Le Régionalisme est la corde d’hypocrisie par laquelle, les uns accusant les autres, comptent les ligoter politiquement pour mieux s’y adonner eux-mêmes. C’est dire que les accusations de régionalisme à l’emporte-pièce, sans tenir compte des réalités de notre culture, surtout lorsqu’elles sont proférées par des gens dont le niveau d’instruction est suffisamment avancé pour les mettre à l’abri de prénotions idiotes, ces accusations, disons-nous, sont au mieux de la mauvaise foi, au pire une tactique hypocrite, d’endormissement et de culpabilisation de l’adversaire. C’est aussi un épouvantail moral et politique qui cache et effraie au moment où sévissent d’autres vices et dérives autrement plus dangereux pour la Démocratie ; par exemple, l’achat de vote, qu’il faut distinguer de l’achat de conscience, même si l’un peut entraîner l’autre.
L’achat de conscience est souvent le fait d’hommes politiques établis, qui succombent à la tentation de l’argent ou des faveurs dans une culture où la politique est tenue pour une entreprise à but lucratif, génératrice de richesse et source d’enrichissement personnel. Certes, l’homme politique ou institutionnel qui vend ainsi sa conscience dans le contexte du jeu démocratique la vend contre les faveurs inhérentes à sa position ou la promesse de mettre à la disposition de l’acheteur des voix tribales, ethniques ou régionales dont il s’estime propriétaire. Et cette façon de s’estimer naturellement propriétaire de voix ethniques ou régionales, c’est ce qu’on appelle régionalisme.
L’achat de vote, bien qu’il en soit la conséquence, est différent de l’achat de conscience en ce qu’il s’adresse et met en jeu la masse souvent analphabète peu ou pas instruite, docile ou cynique du peuple. En plus, l’achat de vote est circonscrit à un événement précis, et ne constitue pas un acte de fidélité durable. On reçoit de l’argent, des faveurs ou des biens matériels (nourriture, vêtements, téléphone, matériaux de construction, etc..) lors d’une élection avec la consigne de voter pour un tel. Parfois, pour s’en assurer l’effectivité, ces achats sont faits sous serment occulte avec la menace d’en subir la foudre en cas de duplicité.
Quoi qu’il en soit, l’achat de vote est nuisible à la démocratie dans ce qu’elle a de fondamental : le principe d’un homme une voix. L’achat de vote transforme la démocratie en un système de vote censitaire sous des apparences parodiques de la démocratie. Ceux qui vont voter sur consigne tarifée ne votent pas pour eux-mêmes, mais votent par procuration pour celui qui a acheté leur vote. Ils ne laissent pas s’exprimer le principe d’un homme une voix, mais le principe de marchandisation du vote. Or qui dit marchandisation dit dessaisissement, aliénation, inconscience.
Dès lors quelle force peut porter un citoyen analphabète dont le vote est acheté une fois qu’il se trouve seul face à sa conscience dans l’isoloir ? Eh bien c’est la force identitaire de la Conscience de soi ; en l’occurrence, l’idée qui consiste à se dire intérieurement : « Je suis du Nord, je voterai pour un Président du Nord. » Cette idée-là est un principe subjectif d’autodétermination. Elle est certes inspirée par le régionalisme mais elle permet en l’occurrence de sauver la démocratie dans son principe, face au danger sous-estimé de l’achat de vote. Ce principe subjectif découle de la maxime qui recommande de choisir, entre deux maux, le moindre. Au Bénin, le régionalisme est certes une réalité mais les accusations qui s’y fondent sans discernement relèvent souvent du politiquement correct et participent d une volonté retorse d’embarrasser l’adversaire sinon de le contrecarrer au moment même où on se vautre soi-même dans les mêmes travers que l’on dénonce à grands cris.
Par exemple lorsque Yayi Boni est apparu en 2006, inconnu au bataillon politique traditionnel sur quel créneau s’est-il basé pour s’assurer un passage au 1er tour des élections ? Sur le cosmopolitisme pan-national de l’égalité citoyenne ? Bien sûr que non ! Mais, comme tous ses autres concurrents, il a fait appel au réflexe et mobilisé la force agissante du sentiment du terroir. Il s’est posé comme « Nordique » et, en tant que tel a fait converger sur sa candidature une affinité élective régionalement déterminée. Il ne faudrait pas que dans un tel cas de figure, le régionalisme obligé d’un homme politique soit éclipsé par l’intérêt que sa candidature a pu éventuellement susciter dans d’autres régions. Il semble qu’au Bénin, nos ayatollahs de la pensée politique correcte absolvent facilement le péché régionaliste dès lors qu’un homme politique parvient à susciter quelque intérêt d’une région dont il n’est pas le fils du terroir. D’ailleurs, – autre refoulé de la pensée anti-régionaliste officielle – ce type d’intérêt depuis 50 ans d’indépendance au Bénin, n’a fonctionné que dans le sens Sud/Nord. Pour autant, les accusations les plus tonitruantes de régionalisme sont plutôt portées contre les hommes ou les groupes politiques du Sud ! Comme si le Sud était condamné à faire preuve de bonne volonté nationale, là où la clôture régionaliste phénoménale du Nord, va de soi : Ironie du sort, ou gratitude du revers de la main !
Enfin, dans les élections de 2011 qui se profilent, et qui agitent déjà le landerneau politique, sur quel noyau de base, un type comme Bio Tchané va-t-il s’appuyer pour passer au premier tour comme il l’espère ? Eh bien, disons-le sans détour, sur l’idée du fils du terroir ; à savoir concrètement que la Donga, l’Atakora et plus généralement le Nord musulman voterait pour lui comme un seul homme. Bio Tchané a le droit de penser ainsi, mais il suffit que des partis du Sud s’unissent pour porter au premier tour un homme du Sud, et les voilà taxés de régionalistes
Non, Messieurs les ayatollahs de la pensée retorse, le Régionalisme n’est pas à géométrie variable, il n’est pas ce que vous dites de façon sélective. Il est de toute façon à l’œuvre. Et le jour où les Nordiques accepteront de voter pour un président du Sud nous aurons fait un grand dans la bonne direction.
Un autre pas décisif est celui d’ordre éthique consistant à arrêter de se jeter des accusations de régionalisme à la figure les uns des autres lorsque ceux qui portent haut ces accusations n’entendent pas se défaire de leurs vices et pratiques régionalistes.
En attendant ces évolutions que conditionne l’évolution de nos mentalités, force est de reconnaître que le régionalisme positif, non pas celui qui détruit ou nie l’autre région (ou les autres régions) mais celui de l’affirmation de soi, et de la préférence du fils du terroir est l’une des seules forces de motivation susceptible d’annihiler le vice suprême qui dénature le jeu démocratique : l’achat de vote. En clair, il vaut mieux voter pour sa région que de voter pour l'homme le plus riche, c'est-à-dire finalement le plus corrompu. A n'en pas douter un tel choix est régionaliste mais il s'agit d'un régionalisme pacifique, positif et provisoire. Et ce régionalisme à "3 p" est une chance pour la Démocratie béninoise !
Binason Avèkes
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