, encore moins dans le même sac. Ainsi, Nicéphore Soglo ne peut être considéré comme un dirigeant médiocre. Tout le monde sait maintenant avec le recul du temps qu’il est le meilleur Président que le Dahomey/Bénin ait connu en termes d’action de développement, de redressement et de progrès économique. De tous les membres du groupe d’opposants challengers à Yayi, Soglo est le seul à n‘avoir pas pactisé avec Kérékou qu’il combattit avec vigueur et rigueur, méthode et passion pendant au moins les dix années de son règne sous le Renouveau. De ce point de vue, puisque Kérékou est le « plus jamais ça » implicite du régime du Changement, et puisque les propagandistes du régime désignent par VCP ceux qui ne devraient plus jamais revenir au pouvoir en raison de leur responsabilité dans la mal-gouvernance et la faiblesse socioéconomique du pays, désigner les Soglo par le vocable de VCP participe d’une confusion sémantique, d’une contre vérité historique et d’une rhétorique frauduleuse.
Restent quelques éléments du groupe d’opposants challengers dont les statuts sémantiques ne manquent pas d’intérêt au regard de leur parcours et en rapport avec le vocable considéré.
Le premier d’entre eux est le candidat de l’UN aux présidentielles de 2011, Maître Adrien Houngbédji. Bien que n’étant pas atteint par la limite d’âge constitutionnelle, Me Adrien Houngbédji n’est ni un novice ni un jeunot politique. Il est dans le paysage politique béninois depuis au moins 30 ans et a déjà été candidat à au moins trois élections présidentielles. Donc d’un point de vue historique, il remplit bien la condition de VCP, même si – et la constitution lui est témoin, – il est le plus jeune présidentiable sérieux de la vieille classe politique. Par ailleurs, si on prend en compte le rapport ou la distance politique par rapport à Kérékou, Adrien Houngbédji qui a permis l’élection de Kérékou en 1996 et a été nommé pour cette raison Premier Ministre de celui-ci, peut être considéré comme un VCP. Il a ensuite claqué la porte et comme le montre son échec en 2006 victime d’une duplicité qui traduit la prévalence de ses mauvais rapports avec Kérékou, la validité de cet indicateur d’appartenance en ce qui le concerne est sujette à caution. De plus, l’acte de pardon qu’il a initié et qui a facilité son choix comme candidat de l’UN aux élections de 2011 a définitivement contribué à tourner les pages sombres de ses rapports difficiles avec les Soglo. Dans la tradition typique des Houégbadjavi sous le signe duquel se place le resserrement de leurs liens fraternels Houngbédji joue le rôle de mentor de Léhady Soglo, ce qui est un rôle de confiance. Toutes ces données font de Me Adrien Houngbédji la figure emblématique de la liberté d’appartenance à la VCP, du fait que cette appartenance qui ressortit d’un mixte de critères historiques, moraux et idéologiques peut évoluer dans le temps et l’espace politiques. Ce qui bat en brèche la représentation essentialiste figée de la notion de vieille classe politique qu’agite la propagande du Changement pour justifier sa volonté d’exclusion politique.
Un autre personnage estampillé VCP est Bruno Amoussou. En ce qu’il est atteint par la limite d’âge constitutionnelle, au moins on peut dire que contrairement à Me Adrien Houngbédji, il est marqué par un des critères clé d’appartenance à la VCP. De plus, l’homme qui a tenu le crachoir électoral à Kérékou en 2001 ne peut pas être tenu pour un opposant farouche de celui-ci. Candidat malheureux à la dernière élection, il a fait partie du bloc wologuèdè qui a porté Yayi Boni au Pouvoir contre Me Houngbédji avant de prendre ses distances, puis passer dans l’opposition. Ancien directeur de la BCB dans les années 80, l’homme traîne des casseroles et est facilement compté parmi les grands pilleurs de l’économie du Bénin notamment sous le régime défunt de la Révolution, bien qu’il n’ait jamais été légalement convaincu de malversation ou de détournements des deniers publics ; mais qui l’a été sérieusement depuis 30 ans où l’impunité est la maîtresse morale de la mal-gouvernance ? Bruno Amoussou, le Président de l’UN, le groupe politique qui, s'oppose à Yayi et à son régime concentre l’essentiel de ce que la propagande du régime du Changement considère comme VCP. Il doit ce poste sans doute à l’intérêt qu’il nourrit pour la vie politique nationale et africaine, et ce qu’il professe avec finesse et passion comme la valorisation du politique en tant que corps de profession dans une démarche de volontarisme démocratique. Avec ces critères et ce parcours, Bruno Amoussou ne doit pas rougir d’être qualifié de représentant attitré de la VCP. Car au mépris de la péjoration que la propagande du régime de Yayi assigne au terme de VCP, on peut dire que Bruno Amoussou est l‘exemple vivant d’un VCP heureux et fier de l’être.
Autre source d’appartenance à la VCP est celle de Lazare Séhouèto ; tout aussi jeune que Léhady Soglo, preuve vivante de l’absurdité de la désignation de VCP, Lazare Séhouéto, à la différence de Léhady Soglo a été jeune acteur sous le régime Kérékou, à qui il doit sinon sa formation du moins sa notoriété politique. Donc s’il n’émarge pas à la VCP au titre de l’âge, il y est historiquement attaché, et fait partie de ceux qui ont une dette politique et médiatique envers le régime de Kérékou. Et à son propos se pose aussi la question de la liberté par rapport à cette désignation, dans la mesure où sa jeunesse relative lui donne droit à évoluer idéologiquement et politiquement.
En fait sur le marché de la VCP, ceux qui ont inventé le vocable font aussi leurs emplettes. Et le vocable fonctionne surtout comme procédé rhétorique de stigmatisation et d’exclusion des opposants par le régime au pouvoir et ses propagandistes. Quels que soit les critères partiels considérés, l’opposition représentée par l’UN n’a pas le monopole de la VPC. Que sont les Emile Derlin Zinsou, les Albert Tévoédjrè, les Amos Elègbè, les Martin Dohou Azonhiho, les Robert Dossou et bien d’autres thuriféraires, suppôts ou sympathisants du régime du Changement sinon de grosses calibres de la Vielle classe politique ?
Binason Avèkes
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