Mon Cher Pancrace,
C’est avec grand plaisir que je fais écho à ta dernière lettre. Tes questions ont éveillé un réel intérêt en moi, en proportion directe de leur pertinence. A propos de la récente polémique suscitée par la glose comminatoire de l'Honorable Rosine Soglo à l’Assemblée touchant au régionalisme, tu me demandes si la Présidente de la RB n’aurait pas dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Car comme tu le relèves à juste titre alors que l’UN était au centre d’un faux procès sur le thème du régionalisme, était-ce nécessaire d’en rajouter ? “A moins, dis-tu, que cette algarade malvenue ne soit destinée à cacher d’autres raisons inavouées sinon inavouables”
A mon avis ta remarque est tout à fait juste ; et je vais te dire ce que je pense de cette affaire de coup de gueule de Rosine Soglo à l’Assemblée nationale sur le sujet soi-disant de régionalisme. En fait sous prétexte de laisser parler sa nature et même d’avoir l’air de cracher la vraie vérité sur le consensus insidieux qui enserre la problématique du régionalisme au Bénin, Madame Rosine Soglo, à travers son algarade, n’a fait que lancer un pétard médiatique et détourner l’attention des vraies questions. Entre autres choses, ces questions portent sur le rôle de porteur de valise de Yayi Boni que jouait Epiphane Quenum. Jusque-là en effet, moult questions se posaient sur la posture, les choix et la mission politique de Epiphane Quenum : Faisait-il la courte échelle à Yayi Boni ? Sa méfiance vis à vis du processus de l’Union en cours, voire même sa haine historique des alliés de la RB justifiaient-elles son aventure solitaire ? Et en réalité son geste était-il si solitaire qu’il y paraît ? L’honorable Epiphane Quenum roulait-il pour lui-même ou pour une aile rebelle de la RB ? Etait-il en mission secrète au compte de cette aile dirigée en sous-main et inspirée par la Présidente de la RB dont les positions politiques et les actes concrets à l’Assemblée ont brillé, à la limite de la duplicité, par leur confondante ambigüité ? Pourquoi Epiphane Quenum prenait-il la responsabilité de parrainer le choix de Yayi Boni d’une marche forcée vers la Lepi ? Pourquoi allait-il à l’encontre de la volonté de l’UN, un groupe politique comprenant la RB, parti auquel il appartenait ?
Par ailleurs, mon cher Pancrace, tout le monde se souvient aussi des positions divisionnistes de Epiphane Quenum qui, aussitôt des actes d’union posés par les parties prenantes sur le difficile chemin de l’UN, y allait de sa voix discordante et outragée au travers de laquelle il s’inscrivait en faux contre le bien fondé de l’élan unioniste, excipant de raisons morales, historiques, ou politiques. Pour justifier son parti-pris sceptique, il n’hésitait pas à jouer les mémorialistes en prétendant rafraîchir la mémoire à tous ces intrigants qui naguère n’épargnaient pas leur énergie, leur fiel et leur hargne pour contrecarrer la RB dans ses légitimes ambitions ou faire barrage à son chef, Dieudonné Nicéphore Soglo ; mêmes intrigants qui, rappelle-t-il, sans autre forme de procès, parlent maintenant d’Union et n’ont que ce mot à la bouche. Ce type de critique était devenu récurrent dans la bouche de Epiphane Quenum ; peu à peu, il avait fini par le faire apparaître aux yeux de tous comme non seulement l’empêcheur de s’unir en rond mais surtout le sous-marin politique de Yayi Boni, un de ces membres actuels ou dissidents de la RB – députés ou anciens députés – passés sous l’emprise magnétique de la mouvance et qui, jusqu’à très récemment bavaient de faire leur entrée au gouvernement de Yayi, au moment où une telle entrée conservait encore quelque valeur honorifique ou politique. C’est dans ces circonstances que Epiphane Quenum a été bombardé Président de la Commission politique de supervision de la Lépi (Cps-Lépi), devenant ainsi le Monsieur Lépi de Yayi. Une Lépi, elle-même, devenue épine dans le pied du régime actuel, dans la mesure où tournant le dos à l’esprit de consensus qui aurait dû l’inspirer de part en part, elle est portée par la farouche volonté de Yayi Boni d’y aller à marche forcée. Quel était la motivation et le moyen de ce passage en force ? Bien sûr, mon cher, ami, la réponse va de soi : gagner les prochaines élections présidentielles et législatives sous le double contrôle du logiciel et du constitutionnel sous haute et partisane main. Les moyens et la méthode étaient de partager le gâteau avec un parti-lige qui pour le coup était aussi une partie-caution de l’équité régionale. L’objectif de Epiphane Quenum en tant que membre influent de la RB était de couper le gâteau électoral – présidentiel et législatif – de façon confortable à Yayi Boni et bénéfique à la RB. Ce qui induirait une alliance avec Yayi Boni à moyen et à plus ou moins long terme. Mais pour que cette stratégie fût viable, encore faudrait-il que la RB existât en tant que partie autonome. D’où les vocalises sectaires de Epiphane Quenum et quelques rétifs de la RB. Du reste, ce n’est un secret pour personne que l’attitude de Rosine Soglo vis à vis du Pouvoir n’a pas été toujours claire ; au contraire, elle brille par sa troublante ambigüité. Sous la houlette de la Présidente, en effet, existe et agit une aile des rétifs à l’idée de l’Union qui, inspirée par une résistance d’arrière-garde, fourbit en secret ses armes pour des visées politiques duales. Cette duplicité qui traduit aussi le clivage larvé entre les deux frères Soglo, et qui voudrait que le bonheur politique de l’un passe par la complicité à court terme ou le soutien non avoué à Yayi et l’espérance de l’autre au contraire par l’idée de l’Un ; duplicité dont les excès et remous ont fini par pousser Nicéphore Soglo, le Président d’honneur de la RB, à taper du point sur la table, en mettant sa démission dans la balance; et cap semble avoir été mis à la RB sur l’île de l’Union.
Tels sont donc, mon cher Pancrace, les ressorts et les motivations de la méfiance sinon du refus de l’initiative de l’Union, qui pourtant se consolidait de plus en plus dans l’opposition au régime de Yayi, depuis les regroupement des déçus du wologuèdè, à l’UN an passant par le G4, et le groupe dit des G et des F. C’est le caractère visiblement irréversible de cette union, que les attaques d’arrière-garde sentencieuses d’Epiphane Quenum et de ses acolytes subtilement épaulés par l’énigmatique Présidente de la RB n’ont pas suffi à décourager qui a amené Yayi Boni à changer son fusil d’épaule dans sa constante volonté de trafiquer la Lépi. Voyant que la stratégie de désunir l’Un et de faire exploser les G et les F à son profit est vouée à l’échec, Yayi Boni préfère privilégier une stratégie de survie au premier tour, qui passe par le retour coûte que coûte des G13 dans le giron de la mouvance présidentielle. Ce faisant, après avoir laissé ses partisans et thuriféraires mener une campagne inique contre l’Un accusé de groupement régionaliste, Yayi Boni n’hésite pas à placer sa virevolte sous le même signe régionaliste d’un passage du flambeau de la CSP-Lépi dirigé par un homme du Sud, à un président de la CSP-Lépi du Nord. Dans le choix de son partenaire de copulation électorale assistée par ordinateur, Yayi Boni bascule du Sud au Nord, de la RB à la G13. C’est ce changement de cap qui ferait perdre à la RB, –à travers du moins la vision d’arrière-garde de son aile rétive à l’Union, – ses rêves et ses bonnes espérances que Rosine Soglo a voulu masquer avec son coup de gueule à coloration régionaliste ; coup de gueule d’autant plus malvenue qu’elle apportait de l’eau au moulin de ceux qui d’une manière tendancieuse, s’en donnaient à cœur joie d’accuser l’UN d’être un parti régionaliste. Ses propos délibérément jetés en pâture à la presse et certains hommes politiques qui ne demandaient pas mieux, sous prétexte de crever l’abcès du discours politiquement correct sur le régionalisme, visaient en réalité à ne pas laisser dévoiler les dessous d’une alliance jusque-là objective, mais qui tout à coup devenait obsolète. L’algarade médiatique de Rosine Soglo était un contre-feu destiné à circonscrire l’embrasement médiatique et l’échec en eau de boudin de l’aventure somme toute misérable de Epiphane Quenum du côté de la mouvance. A mon humble avis, les médias auraient été en droit de demander les raisons réelles de l’éviction de Epiphane Quenum ; et de fil en aiguille, questionner sur les motivations de sa collaboration avec Yayi Boni dans l’aventure controversée de la Lépi, paradoxalement combattue par un parti dont il était membre. Pourquoi Rosine se plaint-elle de l’éviction de son protégé si, dans le même temps, le parti qu’elle dirige est contre la Lépi et, avec d’autres, diligentaient une requête aux fins d’abrogation de cette loi ? Nulle doute que ces questions poussées à leur terme logique laisseraient voir que la RB – du moins dans son aile rétive à l’Union – faisait double jeu avec Yayi Boni pour une copulation électorale assistée par ordinateur. Et l’éviction de Epiphane Quenum de la tête de la Cps-Lépi, et son remplacement par Arifari Bako du G13 en même temps qu’elle suscite le dépit de Rosine Soglo, met à nu son plan B. Et ses déclarations outragées sur le régionalisme ont d’autant moins craint de susciter le tollé qu’elle avait besoin de ce tollé comme contre-feu pour circonscrire le feu roulant des questions sur les dessous sordides de l’aventure de son protégé qui prenait brutalement fin.
Voilà mon Cher Pancrace, les raisons cachées de cette algarade : lancer un pétard médiatique dont le bruit servirait à détourner l’attention des questions qu’on aurait été en droit de poser à l’occasion de la fin de la minable aventure de son protégé. Pari réussi. A y voir de près, on est un peu étonné par la contradiction qu’il y a à critiquer le passage en force d’une Lépi non consensuelle par Yayi et le fait de s’indigner contre l’éviction de celui que Yayi a choisi pour incarner ce forfait. Jusque-là en effet, Epiphane Quenum faisait figure de traitre aussi bien à la cause de la paix comme à la cause de l’UN. Or voilà que dans l’un de ces positionnements ambigus dont elle a le secret, Rosine Soglo nous rappelle que Epiphane Quenum, c’est elle, comme Flaubert dirait, “Madame Bovary, c’est moi !”
Mon cher Pancrace, oui, je donne entière raison à ta remarque sur le caractère sibyllin et passablement intrigant de la récente glose comminatoire de Rosine Soglo à l'Assemblée nationale. Et ce faisant, je suis peut-être allé au-delà de ce que tu pensais. Mais sans exiger de toi une adhésion complète à mon analyse, je me réjouis déjà de savoir que, comme moi, tu partages l’idée que la récente algarade de Rosine Soglo, loin d’être la conséquence malheureuse d’une langue qui aurait fourché ou d’une saute d’humeur, est bel et bien étudiée. Entre nous, cette certitude partagée me comble de joie et tout le reste, y compris les imperfections de mon analyse dont je suis bien conscient, me paraît secondaire… Sauf bien entendu mon amitié, qui, elle, n'a jamais été en reste, encore moins secondaire...
Amicalement,
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2010,© Bienvenu sur Babilown
Tout copier/collage de cet article sur un autre site, blog ou forum, etc.. doit en mentionner et l’origine et l’auteur sous peine d’être en infraction.
Vous avez trouvé le mot juste.
Il s'agit en vérité d'une algarade au sens où nous les dames savons en user.
Rédigé par : Paulette Ahowendo | 22 mars 2010 à 15:29